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Remy ! Je sais que tu dors pas ! Si tu ouvres pas je vais mourir !


Remyyyyyyyyyyyyyyyyyyy !!! Saint scande un peu plus fort, le front contre le bois massif et puis la paume de ses mains, sa pommette ronde finit par venir à son tour s'y écraser. Ce n'est pas son visage qui trône majestueusement en affiche raide. C'est le visage d'un autre.
Si Saint apprécie discuter avec tout le monde de sa relation imaginaire, c'est Remy chez qui il aime se faufiler le plus souvent. Il aime l'entendre souffler du nez, râler et l'ignorer. Ça lui offre plus de raisons à Saint, pour rester là, à geindre que personne ne l'aime.
Pssst, Remy. Je te file un ticket si tu ouvres. Pssst, Remy. J'ai vu quelqu'un faire une connerie, au réfectoire, ouvre, viens voir... Son oreille se plaque encore à la porte et ses paupières se plissent.
C'est le silence dans lequel Remy semble se complaire car Saint n'entend rien. Alors il fera comme les enfants, si Remy ne veut pas ouvrir !
Sa carcasse s'écrase au sol et son dos cogne contre le pas de la porte, les jambes étendues devant lui, bras croisés. Qu'un parent vienne le déloger ! Il a des choses à dire, un sac à vider. Tant pis pour Remy, Saint est prêt à sortir les griffes et à faire de la musique toute la nuit.

Ses yeux minaudent contre les murs qui ressemblent aux leurs. Il se demande si c'est bien différent un blocard d'un parent. Si les parents ont refusé le paradis car ils ne pouvaient y aller avec leur moitié. Ou si c'est une question de peur, de pas vouloir mourir, de se croire trop important, quelque chose de stupide.
Saint ira au paradis le sourire large et le dos droit si c'est ce que Prim veut.
Saint ira au paradis le sourire large et la poitrine ouverte si c'est ce que Prim veut.

Ses pensées calcinent des idées nébuleuses, de celles qui s'embrument d'elles-mêmes, qui ne doivent pas devenir sensuelles.
Ses pensées braisent et quand ses cils brassent l'air, Saint s'écrase. Ses badigoinces font tressauter ses paupières et Saint se relève en vitesse tout en arrangeant le tee-shirt coincé dans son jogging. Merci père Remy ! Un pied devant l'autre, Saint sautille jusqu'à venir s'affaisser au fond du fauteuil à sa disposition.

Il a l'habitude des lumières conciliantes et ses épaules s'haussent à toutes ces sentences sans punitions. Je dirais que c'est de votre faute, mon père ! À m'avoir laissé avec mes problèmes là-dehors... Ses doigts s'embrassent, s'imbriquent pour ne faire qu'un et se soulèvent vers l'ampoule qui illumine tous les recoins de la pièce. À notre Papa suprême... Puis sa nuque tombe.
Peut-être. Peut-être qu'il ne s'est rien passé mais je n'ai RIEN à te donner. J'ai distribué tous mes tickets aux manants dehors. Je suis un être de bonté, Remy.
Saint retrouve sa splendeur ordinaire, l'échine se tord et les jambes s'étendent devant lui tandis que ses prunelles remontent à Remy.
Oh Remy ! Saint sait qu'il en a assez, de ses jérémiades et de le voir venir à la même heure la nuit.
Mais c'est plus fort que lui. Il apprécie Remy, plus que les autres. S'il n'a jamais trouvé de l'intérêt envers les autres blocards ici, c'est avec lui qu'il se permet de se laisser aller, d'en découvrir un peu plus. J'ai décidé de changer de métier et de devenir moi aussi, mycologue.

Ses bras s'étendent de part et d'autre, les lippes trop larges pour que ce ne soit un mensonge. Prim serait trop contente, d'avoir de la compagnie ! Et moi j'arrêterai de me casser le dos dehors, c'est une bonne idée non ? Père Remy. Saint retrouve un air sérieux.
En réalité, le travail que les autres  considèrent difficile ne le dérange pas. Il possède un atout de plus, avec son pouvoir et l'odeur de la sève le rend plus joyeux, le force à oublier les courbes suaves de ses désirs.

Les verres se remplissent tandis que les idées de Saint s'évadent par ses oreilles.
Il s'amuse à imiter Remy sans méchanceté, les doigts qui creusent les tranchées des phalanges puis le menton levé, l'air dépité.
C'est que ça le fait toujours rire, d'apercevoir Remy le menacer. J'rigole Remy. Tu es trop bon pour qu'on te soupçonne de m'avoir heurté.. Doucement, son poing s'abat dans sa poitrine pour s'infliger un faux coup de poignard.
Saint serait plus apte à s'égorger lui-même sans le vouloir, sous une émotion trop explosive.

