amazed

I ain't happy, I'm feeling glad

j’ai le corps avachi sur dani, mon flan couché de tout mon long sur son ventre, lui en dessous mais les bras sur mes épaules et mes côtes. on est là, bras-dessus, bras-dessous, à moitié recroquevillé et allongé sur le corps de love. lui est en face, pour plus de confort et de place. je lui tends le joint que je viens d’allumer. je le connais un peu, love. on était au même étage avant que lui ne monte et que je descende. il est cool et il chante bien. moi ça me va.

“bon les petits potes à la compote ! vous savez ce qu’on doit faire maintenant ?”

c’est dani qui l’a dégoté. il le connaît plus que moi et il m’a dit qu’il était chaud pour rejoindre notre groupe. avec dani ça fait une paye qu’on joue on manquait de deux choses primordiales pour faire un bon groupe: un chanteur, d’une part, parce que ça suffit pas, batterie et guitare. ensuite, moins évident mais tout aussi important: de la rigueur.

“objectivement, on est bien: on a un batteur de talent…” je contorsionne mon corps pour tourner la tête vers dan’. “une guitariste charmante…” moi, évidemment ! “et enfin: la plus belle voix de l’enclave !” je pointe love dans un sourire. “mais il manque un truc fon-da-men-tal...”

je tends l’index et je forme des rond dans l’air avec mon poignet pour ménager mon effet. y'a de la musique qui vibre dans la chambre de love: du gorillaz. je l'ai mis depuis mon nexus. on a pas mis l'enceinte parce que ça fait plus authentique.

“un putain de nom qui déchire !!!”

et je me relève d’un coup en écartant les bras pour exprimer à le grandiose de mon idée ! j’ai appuyé sur dani pour me relever et je crois que j’lui ai fait mal. oups. une fois debout je chope le joint pour tirer dessus avant de le filer à dani pour faire tourner (et me faire pardonner). quand j’ai fini je me remet dans le lit, entre les deux garçons, avachi entre coussins et couettes. elle est grave confort sa chambre à love, ça m’change des sous-sol !

“j’ai plein d’idées les mecs. plein plein plein faites-moi confiance. voici ma première, tenez vous-bien…” je fais monter le suspens… “les arracheurs de fleurs sauvages ! alors avis la team ?” je me mets à ricanner, c’est l’effet de l’herbe qui monte. je continue et je m'exclame: “ou sinon slaying storm symphony parce qu’on est trop slay ! ou raw roses resonnance !!! ça fait sss ou rrr c’est marrant non ?”

ça y est, je parle et je ris fort.
j’suis beaucoup trop joyeuse.
inarrêtable.

I ain't happy, I'm feeling glad

love se redresse, probablement animée par une passion sulfureuse induite par mes propositions magistrales. ou pas, je crois qu’il se lève surtout pour râler, pour fulminer. slaying storm symphony n’a pas l’air de lui plaire. je fais la mou, regard complice vers dani à qui je tire la langue et je profite que love soit debout pour voler sa place sur son lit.

“pas du tout, love ! plus c’est long, moins il y a de place pour les autres groupes sur les affiches des concerts. et ça…”

j’ricane. osez me dire que j’ai tort. le plan est parfait. enfin presque. il n’a qu’un défaut: on est le seul groupe de rock sérieux de l’enclave.

“bon, ok…”

j’abdique, laissant mon corps retomber sur le lit et rebondir un peu avant de me recroqueviller là où je peux. dani au moins, apprécie mon humble génie à sa juste valeur. j’savais que je pouvais compter sur lui. ceci dit, love marque un point: il faut être impactant. je cogite, dani aussi. d’ailleurs, dani dit quelque chose de foutrement intelligent pour une fois. alors je tape dans mes mains et je me redresse, prise par l’idée du siècle.

“mais oui ! dani, t’as trop raison ! si on regarde les grands groupes, ils ont tous un nom avec un animal: scorpion, the beatles, arctic monkeys, gorillaz, owl city, cage the elephant, eagles…” je leur sors tout mon répertoire, de la pop au métal, je brasse tout. “ok, j’ai la vision !”

j’me suis redressée pour contempler un peu mieux mes deux acolytes. mon regard pivote sur l’un, puis sur l’autre. à nous trois, quel est l’animal qui nous ressemble le plus ?

dani est un filou, il a le chaos dans le sang, il s’rait capable de faire du tapage nocturne en faisant de la batterie sur les poubelles en acier, c’est sûr.
love a une bonne bouille, mais sous son p’tit visage se cache un mec rusé, super intelligent mais bougrement invasif quand il veut un truc. il est coriace, love, du style à n’pas abandonner.
moi… moi déjà j’suis grave mimi. ensuite, un poil farouche on va pas se mentir. solitaire mais débrouillarde, je m’adapte à tout, partout, et à tout le monde.

“ok, j’ai.”

j’vous jure que je l’ai.

“des ratons-laveurs.”

c’est tout ce que je dis, comme si ça tombait sous l’sens, comme si ces trois mots se suffisaient à eux-même. mon visage se fend d’un sourire. ma main voix son auriculaire et son indexe se baisser pour faire le signe.
ça déchire, non ?

I ain't happy, I'm feeling glad

le vautour c'est métal, mais c'est trop sombre. je n'aime pas ça. il faut quelque chose de plus pur, parce que la musique, ça vient du coeur. ça part d'une émotion immaculée: ça se transforme en partition, en gamme et en artège; et ça frappe dans le coeur de ceux qui l'écoutent.
on est ni des clébards, ni des charognards.
on est des artistes. des héros. des outsiders.

dani a comprit la vibe. on grouille dans les sous-sols de jour, mais la nuit, on dort pour retourner l'Enclave et conquérir la ville. les ratons, c'est mignons mais trash, c'est chaotique mais rusé, c'est farouche mais affectueux.
les ratons,
c'est nous.

"mais masterclass !" je suis refaire que ça plaise à tout le monde et qu'on ne passe pas mille an à débattre. je le prends comme le signe d'un futur glorieux: si la synergie du groupe fonctionne aussi bien, l'avenir sera brillant. "rrrrrrrr !" je mime des griffes avec mes mains, vers dani, avant d'éclater de rire. "putain trop. mais toi aussi dani, avec tes grosses cernes de clodo là..."

le joint est fini. on a une emblème. dani rit et love et content. je me retire un instant dans le silence. j'aime les observer, tous les deux. ils sont beaux quand il sont ensembles. si proches de moi et pourtant si loins. un sentiment chaleureux m'envahit.
je me sens bien.
je crois que je suis heureuse.

"love." je me redresse pour me mettre droite. j'ai un ton sérieux, tout à coup. un ton que j'emprunte a arggo, tay ou max. un ton de grande soeur. j'ai laissé sur dans les cendres du joint la castor surmotivée, aux idées faramineuses et extravagantes. la castor qu'ils ont devant eux est sérieuse, passionnée, rigoureuse. "refais ton mouvement, là, que t'as fais après avoir fait les cents pas autour de ton tapis."

quand il s'est redressé tout d'un coup, le torse bombé, le plexus solaire en avant. j'ai reconnu le mouvement. love le fait, parfois, quand il chante, lorsqu'il est sur une note qui demande du coeur, une note qui  demande de la puissance.

c'est cette puissance que je veux pour le groupe. c'est ce redressement vers les cieux. c'est ce que je veux faire à la foule: qu'ils se lèvent pour chanter avec nous.

"rising." comme le soleil au matin. "rising racoon."

c'est là, l'aube de notre gloire.