amazed

Il paraît que si un être humain ne dort pas pendant vingt-quatre heures, alors son cerveau produit la même réaction chimique que s'il avait une gramme d'alcool dans le sang. Abyss n'a pas dormi - ou que très peu - depuis quarante-huit heures. Son corps est fébrile, ses paupières tombent sous la fatigue, les cernes sont marquées et son visage est blafard. Abyss n'a plus rien d'humaine. Elle a tout d'un fantôme.

Tout s'est enchaîné bien trop vite depuis la fin du mois d'Août. Il y avait eu la chute de Kafka, la promotion de Robin, l'injustice dans le cœur des plus jeunes, les remouds à la cantine. Ce n'était pas bien grave parce que Abyss s'était déjà détachée de sa maison depuis trop longtemps pour ressentir quoique ce soit. Il n'y avait plus beaucoup d'étoiles dans son système solaire, il n'en restait que trois: celles portant le nom de Alfie, de Eden et de Caïn. C'est avec ce dernier que les malheurs avaient suivis.

Elle a vu l'incendie arriver dans le cœur de Jude. Elle a prévenu Caïn, qui, comme à son habitude, avait ignorer ses mises en gardes du revers de la main. Aujourd'hui, Abyss regrette.  Elle aurait dû insister puisque désormais, Caïn n'est plus là. Cela fait trois jours qu'il a disparu. Père Jim a dit que c'était pour le mieux mais Abyss n'y croit pas. Elle n'a plus confiance en lui. Elle n'a plus confiance en le Père. Elle n'a plus confiance en rien. Le cauchemars n'as pas cessé puisque derrière, Alfie avait perdu Marley.

C'est de sa faute.
C'est de sa faute a elle.
Elle aurait dû faire autrement. Depuis le début, depuis l'incident. Elle aurait dû soutenir Alfie (mieux), ne rien lui demander pour le Labyrinthe, être à ses côtés pour l'aider à remonter. Elle aurait dû rester auprès d'Eden (mieux), ne pas l'emmener dans le Labyrinthe, ne pas lui briser la jambe à cause de ses lubies. Elle aurait dû prévenir Caïn (mieux), ne pas le laisser partir au confessionnal, être pour une meilleure amie.
Tout est de sa faute.
Tay et Ashkat l'avait dit.
Abyss aurait pu tout changer. Tout empêcher. Elle aurait pu tous les sauver si Abyss n'avait pas été Abyss.
Mais elle n'a rien fait.

Alors, Abyss en est certaine, aujourd'hui. Si elle avait quelques secondes pour changer le monde: elle s'effacerait.

"Merci pour tous ces moments ensembles. Prends soin de toi. Je t'aime." Un message pour Eden.
"Je suis tellement désolée. N'oublie jamais que tu es quelqu'un d'extraordinaire. Merci pour tout." Un message pour Alfie.
Caïn, lui, ne répondra pas d'où il est. Elle lui a écrit tout de même.

Il est 19h. Tout le monde est au réfectoire.
Tout le monde sauf Abyss, faces aux portes du Labyrinthe.
Les parents sont trop occupés ailleurs pour savoir, et bientôt, il n'y aura plus rien à voir. Elle laissera juste une liste noire.

Elle jette un dernier coup d'oeil en arrière. La société est belle. Les larmes qui coulent sur ses joues seront les dernières.
Abyss s'élance dans le dédale. Elle trouvera la sortie cette nuit.

Son cœur bat à la chamade. Elle sait que son geste marque la fin d'un cycle, la fin d'un tout. Elle a hésité, longtemps. Elle a attendu, longtemps. Elle aurait voulu être plus forte pour ceux qu'elle aime, pour Alfie, Caïn ou Eden. Elle aurait voulu trouver la sortie pour ceux qui ont cru en elle, pour Max, pour Bob ou pour les coureurs. Elle aurait voulu rendre fiers ceux qui comptaient sur elle, Jim, Angel ou Mielle.

