amazed

c'est pas comme ça qu'on fait les choses

le club de musique se vide doucement. j'prends un peu le temps de discuter avec quelques membres. si la majorité sont mes potes même au delà de cette salle acoustique, c'est l'occasion de voir des gens que j'ai pas toujours le temps de voir, ce qui, entre nous, est plutôt cool. vu que j'bavasse longtemps, je suis évidemment la dernière à ranger mes affaires et à quitter la pièce. enfin, dernière, pas vraiment. il reste quelqu'un, alors j'range ma guitare que j'accroche à mon épaule et j'dis ciao à l'âme charitable qui reste là à ranger tandis que moi, j'me taille pour de meilleures aventures.

"bon, salu…"

je me stop nette et je me raidis.
je me stop nette parce que c'est pas quelqu'un du club, dans la pièce, avec moi.
je me stop nette parce que cette personne, c'est Ziggy.

"ok. pas moi. bye."

il veut causer ? super. c'est pas réciproque. dans la liste de tous les trucs que j'ai envie de faire, parler avec ce type est sûrement parmi les dernières. Felix m'a suffisamment parler de lui pour que je n'ai absolument aucune envie de me retrouver seule à seule avec lui. je l'enjambe, le dépasse sans le regarder parce que j'imagine que si je croise son regard, j'vais être maudite - c'est comme ça que ça marche non ? - et j'ouvre la porte pour filer rapidos. le problème ? la porte s'ouvre pas ? je force une fois, deux fois, trois fois, avant de capter que c'est fermer à clef.

"tu m'as enfermé ?!" j'fais volte-face. " mais tu veux quoi wesh ?"

ça commence à m'agacer tout ça et franchement j'ai pas envie de me faire poignardée comme Sohan. je suis trop jeune pour mourir !

"aaaaah, t'as pas d'arme sur toi ? super merci Ziggy ! ça me rassure vachement !" non carrément pas. c'est sarcastique. "du coup j'imagine qu'à défaut d'avoir un couteau, t'as la clef de la salle ? ça serait hyper sympa de genre… m'ouvrir la porte."

et voilà, évidemment, en moins d'une minute la conversation débarque sur Felix. je frémis tandis que son regard se plonge dans le miens. j'ai l'impression d'être… mise à nue ? c'est hyper chelou. je déteste ça. je me redresse un peu, bien droite entre la porte et Ziggy. j'essaye de me donner une contenance, de ne pas paraître intimidée tout en gardant de la distance.

"ouais, j'suis la meilleure amie de Felix." est-ce que j'aurai dû dire non. "pourquoi ?" je sais très bien pourquoi. "parler de toi ?" je ricane. "évidemment. tu l'as drogué et emmener dans la cabane en plein milieu de la nuit."

je relève la tête et je renifle d'un air méprisant. mon regard est défiant. ouais, j'suis la meilleure pote de Felix, et j'apprécie pas trop qu'on lui fasse du mal.

c'est pas comme ça qu'on fait les choses

il a la clef. Ziggy a la clef. il a la clef donc ça veut dire qu'il m'a enfermé dans cette foutue salle avec lui. il m' y a enfermé de son plein gré.
je frémis devant la réalisation brutale de la situation: je suis enfermée avec le mec qui a poignardé Sohan et qui a drogué Felix. je suis enfermée avec lui dans la salle du club de musique et c'est lui qui a la clef pour sortir.

putain de merde.
je crois que je vais me battre.

"su-per." il a la clef. wouhou. en voilà une grande nouvelle. "pardon ? et tu crois que je vais t'obéir comme un bon toutou ?" que je l'écoute sans rien dire, en restant bien docile ? moi, castor ? docile ? "oui je suis pas du tout inquiète là, t'es vachement rassurant comme mec !"

je dépose ma guitare au sol, doucement. sur mon dos, elle m'encombre. elle est mieux par terre. si besoin je n'hésiterai pas à m'en servir. j'ai repéré les chaises aussi, éparpillées dans la salle. s'il faut que je lui en lance une dessus je le ferai.

"je vois pas pourquoi je te dirai ce qu'on s'est dit avec Felix. il me semble que les conversations c'est privées. tu captes ce que ça veut dire ou pas ? ou t'as du mal avec le concept de limite et d'intimité ?"

non parce que j'ai de sérieux doute quand même. mais s'il faut que j'apprenne un concept de base à un mec de mon âge, je peux, y'a pas de problème.

je cligne des yeux un instant alors qu'un frisson me parcours l'échine. il vient de parler de m'éclater le crane, là, c'est pas une vanne ? j'ai bien entendu ? ouais j'crois que j'ai bien entendu. ok. j'ai peur. au secours.

"m'approche pas." je grogne alors qu'il se lève. il marche lentement, trop lentement. ça me fait carrément flipper. "pourquoi tu veux savoir tout ça ? ça te regarde juste pas, mec. est-ce que je te demande ce que tu manges au petit dej' et combien de feuilles t'utilise quand tu vas aux toilettes ? nan. et j'veux pas savoir." au cas où il y réponde. "c'est quoi ton but en fait ? que Felix t'aimes ? tu t'y prends hyper mal t'sais. évidemment qu'il a peur de toi, tout le monde aurait peur de toi après ce que t'as fait. tu veux pas juste lui foutre la paix ? Felix mérite pas ça."

j'débite sous la pression, et sans m'en rendre compte, j'suis exactement en train de répondre aux questions de Ziggy. de lui donner ce qu'il veut: des infos sur mon meilleur pote.

c'est pas comme ça qu'on fait les choses

aucune raison d'avoir peur ? je pourrai en trouver cinquante, des raisons d'avoir peur. Ziggy a beau être venu les mains vides, il m'a quand même enfermé dans la salle de musique. j'sais pas comment marche sa capacité mais il pourrait très bien me maudire, ou me jeter une chaise sur la figure, ou encore m'étrangler. pas besoin d'arme pour ça hm ? donc ouais, j'ai toutes les raisons de me méfier.

