amazed

Il n'a jamais été loquace ni très avenant. Au fond de son siège, Saint trie la nourriture, mange ce qu'il déteste en premier et termine par ce qu'il préfère.
Mais même le boeuf semble rance à chaque bouchée brutale qu'il ingurgite - et ses adelphes se plaignent des bruits de mastication.
Mais il ignore toutes les messes-basses, avale sans répit, dévore jusqu'à s'en donner la nausée et il s'est dépêché de se resservir en espérant faire fuir toutes les silhouettes à ses côtés.

Saint est le dernier à avoir quitté la table, le nez en l'air - il a délibérément ignoré Remy.
Du moins il a essayé - car son paternel l'appelle. L'est-il vraiment ?
Saint n'a pas ces questions qui taraudent dans une boucle infernale, lui, son monde n'a jamais tourné autour de ces familles inventées et oubliées. Il a tourné trop près du soleil, trop près des rayons meurtriers et voilà qu'ici-bas, sa carne a brûlé jusqu'à ouvrir son poitrail en deux.
Sa tête se hoche par politesse mais ses lèvres demeurent serrées. Saint le toise - seulement au travers de ses lunettes, de ses yeux irrités. Remy est fatigué ?
Pas vraiment. Il y a de plus en plus de bois à couper, pas tant de bras que ça. Ses muscles commencent à tirer - ses omoplates se développent plus vite qu'il ne l'a prévu, peut-être même qu'il finirait par perdre ses rondeurs. J'ai rien demandé ?

Saint se méfie et ses prunelles grises affrontent enfin le monde qui l'entoure, celui qui demeure silencieux tant il l'ignore. Il n'y avait pas besoin de me faire un cadeau, Remy. J'ai déjà tout oublié. Comment en vouloir à Remy. Il est père et lui enfant.
C'est une règle immuable - les enfants n'ont pas le droit d'être en colère. J'ai une heure de libre si tu veux discuter.

He !

Saint réagit à l'affront. Non ! Ce n'est pas un menteur, ça non ! Ses sourcils se froncent tandis que ses phalanges rondissent - se referment dans le centre de sa paume.
Saint ne veut pas que Remy se permette de le juger de la sorte. Lui, ne pense pas mentir.
Il a oublié - mais il peut toujours être amer, c'est son droit.
Le cadeau cogne son menton, s'abrite sous la mâchoire - Saint laisse ses prunelles rouler quand Remy lui tourne le dos. Il devrait un jour, songer, quand la vie deviendra trop anxiogène, à fourrer ses griffes au milieu de ses reins. Là, il sera certain que Saint est toujours en colère !

Lentement, ses pieds traînent - il ne veut pas être ici, pas être à côté de Remy.
Il n'est pas habitué à ce qu'on insiste autant, à son flanc. Saint est de ceux qui tannent, suivent et implorent ! Alors qu'on vienne à son chevet, porter une telle offrande, alors qu'il n'est que bourreau. Menteur. Tu le fais pour toi. Quelle image on aura de toi, sinon, si même tes enfants ne t'aiment pas ? Saint râle à voix haute. Non, Remy ne le fait pas pour lui. Et puis la question qui fâche. Ses prunelles tonnent à travers Remy ! Qu'il voudrait le zigouiller ! L'égorger ! L'attraper et l'écraser ! Tu sais très bien comment ça va avec Prim. On se parle pas.
Saint souffle - il souffle si fort ! Si longtemps ! Il faut que Remy comprenne. Car Remy ne comprend rien. Comment doit on s'y prendre avec Saint, quand la rage grignote sa barbaque et menace de le faire flancher ?
Saint déballe néanmoins le cadeau. La couverture rose des paquets, c'est un délicieux hommage, ça ! Alors il murmure merci, se dépêche d'ouvrir l'un d'eux à une main, d'avaler les barquettes à la fraise.