Mais Abyss n'y arrivera pas. Elle ne sera l'héroïne d'aucune histoire. Elle ne supporte plus rien, tout est bien trop noir. Tout se vide dans son crâne, elle en veut à cette vie, à la terre, à Wicked. Elle s'est toujours demandé ce qu'il arriverait si elle baissait les bras, et la réponse: la voilà. Abyss disparaîtra en martyr et son nom sera gravé sur le mur de la porte Sud.

Quand elle y réfléchit, Abyss n'est pas sûre de vouloir mourir.
Elle est cependant sûre de vouloir partir.

Ce sera ce soir ou jamais. Ce sera ce soir pour toujours. Abyss court à travers ce dédale qu'elle connaît par coeur car il n'y a que lui qui compte et qui n'a jamais compté. Sa tête répète les sections, leurs arrangements et répétitions. Elle quitte la première couronne, celle qui enserre l'Enclave et qui marque d'une foulée de pas son égarement final.

Elle est persuadée que la sortie n'apparaît que la nuit, dans la section 4. Elle a passé ces trois derniers jours à relire ses notes, à vérifier tous ses calculs. Cette théorie germe dans son esprit depuis la soirée de l'été. Si la porte vers le Paradis était accessible en journée, il l'aurait déjà trouvé. Ainsi, la seule possibilité restante se situe quand les portes sont fermées et que la lune domine l'Enclave - car il y a forcément une sortie, n'est-ce pas ?

Abyss est décidée. Elle sortira ce soir et emmènera tout les blocards au Paradis; soit elle mourra ici à l'abris des regards.

ABYSS !

Elle s'arrête de courir, c'est viscérale. Elle a entendu une voix. Elle fait volte-face. Il ne doit y avoir personne, dans le Labyrinthe. Aucune âme, aucun bruit, rien. Même les murs n'ont pas commencé à se mouvoir car il reste encore quelques minutes avant qu'ils se transforment.

ABYSS ! REPONDS !

Son cœur manque un battement. Sa tête réfléchit à toute vitesse. Est-ce un shifter ? Ces créatures qui prennent la voix de ceux à qui elle tient ? Est-ce que les monstres sont déjà libérés et sont en chemins pour la dévorer ? Non, ce n'est pas possible. Pas déjà. L'esprit mathématiques de Abyss sait que ce n'est pas possible. Alors quoi ?

ABYSS !

Son corps se fige. "Non." Elle reconnaît cette voix. "Non non non." Son palpitant repart. "Non, non ce n'est pas possible, non !"

Abyss s'étrangle. Elle a reconnu ce son, le reconnaîtrait entre mille si elle le devait. Prisonnière de l'effroi, Abyss s'élance en direction de la voix.

Non.
Ce n'est pas possible.
Non.
Ca ne peut pas être lui.
Non.

"ALFIE !"

Elle crie alors qu'elle aperçoit sa silhouette, au bout d'un couloir de lierre. Un haut-le-coeur lui retourne le ventre tandis que la panique grimpe. Elle n'arrête pas sa course, elle fonce vers Alfie pour le rejoindre plutôt que de continuer sa course vers la sortie. Ils ne leur faut que quelques instants pour parcourir la distance qui les séparent et se retrouver face à face.

Abyss se jette dans les bras d'Alfie.

"Alfie ?!" Elle s'étrangle. "Qu'est-ce que tu fais là ? Pourquoi tu es là ? Alfie...!?"

Sa voix se brise.
Abyss sanglote.
Elle n'avait prévu qu'il soit là,
son ami.
Elle ne veut pas être de ceux,
qui brisent des vies.
Abyss est terrorisée.
Dans sa perte,
elle ne veut pas tuer Alfie.

Aucun sort ne sort de sa gorge mais Abyss voudrait crier qu'elle est désolée.

Elle serre Alfie, fort, contre elle-même. C'est pour vérifier que c'est bien lui, que ce n'est pas une illusion, qu'il est là, en face d'elle, fait de chair et d'os. Elle n'a pas besoin d'avoir la main sur sa capacité pour voir l'urgence et la peur dans le regard de son ami. Il lui tonne qu'il faut partir, qu'ils ne doivent pas rester ici.

