amazed

Évidemment, ce sont pas ses affaires à Alfie. Il étire un petit sourire gêné et lève les yeux au ciel devant l'agressivité de Luke. Visiblement, il lui en veut encore - et Alfie cache en son sein des culpabilités moins évidentes, qu'il ne souhaite partager avec personne mais qui l'engloutissent en fleurs d'angoisse, éclosant à la commissure de ses lèvres fendues.

C'est tout ce que tu vas continuer à répéter ? C'est pas tes affaires, c'est pas tes affaires ! comme le perroquet que tu es devenu ?

Alfie se gonfle d'audace et avance d'un pas pour lui. Il pose une main sur son épaule, d'abord pour récolter une épine de pin qui s'est posé là. Il profite du contact subreptice pour le prolonger, et s'appuyer un peu sur lui pour le garder là.

J'aurai dû mettre un smiley pour dédramatiser le propos.

Malgré la légèreté de sa vanne, son regard est grave. Tout passe par l'intensité entre eux - ils ne savent pas se mesurer, que ce soit dans la haine qu'ils se sont porté ou dans la passion qu'ils permettent, à l'aube de leurs désirs refoulés.

Rien de spécial. Je rentrai du tennis et t'y étais pas. Me demandais ce que tu faisais à la place.

Il ajoute, tout en le lâchant. Alfie regarde autour de lui. Les blocard-es ont tous l'air à cran, dans une effervescence qui annonce la fin de l'été.

Visiblement, occupé à redresser des cas difficiles.

Considérer Luke comme une posture d'autorité le rend peut-être amer, mais il a finit par en prendre l'habitude. A croire qu'il était né pour diriger - quand Alfie aurait dû prévoir sa chute.
Il craint maintenant d'assister à celle de son ami.

Fais attention à toi, on peut se faire mal en tombant.

et il le contourne.

La question le retient. Alfie s'arrête net. Il ne se retourne pas tout de suite ; se contente de fixer le bâtiment des dortoirs qui s'érige devant lui. Mal à l'aise de dévoiler son jeu, tout en étant contraint de cacher ses fautes, il se râcle la gorge.

Peut-être bien, ouai.

Il retient un commentaire acerbe qui lui brûle les lèvres : J'ai de l'empathie pour toi, moi.

Et ça t'étonnerait, que ça soit le cas ? Je n'ai pas un coeur de pierre.

Moi.

Il joue des épaules puis se détend un peu. Il décide se tourner de trois quart pour enfin oser le regard, puis étire un demi-sourire, les paupières plissées par le soleil.

Love ment pour t'atteindre, et ça marche. Ne le laisse pas gagner en jouant son jeu - tu sais pourquoi ça te parait crédible ? Parce que tu es le premier à y croire.

Il soupire et passe une main dans ses cheveux. La fin de l'été est amorcée mais il fait toujours aussi chaud dans l'enclave. Et Alfie sort de l’entraînement. Quand Luke n'est pas là pour l'affronter, il ne se donne jamais à cent pour cent.

J'sais pas. Je suis fatigué de te faire la gueule. La guerre a assez duré, tu ne crois pas ?

La conversation devient difficile. Pour deux garçons de leurs âges, habitués à réprimer leurs émotions, Alfie sent un malaise s'installer en lui - le genre de malaise qu'il est difficile de cacher ou d'enfouir. Il sent ses joues rougir de chaleur, son coeur gronder dans sa poitrine. Luke lui fait des révélations que lui-même n'aurait peut-être pas osé verbaliser avant un petit moment.

Ce qui est fait est fait. On pourra pas revenir en arrière. Je t'ai déjà craché à la figure ce que je pensais de tout ça. De ta trahison.

Il baisse les yeux, le corps enlourdi par un amas de culpabilité qui ne cesse de croitre depuis des mois.
Depuis hier, aussi. Il a encore sur les lèvres le goût des pleurs de Kafka.

... et de la mienne.

Alfie se convainc de faire un pas de plus vers la rédemption en admettant ses fautes.

Je n'aurai pas dû céder à Mia. Je voulais l'impressionner, et je nous suis mis en danger tous les deux. Tu...

Il se râcle la gorge ; elle le picote et le brûle. Alfie a la tête de quelqu'un qui semble se retenir de pleurer ; pourtant aucune larme ne point dans le creux de ses yeux.

Tu as eu raison de me dénoncer.

Quant aux choses moches dont il parle, il sait malheureusement que le système l'encouragera, que Robin le soutiendra. Alfie ne sait pas s'il aura la force de lutter contre tout le monde. Il détourne le regard et hausse mollement les épaules.

