amazed

dans ma chambre de maman, siègent un — parfois de multiples — bouquets de fleurs, que je me cueille moi-même ou que l’on me rapporte en guise de présent, remerciement pour mon dur labeur, que je juge pourtant comme étant tout naturel. ma tâche primitive de maman a fleuri un jour ensoleillé, à l’aube de mes trente ans, alors que je rencontrais ces nouveaux jardins dans lesquels j’aime faire marcher mes pieds chaque jour désormais.

sur mes vêtements, des motifs fleuris sont imprimés. lorsque l’on me regarde, on pose les yeux sur eux aussi. ils sont une partie intégrante de ma personne, ils viennent avec ce rôle de mère que j’affectionne particulièrement, que je ne trahirais pour rien au monde. le Père m’a gracié de cette vie comme il m’a gracié de ces vêtements en floraison. chaque détail de ma vie sauvée, auparavant déchue, je lui dois à lui plus qu’à moi.

en ces lieux, je me sens à la maison. ma maison, c’est les enfants qui hurlent et courent autour de moi. de leurs petites mains, ils s’agrippent à mon yukata, tirent un peu trop fort sur ces fleurs roses sans les faire faner pour autant. ces petits êtres frêles n’ont que l’amour dans leur cœur, ils ne connaissent ni le mal, ni le péché. il faut les garder dans nos prières les plus sincères, parler d’eux au Père, car eux s’en iront un jour le rejoindre. alors j’aime me pavaner là, au milieu des bambins. je n’ai pas cette prétention, mais je dirais presque que dans ces instants, je me sens comme le centre de leur monde, car pour tout enfant, les astres naviguent autour de maman.

je me penche pour avoir meilleur accès à la senteur de ces parterres colorés dont je m’enivre à chacun de mes passages sur ces terres. soudainement, en travers du rire des enfants, se confond celui de Pierrot. elle se saisit de moi comme on se saisit d’une rose : il faut se méfier des épines ! mais Pierrot est brave, elle n’en a pas peur et se munirait même du sécateur pour y scinder la tête de la fleur si cela signifiait lui accorder le droit de me l’offrir. entre ses doigts, resterait la dangereuse tige, celle qui fait peur aux enfants à force que l’on leur répète n’y touche pas ! n’y touche pas !

le plaisir de te voir ici est partagé, Pierrot ! et je laisse s’échapper un rire générique, presque naïf. bras dessus-dessous, nous marchons à travers les allées de fleurs, les allées d’enfants. Pierrot me fait part de son souci, synonyme qu’elle cherche mes conseils. seulement, malgré mes trente-cinq printemps passés, je reste débutante en la matière. ah ! nous voilà bien embêtées ! courtiser une femme qui n’a d’yeux que pour un autre… voici un tragique drame dont tu me fais part… une moue attristée, sincère, naît sur mon visage.

la question d’Aria ne traverse même pas mes pensées, pas même les plus enfouies. moi, l’amour je n’y connais que le Père et les enfants. il n’est pas de mon ressort d’être en capacité de juger le couple d’autrui, ni d’en déchiffrer les failles, encore moins d’en boucher les trous. t’es-tu renseignée sur ses goûts ? je pose cette question, celle avec laquelle tout le monde aurait ouvert le bal. cela ne m’est pas destiné, je me vois donc incapable de te guider avec justesse vers le cadeau idéal pour cette dame que tu convoites. cependant… mon index se pose sur mon menton. un cadeau est un cadeau… c’est le geste qui compte, finalement. beaucoup partageraient cet avis. je sais que j’aime lorsque les blocards m’offrent mes fleurs préférées, seulement, je n’en suis pas moins heureuse lorsqu’ils me font cadeaux d’autres variétés. ce qui émeut mon cœur au plus profond de lui-même, c’est de les imaginer les cueillir en pensant à moi, en se disant : cela fera plaisir à maman ! je m’égare. veux-tu que je t’aide à cueillir ce bouquet ?

Pierrot, lorsqu’elle ne porte pas son costume de maman, est comme un petit pantin que l’on accroche sur le dessus de son lit. les marionnettes font parfois peur aux enfants les plus timorés, ces enfants-là ne connaissent rien au monde les entourant. ils sont craintifs de banalités qui leur paraîtront également abjectes lorsqu’ils prendront de l’âge. je ne leur en veut pas, ils ne sont simplement pas assez proche de leur date de péremption, ils ne sont pas prêts de toucher le ciel et n'ont, par conséquent, pas conscience de devoir craindre bien plus grand. Pierrot rassure ces petits qui craignent les marionnettes, je m’occupe de ceux qui commencent à pleurer le Père vivant dans nos têtes.

je m’aventure dans les parterres de fleurs, ceux que les jardiniers planteront de nouveau lorsque nous aurons récolté le fruit de leur dur labeur. on m’a toujours dit que l’on pouvait manger les fleurs de trèfles. je n’ai jamais tenté l’expérience. il n’y en a pas dans les alentours, mais peut-être qu’en s’aventurant plus loin, nous aurons la possibilité d’y goûter les merveilles de la nature.

oh, oui ! peu importe de qui viennent les fleurs, elles sont un cadeau du Père en fin de compte… l’herbe droite se mélangeant à celle plus farouche caresse mes chevilles, je m’arrête un instant et me penche pour découvrir le parfum des clématites grimpant sur une pergola boisée. ces fleurs vivent jusqu’à vingt-cinq ans. si mes jeunes enfants de quelques années déjà, en plantent, ils pourront prier afin d’espérer mourir ensemble.