"Pourquoi tu es venu... Je... je suis tellement désolée. Alfie... Pardon..." Pour tout. Pour Marley. Pour ça. "Il faut que tu par..."

Mais soudain, le bruit sourd des murs se met à retentir. C'est le même bruit qu'elle a toujours entendu de loin, quand l'heure fatidique annonce le début de la danse macabre des parois du Labyrinthe.

Si Abyss était d'accord pour suivre Alfie, son corps se fige tout à coup alors qu'il lui hurle de courir.

"A... Attends !"

Elle résiste. Son regard pivote frénétiquement entre son amie et l'opposé du couloir. Abyss voulait se rendre dans la section 4 pour vérifier son ultime théorie. Son corps entier lui tanne d'y aller, de tout abandonner pour avoir la chance de percer les secrets. Mais Alfie est là. Alfie est là et ça change tout. Abyss ne veut pas l'entraîner dans sa chute, elle ne veut pas qu'il tombe par sa faute. Son esprit veut partir avec lui, pas pour se sauver elle mais pour le sauver lui.

"Alfie, je… Je crois que la sortie n'est atteignable que la nuit, quand les murs du Labyrinthe bougent. Tous mes calculs mènent à la section 4. Je me trompe peut-être mais depuis le temps que je cours… On a cartographié quasiment tout le Labyrinthe, si la sortie était de jour, je l'aurai… on l'aurai déjà trouvé !" Elle parle vite, elle parle fort, car le temps presse. Les mots sont confus, Abyss n'est pas sûre d'elle mais elle est pourtant convaincu qu'il faut essayer. "Je dois essayer, Alfie. Si… Si la sortie est bien là-bas et qu'on trouve l'accès au Paradis…"

Elle plonge son regard dans ses yeux, intense. Abyss n'a plus son empathie pour y lire toute la détresse dans son regards, le traumatisme qui fait trembler son corps, les souvenirs de la mort de Mia qui l'assaille. Elle ne voit qu'un Alfie paniqué qu'elle peut raisonner.

"Si on trouve l'accès au Paradis alors on sauvera tous les blocards."

Achève-t-elle.
Abyss est égoïste. Elle ne peut abandonner son rêve, abandonner son but, si proche de la vérité, si proche de la solution. Elle doit continuer, il le faut. Son esprit veut accompagner Alfie mais son corps refuse de bouger. Il faut continuer vers la section 4, continuer d'avancer.

Ce que Abyss ne sait pas, c'est qu'elle ne sauvera personne.
Au contraire: peut-être les tuera tous les deux.

Il faut sauver tout le monde. Il faut sauver tout le monde. Pour les blocards. Pour ceux qui croient en elle. Pour les coureurs. Pour les croyants. Pour ceux qui n'ont pas la force d'attendre leur trente ans.  Pour l'Enclave. Pour le Paradis.

Abyss peut sauver tout le monde.
Abyss peut se sauver elle-même.
Abyss peut sauver Alfie ?

Non !

Il l'attrape par les épaules, la secoue pour l'empêcher de partir. Elle ne l'a jamais vu comme cela et cette-fois, elle est obligée de le regarder.

D'y lire,
la détresse la peur le désespoir la tristesse et la peur encore.

"Mais je…" Elle tente de résister, de lui opposer ses idées. Mais Alfie continue, dans un discours confus, et lui sonne la vérité. "Qu… Qu'est-ce que tu raconte…?"

Elle ne comprends pas. Les mots ne s'impriment pas dans son crâne. Il n'y a pas de sortie. Cela ne veut rien dire. Cela n'a pas de sens. Il n'y a pas de sortie. C'est impossible. Ca ne se peut pas. Il n'y a pas de sortie.

Et Abyss le voit enfin.
Le monstre.