"nan. c'est bon merci." rien à foutre de le fouiller ou pas. je veux pas m'approcher. je suis peut-être parano mais je pense avoir des raisons légitimes de l'être. "bon, j'peux sortir maintenant ?"

ou bien faut que je défonce la porte à main nue ? je jette un bref coup d'œil pour check mais en vrai de vrai je crois que j'en serai juste pas capable physiquement. j'pousse un soupir. il me faut la foutue clef.

"hmm ?"

je tourne la tête vers Ziggy. il a la tête baissé, comme un chien blessé ou abandonné, la mine déconfite et le regard triste.
je le regarde un instant. je me sens stupide tout à coup. est-ce qu'il est triste comme ça parce que j'ai été horrible avec lui ? parce que je l'ai insulté et que je veux pas lui parler de Felix ? ou est-ce que c'est parce que j'lui ai dis que Felix a peur de lui ?
je plisse les yeux, je grimace. je dois faire quoi moi maintenant ? j'ai le fou de l'enclave qui m'a enfermé dans une salle et qui maintenant chouine devant moi ?

eh. sérieux.

"..."

je pousse un soupire. ça commence à m'agacer toute cette histoire. j'aime pas voir les gens triste. je sais pas faire moi. j'sais pas quoi dire. ça commence à me stresser toute cette affaire. on peut pas tout annuler et faire comme si de rien était ? hm ?

"...bon." oh et puis merde. "ok..." je murmure doucement. "pourquoi t'es triste comme ça ? tu tiens vraiment à Felix à ce point ?"

ma voix se fait un peu plus douce, juste un peu. je sens que je vais le regretter mais bon, ça m'emmerde quand même de voir Ziggy avec sa mine déconfite devant moi…

"qu'est-ce que tu lui veux en fait ? et qu'est-ce que tu me veux..."

qu'il réponde sincèrement. je suis presque prête à l'écouter. presque.

c'est pas comme ça qu'on fait les choses

et le voilà qui gémit et se victimise sous un faux argumentaire de "ouin ouin, que c'est difficile d'être moi". je souffle du nez les yeux blasés parce que ça m'agace sérieusement. eh franchement ? c'est difficile d'être moi aussi et pourtant je m'en plains pas.

"peut-être que si t'arrêtais d'être un gros creep ça serait plus simple d'être toi, hmm ?"

une suggestion, comme ça.

Ziggy dit qu'il veut juste être pote avec Felix et je sais pas si je dois le croire. à ce stade j'ai juste envie qu'il arrête de chouiner parce que j'ai pas hyper envie de le consoler et que c'est déjà un peu ridicule. je le toise un instant, j'essaye de comprendre ses attentions et s'il est sincère dans sa démarche, mais plus le temps passe et plus je suis perdue.

"oui, je suis sympa comme un être humain normal." la politesse, la courtoisie, ne pas poignarder autrui… ça me semble être juste la base. "... ah. alors... tu veux juste qu'on soit pote, toi et moi ?"

je cligne un peu des yeux, surprise. je baisse la tête pour réfléchir, la main qui vient se poser sur mes tempes parce que tout ça commence à être hyper prise de tête.

"on devient pas pote parce qu'on le décide mec, on est plus à la nurserie. ça prends du temps d'avoir confiance en quelqu'un et l'amitié, ça se construit et ça se développe. et là franchement t'es hyper mal pa..."

sauf que j'ai baissé ma garde. j'ai baissé ma garde et Ziggy en profite pour s'approcher et m'attraper le col d'un coup. son visage est à quelques centimètre du mieux et je sens son souffle sur mes lèvres et j'ai un frisson d'effroi qui me parcours l'échine. je me sens comme une souris sur laquelle une vipère se précipite, les crocs venimeux sortis.

"putain mais qu'est-ce que tu fous…"

je serre les dents et lui enserre sa prise et je commence à paniquer alors je réfléchis mais je sais pas quoi faire. comment je me sors de là ? Ziggy est sûr moi et il me serre et me tiens et je comprends pas cette histoire de supplice. bordel de merde. il faut que je me sorte de là, que j'utilise ma tête, que je réfléchisse à une solution et et et...

BAM.

"lâche-moi putain ! t'es complétement taré !"

je viens lui asséner un énorme coup de tête en plein sur son front pour qu'il me lâche et reccule.
pour le coup, j'ai utilisé ma tête.
et j'ai hyper mal.

"c'est pas comme ça qu'on se fait des potes, merde ! tu veux pas être normal un peu ?"

je titube à mon tour mais j'en profite pour attraper ma guitarre par le manche et je viens la lever en l'air pour la pointer vers Ziggy comme si c'était un fleuret.

"m'approche pas." je peste. j'lui avais dit de pas venir. "je n'hésiterai pas à m'en servir ok ?!"

je grogne pour l'intimider mais en vrai je me sens hyper mal et j'ai juste envie de fuir d'ici.