Le garçon dérobe avec amusement le verre qu'il s'empresse de boire, il en a besoin pour que ses os soient solides et ne cassent pas sous la pression des coups assourdissants qu'il inflige à la cime des arbres. Tu les trouveras jamais Remy, j'en ai déjà plus, c'est Prim qui me fait survivre sur sa réserve. Et puis il pense, Saint. Ce n'est pas anodin, lorsqu'il pense, puisque c'est si rare ! Mais t'iras pas lui enlever ses promotions tickets à elle hein Remy ? Tu ne peux pas être si horrible !!
Le verre désormais vide, Saint s'en lèche les babines et reluque brièvement celui encore plein de Remy. Il hésite à le réclamer mais se retient et éclaircit son timbre de voix en râclant de fond en comble sa gorge. Je sais qu'ils sont un règne à eux tout seul et qu'ils ne font ni partie des végétaux ni des animaux mais, ils sont bien plus proches des animaux que des végétaux. Ils vivent carrément en symbiose avec d'autres trucs vivants. Et je sais aussi tout leur squelette là, chapeau, pied, lamelle, tout le merdier. Désolé Remy, je suis incollable sur les champipi'.

Un rictus léger saigne à travers ses lèvres. Saint sait écouter et retenir mieux que quiconque. S'il ne sait rien d'ordinaire, il est capable d'apprendre vite. Je suis déjà tout le temps avec elle. Puis quand je travaille, je travaille. Je pense à rien d'autre, j'aime bien travailler le bois pour ça. Tu tapes tapes tapes et ta tête est complètement vide. Il y a rien, juste le vide. Et les papillons.
Sa réflexion ne fait pas chavirer Saint. Remy n'est pas sérieux, il le sait. Enfin, il y croit. Sa langue claque contre son palais et il s'affale un peu plus dans le fauteuil, une jambe se glissant au dessus de l'autre. Menteur. Je sais que si tu ne nous voyais plus, tu t'ennuierais ! Surtout moi. Tu peux le dire que je suis l'une de tes brebis favorites. Moi tu es mon papa préféré !

Saint a oublié d'être affligé de se faire ignorer. Ses babines retroussées, son ivoire se dévoile, saupoudré d'un rire taquin à peine dissimulé.
Remy boit son lait à feu doux, il ressemble à un animal qui lape son récipient et l'imaginer en petit rongeur offre des perspectives répugnantes à Saint.

Pour ne pas sortir les griffes ni aboyer, Saint s'empare de son verre et s'amuse à le faire vaciller entre ses doigts tout en prenant garde à ce que les gouttes ne floquent pas sur le tapis. Il ne manquerait plus qu'il soit de corvées ménagères. Tu veux que mon malheur, Remy.
C'est une affirmation que Saint pense sincère. Remy ne le prend pas au sérieux alors que lui, y croit sincèrement, à cette reconversion. Il s'était imaginé parcourir les sentiers à ramasser le lichen des brindilles, à avoir les phalanges engluées à cause du sérum vital des troncs veinés. Mais voilà que Remy brise ses espoirs sans lui accorder la moindre mesure.

C'est toujours ça qu'on dit à son petit chouchou. Ses yeux roulent tandis qu'il abandonne son verre sur la table et qu'il laisse son bassin glisser un peu plus du fauteuil. Ses paumes se croisent contre son ventre et ses ongles râclent le cuir de la  ceinture pour contenir son émotion. T'oserais pas, monstre ! Après elle va m'en vouloir à moi...
Saint était prêt à se conformer aux règles mais Remy ne lui laisse pas le temps.
Ses propos s'enchaînent et font rouler la bosse dans sa gorge, la mousse stagne au travers et son sourire s'est renversé en une fraction de seconde.
Ses os lui font mal, sur le revers de sa main. Ses os lui font mal, ils veulent s'extirper de là et gratter la pulpe qui enrobe le collier osseux. Saint est terriblement silencieux, à glisser les ongles contre la rondeur des phalanges, le regard planté sur Remy.
Il n'est plus sûr, d'aimer autant Remy.
Il n'est plus sûr, d'aimer toutes les silhouettes qui se permettent de lui donner conseils.
Ses paupières tombent et serrent. Saint se penche et arrache le verre de lait de Remy qu'il avale sans manquer de s'étouffer. Je l'attendrai. C'est ça qu'on fait quand on aime quelqu'un Remy, tu sais.
Parce qu'à cet instant, Remy lui semble dépourvu d'amour et ses os tirent toujours.