Elle n'avait de yeux que pour cette sortie rêvée, cette chimère à laquelle elle s'accroche depuis tant d'années. Comme un couperet, les mots de Alfie ont eu un effet de retour à la réalité: il n'y a pas de sortie, il n'y a que la mort.

Renonce.

Les larmes de Abyss coulent en silence sur ses joues.
Il n'y a pas de sortie.
Il n'y a que la mort.

Elle voudrait fermer les yeux. S'effondrer à même le sol. Hurler sa rage et l'injustice qui lui broie le cœur. Elle voudrait s'abandonner aux grésillements mécaniques. Se faire avaler par le monstre dans la nuit.

Mourir.

Mais elle tient la main de Alfie, ses doigts contre les siens.
Il y Alfie devant elle, ses joues rouges par l'effort et ses yeux bouffis par la crainte.
Il y a Alfie comme un soleil.
Alfie qui était prêt à mourir pour elle.

Alors Abyss lui serre la main un peu plus fort.
Et dans un souffle, elle murmure:

"Suis-moi !"

Elle l'attrape et fonce. Elle court de toutes ses forces, entraînant Alfie avec elle, vers l'opposé du couloir pour fuir de plus belle la bête de métal qui menace de fondre sur eux. Elle court, haletante. Son âme se déchire tandis qu'elle réalise qu'elle fuit la mort et que la seule échappatoire est de retournée dans sa cage: dans l'Enclave. Son âme se déchire mais il n'y a pas la place pour les larmes, il n'y a pas le temps pour la colère. Il n'y a que les foulées intenses qu'ils enchaînent pour se sortir de là.

"GAUCHE !"

Elle hurle avant de piquer vers la direction indiquée. Ce n'est pas le chemin le plus court par rapport à celui emprunté à l'allée, mais Abyss connaît le Labyrinthe par coeur, et grâce à Bob elle peut deviner les mouvements des premières façades qui se meuvent. Elle connaît un chemin différents, où les escaliers montent et descendent. Pour semer l'engin, ce sera l'idéal. Ils partirons par la section 7, celle qui donnera sur la porte Est. Il aurait été plus court de repartir de celle au Sud par laquelle ils sont rentrés mais les murs bougent et Abyss sait qu'avec un monstre à leur trousse, il va falloir ruser.

"Droite après, puis gauche, deux fois. On monte, on passe sous l'arche, puis gauche pour descendre et suivre l'escalier. On... On va semer le gobeur comme ça !" Est-ce vraiment un gobeur ? "Ensuite gauche encore pendant deux intersections et après droite... On sera de nouveau dans la couronne et on pourra sortir... A... Alfie..."

Je suis désolée.

Les pas de Abyss se font plus faibles, son souffle plus court, son coeur plus lourd. La réalité la rattrape tant par le mental - car ses espoirs viennent d'être brisés - que par le physique - car elle n'a pas dormit  depuis une éternité. Elle qui tractait Alfie a du mal à tenir la cadence. Si elle continue ainsi, elle va chuter.

Et Abyss se met à tomber. Sous le poids de la vérité, ses jambes flagellent et son corps sombre. Elle a mener Alfie jusque dans la première couronne du Labyrinthe, celle qui lie l'Enclave et les sections. De là, il devait pouvoir s'enfuir, rejoindre la porte Est pour partir. Abyss, elle, n'a plus la force de courir.

Tout est vain.
Tout cela n'a servit à rien.
Il n'y a pas de sortie.
C'est la vérité.
Tout ce qui les attends, c'est la mort.
Pas le Paradis.

Depuis le début elle s'efforce de lutter contre l'impossible, de lancer des cris dans le vide. Aujourd'hui, elle vient d'en sentir l'impact.

Derrière eux, le monstre se rapproche. Ils l'avaient semer en passant par la section 7, avaient gagnés suffisamment de temps pour se donner de l'espoir. Mais le voilà qui se rapproche. Il faut partir vite. Il faut que Alfie parte vite. La créature n'est plus bien loin. Lui a encore le temps de se sauver.