Fais ce que t'as à faire, c'est plus mon problème, Luke.

Si, ça l'est !
Et il est bien là - le problème, justement.

Alfie ne sait pas s'il doit bouillonner de colère. Luke, qui a trop souvent porté le saint règlement de l'Enclave en porte étendard pour dissimuler sa mesquinerie avoue avoir cédé à ses émotions. C'est dur pour le sans étoile de ne pas céder à la facilité, de ne pas lui rejeter totalement la faute quand lui-même n'aurait, de base, jamais dû fauter en premier. Ce n'est pas à cause de Luke que Mia est morte. C'est à cause de lui. Alfie doit embraser cette vérité pour entamer sa rédemption - pour continuer sa guérison.

Je vois.

Mais même, il peine à masquer le jugement dans le regard qu'il lui appose. Il souffle puis se raidit. Tais-toi, tais-toi ! Les confessions de Luke sur sa jalousie, encore vibrante aujourd'hui à l'égard de Kafka, plongent Alfie dans une torpeur agitée. Il repense au baiser, il repense aux mots acerbes de Kafka - ils raisonnent dans sa tête. Alfie commence à le croire. Il est une horrible personne. La pire de toustes. Et il ne peut pas changer le passé.

Ah ouai ?

La respiration saccadée, il ne bouge pas d'un milimètre -
prêt à affronter ses responsabilités.

Et qu'est-ce que tu vas faire à ce sujet ?

Un truc. Alfie étire un sourire amusé, lucide sur le désir tendancieux qui les anime tous les deux. Ses yeux suivent la trajectoire de ceux de Luke et il inspire un grand coup pour chasser l'impatience qui lui comprime la poitrine. Luke n'attend pas longtemps avant de l’entraîner par le poignet. Le sac sur l'épaule, Alfie le suit sans discuter - à la fois excité par la provocation et dans l'appréhension de sa réponse.

La porte des vestiaires s'ouvre en fracas et le dos d'Alfie heurte les casiers dans un retentissement métallique.

T'as cru que j'avais besoin de tes pistons pour grimper ? Redescends.

Mais contrairement à il y a encore un mois, cette fois c'est dit avec le sourire. Alfie arrête de respirer, le souffle en suspens quand leurs lèvres se narguent.

Il s'embrassent.
Luke a un arrière goût du repas qu'il a mangé ce midi. Il a dû se régaler, ce connard. Alfie crève la dalle depuis sa chute, et l'amertume a été remplacée par un élan de détermination que personne - pas même Luke ou Robin - ne pourraient freiner.

Il résiste à l'envie de basculer dans son cou, de chercher le mélange de parfum et de sueurs qui l'enivraient la première (et unique) fois qu'ils l'ont fait.

Justement... Robin veut que j'aide Kafka a regagner son étoile. C'est mon premier test pour me faire bien voir chez les abeilles.

Il passe une main dans le bas de son dos pour le plaquer à lui ; sait que ce genre d'aveu ne lui plaira pas. Mais Alfie se découvre un penchant malsain pour la jalousie de Luke. Elle n'a jamais été aussi concrète depuis qu'ils ont partagé leur salive.

S'il réussit, je pourrais peut-être même avoir un bonus...

Parce que personne ne se risquera à prendre un tel pari ;
parce que Kafka est perçu comme une cause perdu, comme lui.

Alfie ferme les yeux et remonte sa main, de ses reins à ses omoplates. Il mordille le creux du cou de Luke et écarquille les yeux - il ne peut pas s'empêcher d'y penser. A cette discussion qu'ils ont eu un soir, avec le roi des mouches, et à la signification qu'il lui a partagé.

Tu dis rien ?

Qu'il demande, la voix encore un peu chancelante. Alfie recule sa tête et la plaque au casier, sans se départir de sa prise.

Alfie soupire, excédé de la morale de Luke. C'est bien son genre (ou plutôt le sien) de donner des conseils. Les corbeaux ont pour habitude de narguer les renards de là-haut, perchés sur leurs branches oisives. Alfie essaie d'analyser les sous-entendus dans ses grandes déclarations.
Tout ce qu'il arrive à percevoir et constater, c'est que :

Tu as arrêté d'y croire, toi aussi ?

Au Diable les Abeilles, les Parents, Père. Au Diable l'Enclave et le Labyrinthe. C'est ce que ressent Alfie depuis des mois - il a l'impression d'être une souris piégée dans une cage, suffisamment nourrie pour rester en vie.