Qui t'as dit que j'aimais la fraise ? C'est une des rares choses qu'il peut affirmer avec conviction. La fraise est son fruit favori, son goût préféré - il pourrait en dévorer sous toutes les formes, il n'en serait jamais repu. J'arrive pas à ne pas t'en vouloir Remy. T'es désagréable et tu peux pas t'empêcher de toujours me piquer à vif. Saint parle la bouche pleine, postillonne et tape légèrement des pieds tandis que son bassin s'alourdit. Il en a marre d'être debout. Si t'as une solution pour que Lucien quitte Prim, qu'elle sorte avec moi et que je sois enfin heureux, alors je te pardonnerai.

Mais il n'était pas certain qu'il puisse y arriver, car même Sohan, n'aurait pas trouvé de solution à un problème qui n'en est pas un.

Saint a cette impertinence collée à la peau, elle s'était dissimulée cependant, quand les saintes pouvaient encore tenir le mors.
Aujourd'hui il est seul et rien ne semble le préoccuper - il ne pourrait pas tomber plus bas, son cœur crépite de ces flammes meurtrières.
Il ignore les remontrances de Remy - ses épaules se tendent et cessent de s'affaisser.
Saint commence à angoisser de la présence anxiogène de son paternel. C'est pas toujours assez de faire de son mieux. Saint le sait et le regarde - enfonce ses prunelles à travers les siennes. Saint le sait que faire de son mieux ici, ça ne sert à rien. Il faut réussir sans échouer. Alors sois agréable pour me faire plaisir.

Saint sourit, Saint retient encore les remarques cinglantes. Mais tout dérape quand Remy prononce son prénom — celui de Lucien, il l'ignore et en balaye l'image affreuse qu'il a de lui. ... Tu ferais ça ? Comment pourrait-il ? Et surtout pourquoi pour lui ? Saint ne comprend pas cette obstination à se faire valoir devant lui.
Peut-être que sa chair n'est pas aussi dégueulasse — son être pas aussi insignifiant qu'il n'y paraît.
Alors Saint s'approche de Remy et son épaule se colle contre la sienne tandis qu'il continu de mastiquer les gâteaux. Je t'écoute. C'est quoi le plan ?
Il ne dit pas oui car Remy sait déjà que pour elle — Saint serait prêt à s'abandonner entier.

Son accolade n'est pas une étreinte - elle n'est ni affective ni chaleureuse.
Elle est là pour s'assurer que c'est bien la réalité dans laquelle il se trouve - que Remy n'est pas une fable, que ses mots sont réels, que ce qu'il promet va se réaliser.
Alors il écoute avec assiduité, ne rate pas un battement de cils ni la pulsation des organes qui rugit à travers la tête.
Et s'il refuse ? Lucien ne me semble pas le genre à accepter de se faire mener par le bout du nez. Saint rigole nerveusement, se décale et inspecte ses phalanges, les doigts et les ongles. Elle ne voudra quand même pas de moi.
C'est une idée qui cogne à son grenat depuis des semaines - si la finalité est cell que Remy annonce, pour lui, ce sera toujours la même : Prim ne le verra pas comme un prétendant, seulement comme le petit garçon maladroit qu'il a toujours été.

Mh.. Saint observe Remy. Il le regarde de haut en bas et s'écarte du mur pour lui faire face. Il ne sait pas vraiment comment doit se comporter un père - car ici, toutes les figures sont factices. Je sais pas, Remy. C'est juste que tout ce que tu fais, ça a pas l'air naturel. Remy veut que ses enfants soient des sujets qui écoutent. J'en sais rien, je pense pas vraiment que tu sois un mauvais père, mais... Saint n'a jamais tenu compte des liens familiaux car ici, ils n'existent pas réellement. Tu devrais, je sais pas. Je sais pas, Remy. Peut-être c'est juste nous deux, ça marche pas. Ses épaules se haussent, il ne sait pas quoi dire ni quoi faire pour échapper à cette situation. Je te remercie sincèrement, pour ce que tu fais pour moi, vraiment, Remy.
Il n'a rien d'autre à dire - ses yeux glissent à travers les siens, finissent par tomber à ses pieds.