Le monstre… Elle n'a pas osé le regarder quand elle courrait, quand elle menait Alfie dans ce dédale qu'elle connaît par cœur car tourner la tête, regarder par dessus son épaule, c'est se condamner. Mais maintenant qu'Alfie est presque sauf et qu'elle n'a plus la force de continuer, elle a le droit de faire face à celui qui va la dévorer. Ainsi, Abyss tourne la tête pour affronter le monstre, pour affronter la mort.

C'est cauchemardesque.

Elle n'a pas les mots pour décrire précisément ce qu'elle voit. La créature est faite de métal et ses longues pattes semblables à celle des arachnides semblent pourvues de griffes acérées. La peau n'est pas que d'acier, mais également de reflets mousseux et putrides. Le plus effrayant est sans doutes la rangées de crocs qui hurlent en un cri strident et qui n'a rien de vivant, prête à se jeter sur Abyss et à la dévorer.

Ainsi soit-il, pense Abyss. S'il n'y a pas de sortie, elle mourra dans le Labyrinthe en affrontant le gobeur. Dans cette histoire là, Thésée ne vaincra pas le Minotaure.

Mais son corps se soulève d'un coup et ce n'est pas par sa force ou par sa volonté. Abyss met une fraction de seconde pour comprendre ce qui lui arrive. Sur le dos de Alfie, elle comprends qu'il vient de la récupérer pour s'enfuir à ses côtés.

"A-Alfie !" Elle s'étrangle. "Qu'est-ce que tu fais ?! Repose-moi ! Tu vas te tuer ! Laisse-moi là et fonce ! Tu... Tu peux t'enfuir toi !"

Moi, je ne le mérite pas.
Abyss tente de se débattre mais elle n'en a même plus la force. Les larmes continues de couler et les sanglots finissent par éclater. Sur les épaules de son ami, elle est définitivement le poids qui leur coûtera la vie.
Ce qu'elle s'en veut !

Mais un miracle se produit. Grâce au courage de son ami, grâce à cette volonté qui lui est propre, grâce à la dévotion de Alfie, Abyss aperçoit la porte Est. Les murs sont en train de se refermer. Le passage se fait de plus en plus étroit. Alfie repose Abyss au sol et la tire dans ce gouleau d'étranglement qui se créé devant eux. Dans son dos, un hurlement. Abyss a senti en coup de vent la griffe du monstre lui frôler le corps. Hélas pour lui, c'est déjà trop tard: dans le couloir, l'araignée de métal ne peut pas passer. Désormais, c'est Alfie et Abyss contre le mur du Labyrinthe qui veut les étouffer.

"Je... je…"

Et les voilà dehors.
Ou plutôt, les voilà dedans.
Abyss est de retour dans l'Enclave, face à la porte Est.
Et Alfie et derrière lui, la cheville blessée et la chaussure arrachée.
Vivant.

Le corps de la brune est pris d'un spasme. Sentir l'herbe de l'Enclave sur ses genoux et dans les paumes de sa main lui fait l'effet d'une claque. Elle réalise d'un coup brutal et sec tout ce qu'il vient de se passer. Elle aurait pu mourir. Elle croyait le vouloir. Elle allait mourir. Pire, Alfie allait périr à ses côtés. A cause d'elle. Par sa faute.

Abyss se met à vomir.

Elle crache le reste de ses poumons, essuie la bile avec sa veste qu'elle jette au sol puis se précipite vers Alfie, toujours en larme.

"Alfie ?! Tu vas bien ?! Je suis tellement tellement tellement désolée… Alfie je… Pardon…"

Pour tout.
Elle le prends dans ses bras et vient enfouir son visage contre lui. Elle le serre si fort pour vérifier que c'est bien lui, qu'il est bien vivant, qu'elle ne l'a pas tué.