Qu'est-ce que ça peut te foutre, Luke, que j'aide Kafka ? Qu'est-ce que ça peut te foutre la méthode que j'utilise pour revenir ? Je fais ce que je peux.

Il lui hurlerait bien à lui ;
à toustes ;
en espérant que Père Suprême l'entende de là : JE FAIS CE QUE JE PEUX !

Et le plus important, qui vibre en lui comme un besoin amoral : Je fais ce que je veux !
C'est bien pour ça qu'ils l'envient tous. Alfie est indomptable.

Haha... C'est ça en fait...

Attendri par l'expression du désir de Luke - il se retrouve enfin en lui, et ça lui avait manqué.
Il passe un bras derrière sa nuque pour rapprocher leurs visages. Sans l'embrasser, il aspire son souffle par la bouche.

Je me disais bien que c'était louche, ta morale à deux balles. Tu me crois assez con pour pas comprendre ? Tu veux que je sois juste à toi - à ta disposition. T'as peur que je me disperse.

Leur petit jeu reprend, et Alfie récompense sa tentative d'un baiser.

Mais ça y est ? T'y as goûté une fois et t'es déjà accroc à moi ?

L'insulte à Kafka, Alfie ne la corrige que d'un regard désapprobateur. Il ne prend pas non plus sa défense ; se contente de soupirer pour témoigner de son désaccord. Alfie ne prendra pas les armes pour Kafka contre Luke. Il préfère se faire discret à son sujet, encore honteux de ce qu'il a fait la veille. Quand il s'agit de consoler Kafka, Alfie s'attire toujours des ennuis.

Hm.

Heureusement pour ses démons, ce n'est pas un sujet sur lequel ils s'attardent. Luke et Alfie préfèrent s'amuser à se défier, à se provoquer, à reprendre l'ascendant naturel qu'ils ont l'un sur l'autre. Comme au bon vieux temps.

Déjà, c'était hier...

Il prend du plaisir à le corriger, tout comme Luke tire une satisfaction à inverser les rapports de force.

Je suis pas rouge, connard.

Il l'embrasse furtivement avant de reculer la tête pour mieux le regarder. Luke met le doigt sur une vérité embarrassante. Alfie perd son sourire et gonfle la poitrine.

Parce que ça te fait pas flipper, toi ?

Il y a encore une dix jours, ils étaient prêts à en venir aux mains ;
s'insultaient et se reprochaient tous les maux du monde.
Ils ont même sauté de la plus grande hauteur de l'Enclave pour s'en rendre témoin.

Je suis là.

Moi aussi, je suis là !
On est là tous les deux -
et où on va, comme ça ?

Une main descend sur sa fesse pour le plaquer contre lui, l'autre se perd dans ses boucles brunes. Alfie étire la ligne de son cou pour l'accueillir et l'y pousser un peu plus. Il ferme les yeux et geint de le sentir - encore.

Alors qu'il s'empresse de gémir, le corps en effusion - l'esprit en ébullitions ; un fracas se fait entendre derrière le mur et Alfie sursaute, coupé dans son élan. Il échange un regard avec Luke, un peu ridicule dans l'immobilité de sa position. On ne peut pas, que Luke dit et Alfie ne peut qu'approuver d'un hochement du menton.

L'intrus s'éloigne et Alfie en profite pour se redresser. A force de cambrer contre les casiers, il sent que ses genoux flagellent et que son bassin s'engourdit. Il écoute les confessions de Luke avant de déglutir, un peu amer - accusateur jusqu'au bout des lèvres.

C'est quoi qui te fait peur ? Perdre ta réputation, au hasard ? Ton rang ? Ton petit confort ? Ton rôle ? Tout ce qu'il t'a offert du jour au lendemain.

Il gonfle la poitrine, impétueux ;
se retient d'ajouter tout ce que j'ai perdu du jour au lendemain.

Mais l'invitation dans le spa le surprend - tellement qu'il en rougit sur le moment. Il relâche la pression de ses épaules.

C'est en faisant ça que tu prends des risques. T'as pas le droit de m'inviter. Si on se fait prendre, on est cuit.

Il plisse les yeux.

D'ailleurs, Robin est au courant. Elle sait que je suis venu dans ta chambre. Si elle nous surprend encore, elle te dénoncera.

Et Alfie a promis, pour les prochaines fois, d'inviter Luke à descendre.

Ok pour le Spa. Je prends le risque, ça me manque trop.