je dois t’avouer je suis ravie de voir que l’Enclave confie nos enfants bien aimés à des mères aussi attentionnées que toi. je complimente les efforts d'une Pierrot partant à la recherche d’un si beau cadeau. en même temps, je niche une fleur rose que je viens de cueillir dans ses bras. nulle envie de ramener le sujet à moi, mais je me suis permise de cueillir cette fleur. je me dis que si j’aime le rose, la couleur plaira également à une autre femme. c’est un paris à prendre, mais crois-moi, personne ne pourra rivaliser avec un tel sens des détails. et s’ensuit un clin d’œil enjoué s’accompagnant de mon rire amusé.

je te trouve si drôle, Pierrot. comme tous, à vrai dire, je n’échappe pas à tes charmes amusants. à tes côtés, je me sens flattée, un peu convoitée, mais à la fois ; je ne m’imagine pas prendre cette courtoisie au premier degré. tu te dessines ta prison de clown où le crime aura été de courir après une femme déjà amoureuse ; la sentence : ne jamais être prise au sérieux.

dans les creux de mes deux bras joints l’un à l’autre, au lieu d’y loger un bébé chétif et pleurant, j’y mets des fleurs, tout aussi chétives, mais joyeuses et colorées. les rais du soleil se reflètent sur leurs pétales et pénètrent même leur finesse. qu’elles sont belles, les fleurs, lorsqu’elles deviennent orangées. et toi alors, n’as-tu pas de couleur favorite ? car en une couleur, j’y vois de l’amour. quelle qu’elle soit, il m’est si important, si beau, de me dire que chacun un jour se décide et s’émerveille devant sa couleur fétiche. certaines d’entre elles paraissent si fades, pourtant, il m’est déjà arrivé qu’un blocard révèle à l’orée de mon oreille, sa couleur favorite. en ces aveux, j'ai vu de l’amour. depuis, plus un seul jour ne passe sans que je ne vois de l’amour dans chaque couleur de l’arc-en-ciel, car leurs reflets portent les visages de mes enfants.

je ferme les yeux, souriante, apaisée, devrais-je même dire : amusée. ah oui ? et qui est l’heureuse élue ? soyons bien d’accord, je parle floral.

les arc-en-ciel n’arrivent qu’en quantité maigre et rare ici là. certains racontent qu’ils en ont vu, qu’ils scient le ciel d’un demi cercle entier dont il est impossible d’y voir les extrémités, que les couleurs se fondent dans le ciel d’un flou impeccable, presque imperceptible à l’œil tant il semble lointain et flou, irréel, comme un mirage foulant les grains de sable du désert.
moi cet arc haut en couleurs, je le vois en toi. je ne me découvre pas surprise lorsque tu nommes toutes les couleurs comme étant tes favorites, alors je ris un peu pour te suivre.

quel choix ravissant ! mes mains se joignent entre elles, cette fois-ci non pas pour prier, mais pour exprimer un sentiment de joie doux comme une mélodie jouée au piano par des doigts délicats. (ce qui revient finalement au même à mon sens.) je pense au parfum des roses et à ce qui les constitue pour former leur intégrité. j'aimerais être l'une d'elles à vrai dire, mais je me résigne à espérer l'impossible. à la place, je peux remercier le ciel de nourrir cette flore dans laquelle j'aimerais me perdre et me confondre.

hélas, je crois que je ne saisis pas bien la suite de la chanson. certes, je connais bien les valses charnelles, je les observe auprès de tous. et si mon nom se termine avec la première lettre du mot amour, c’est car je sais en déchiffrer toutes les définitions. mais je me retrouve là, droite et surprise, juste et troublée. je suis debout, hébétée et tourmentée par ce geste que je n'ai pas invité au cœur du tapis fleuris de tous ces motifs que nous arrachons à leur terre. je ne comprends pas bien, Pierrot. je ne sais pas sur quel pied danser.

cette valse théâtrale s’apprête à franchir la ligne florale jusqu’à en devenir obséquieuse, pourtant j’en ris, car comment retenir sa joie en compagnie de Pierrot ? nous sommes toutes deux des mamans prises, des femmes éprises. toi Pierrot, tu as l’amour et la chaleur d’un corps à cajoler lorsque tu rentres dans tes appartements après une longue journée à la Nurserie. ta dulcinée, qu’en penserait-elle si elle te voyait aux pieds d’une autre ? quant à moi, j’ai la foi et le plus grand amour de tous, qui n’est pas celui d’une dame pour une fleur, mais d’un Homme envers le Père. toutes deux dans les sables mouvants de l’amour, notre union est impossible.

je suis bien flattée, Pierrot, mais enfin… quelle idée… rigolote ? étrange ! j’ai une main sur le cœur et l’autre en direction de celui de Pierrot, je la laisse se munir de moi à sa guise, il ne serait pas Amour de ma part que de rejeter sa tentative avec agressivité ou vent glacial. moi, comme ce jardin, je ne connais que chaleur et floraison. et que pourrais-tu connaître que le Père ignore ? ma curiosité chatouillée, il faut croire qu’elle sait s’y prendre autant avec les dames qu’avec les bambins. dis-moi donc ce que tu penses savoir que lui ne sait pas. la partie pieuse de mon être se sent offensée.

pardonnez-moi mon Père, je sais que vous avez tout entendu, mais pardonnez-moi je vous en conjure.

j’aime croire son pardon aussi pur que son amour, j’espère qu’il ne me tiendra pas rigueur de cette curiosité malvenue. tout ce spectacle ne m’amuse plus.