Puisqu'ils sont de nouveaux dans l'Enclave, sa capacité revient avec violence. Elle n'a pas besoin de faire quoique ce soit pour lire les sentiments terribles et la peur qui assaillent son ami. Cela ne fait que renforcer ses sanglots. Abyss voudrait lui dire merci mais il n'y a rien que la culpabilité dans le creux de son cœur.  

Elle est tellement désolée.

Alfie dans ses bras, Abyss respire lourdement. Elle n'a pas couru sur les derniers mètres mais c'est tout comme. Son souffle est haletant et ses jambes tremblantes. Elle tombe à genoux auprès d'Alfie, elle n'a pas la force de tenir debout.

Tout se mélange dans son crâne en un bourdonnement assourdissant. Il y a les hurlements du gobeurs, tout d'abord, bien accroché à son esprit comme un cauchemar. Il y a les bruits du Labyrinthe, ensuite, qui s'est mit à bouger. Il y a les sentiments d'Alfie, aussi, qui bourdonne de détresse, de peur et d'émotions. Enfin, il y a sa propre voix qui se répète en boucle que,
il n'y a pas de sortie,
il n'y a pas de Paradis,
il n'y a que la mort.

Elle sursaute tandis qu'elle entends la voix caverneuse dans son dos. Abyss n'a pas remarqué la présence du parent dans son dos. Elle fait volte-face d'un coup pour découvrir, pencher devant elle, de toute sa hauteur, la grande Grell.

Pour la première fois peut-être, Abyss a peur.
Abyss a peur car Grell lui semble désormais terrifiante.
Elle n'a jamais craint les parents, de toute son existence, n'a jamais rien ressenti pour eux si ce n'est un mal-être, de la distance, et un peu de mépris.
Mais là, aujourd'hui, Abyss est terrifiée.
Terrifiée parce qu'ils savent, n'est-ce pas ? Les parents.
Ils savent la vérité.
Il n'y a pas de sortie ! Pas de Paradis ! Que la mort !

Ce ne sont que des menteurs.
Les vrais monstres ne sont pas les gobeurs.
Ce sont eux.

"NON !" Elle hurle. Sous l'émotion, sous le choc du Labyrinthe, Abyss ressent les siennes. Comme une explosion de sentiments, ele ressent celles d'Alfie bien sûr, mais aussi les siennes. Alors elle s'exprime de toute ses forces, laisse échapper sa tristesse, sa colère face à l'injustice et son désespoir. "Ce... Ce n'est pas Alfie ! Lâchez-le ! Ce n'est pas Alfie !"

Elle s'étrangle et tremble de tout son long, la sueur perle sur son front mais elle rassemble le peu d'énergie qui lui reste, le peu de volonté, pour érigée une barrière entre Grell et Alfie. Elle tire sur la poigne de sa matriarche pour couper la prise contre le bras de son sauveur. Debout sur ses jambes flagellantes, Abyss s'insère entre Alfie et Grell et use de son corps pour faire barrière.

"Ce n'est pas Alfie. Vous n'avez pas le droit de dire ça. Ce n'est pas Alfie. C'est… c'est moi !"

Les larmes se remettent à couler.

"C'est moi..." C'est elle. Elle réalise. C'est elle la responsable de tout ce drame. "Je... Je suis allée dans le Labyrinthe. C'est moi. Alfie m'a sauvé. Alfie est un héro. Tout… tout est de ma faute."

Et les jambes cèdent à nouveau. Abyss s'effondre à genoux. La douleur ne lui fait rien.

"C'est ma faute…"

Autant tout avouer maintenant puisqu'il n'y a pas de sortie. Abyss n'a ni réussi à partir du Labyrinthe, ni à y mourir. Elle s'en remet donc à Grell pour l'achever, puisqu'elle mourra ici, dans cette Enclave maudite.

"Il est blessé... à la cheville." A cause de moi. "Ne le tirez pas comme ça, il faut qu'il aille à l'infirmerie."

Le ton est redevenu froid.
Il n'y a plus d'espoir.
Que la haine.
Contre eux, contre le Père, contre l'Enclave.
Contre elle-même.