Saint n'a jamais été dupe quant aux regards railleurs de ses adelphes. Cela n'a jamais esquinté une fois son armature d'acier car ils avaient plus à lui envier que lui.
L'amour s'est inséré au fond de ses tripes et rien ne pourra l'y arracher, c'est une vertu des plus honnêtes ici car à elle seule, rassemble l'ensemble de ces mérites.
Remy s'est levé et a emporté avec lui le reste de verdeur qui l'abrite. Ses phalanges grattent toujours et Saint finit par glisser les paumes dans le fond de ses poches, la corne gratte le tissu molletonné.

Il a décidé que désormais, Remy n'était plus apte à le comprendre.
Personne en réalité ne le pouvait, c'est comme si ici, l'amour n'était qu'une denrée parmi d'autre qu'il ne fallait pas chérir et tant pis si la flamme meurt.
Il ne faut pas avoir peur de l'étreindre trop fort pourtant. Saint n'a pas peur. J't'achèterai une bouteille.

Rien. Il n'y a plus le bruit du métronome dans sa tête, c'est devenu terriblement calme, Saint n'aime pas ça.
Son regard miroite entre les décorations simples du salon, de la petite cuisine puis revient à la mine défaite de Remy, ses cernes qui gonflent la pulpe sous ses yeux et la maigreur de ses pommettes.
Ils n'ont rien en commun, Saint s'en réjouit. Non. Mais je pense que tu t'en fiches de nous faire du mal. De toute manière c'est pas comme si tu pouvais ressentir quelque chose. Sa mâchoire est crispée et ses dents manquent de claquer. Il souffle et se ressaisit, s'assoit correctement tout en fixant Remy. Pardon. Je voulais pas dire ça. Je crois que je dois encore apprendre à me maîtriser parfaitement. Qu'est-ce qu'ils vont penser là-haut... Saint en rit, les doigts qui se glissent contre ses orbites et appuient. Je sais pas, j'aimerai juste qu'elle me voit autrement que comme le gamin d'il y a quinze ans. J'ai grandi, je suis différent maintenant, non ?
Saint a oublié comment être, sans elle.

La rancœur s'abrite sans parapluie sous sa chair. Il n'a jamais supporté, les mensonges et les mauvais tours.
Saint ne sait pas gérer correctement sa colère. Elle s'imisce de façon perfide sous ses pores, déambule jusque ses poings et grignote la pulpe qui enrobe les os, il faut qu'elle sorte avec violence pour heurter le plus possible. Sinon elle ne voudrait rien dire, il faut qu'elle signifie tout, qu'elle s'évade toute entière.

Sa tête est lourde, ses paupières grincent et Saint ne sait plus quoi répondre. Ses excuses ne veulent rien dire, elles semblent fausses et Remy n'est plus aussi bienveillant qu'il le pensait.
Veut-il vraiment son malheur ? Pourquoi il lui a parlé de ça ? C'était une façon de lui faire mal, d'enfoncer un poignard invisible entre les membranes du courage enfoncé au sein de son thorax, un courage qu'il sent s'effriter, périr, mourir.
On a pas le droit, d'être fatigué Remy, tu le sais. Ses prunelles stagnent au travers des siennes. Saint n'aime pas le mensonge, pourquoi Remy fait-il ça ?
Il a oublié Prim, ses lèvres ne veulent plus s'enlacer aux siennes.
Il a oublié Prim et pense désormais à Remy. Qui est vraiment Remy ? Saint se rend compte qu'il ne sait rien de lui, ni ses goûts ni ses motivations.
C'est un monde qu'il n'a jamais apprivoisé qui se dévoile et Saint, Saint, Saint n'aime pas ça.

Saint ne sait pas ce que ça veut dire, de penser pour soi, à soi. Il ne s'est construit qu'à travers son prisme et ses désirs. Que devrait-il faire, pour penser d'abord à lui ? Aller voir un film qui lui fait réellement envie ? Marcher seul à travers les bois, pour être certain que la rosée du matin lui plaît ?
Ça lui paraît presque insurmontable. Sûrement. Un jour, sûrement.
Saint se relève de la chaise et regarde derrière lui, observe l'environnement brièvement, en retient les contours réguliers. Je vais y aller. Je te souhaite une bonne nuit, Remy. Et demain tu auras ta bouteille de lait.
Saint lui offre un dernier sourire tandis que la lucarne s'affaiblit.