amazed

le rideau s'ouvre. c'est un rideau noir en lin enduit. la buée se lève et fuit vers les miroirs. debout sur le marbre en plain-pied, il rejoint le tapis, prend sa serviette, la passe dans ses cheveux très longs une première fois, puis il l'enroule autour de son bassin. déjà la buée est aspirée par la ventilation thermique. il ouvre un tiroir laqué et en sort un tube de crème transparente, qu'il applique sur ses tempes, l'arête de son nez, et son arcade sourcilière, dans cet ordre ; il le ferme, le range, ouvre un deuxième tiroir, en sort un deuxième tube, plus gros, d'huile transparente, dont il enduit ses bras, ses jambes, et son torse dans cet ordre. il le ferme et le range, détache sa serviette, la passe encore une fois dans ses cheveux très longs, la remet sur son portant. puis il s'approche du lavabo à colonne. il ouvre le mitigeur et fait couler l'eau. il attend qu'elle soit brûlante, et il y plonge les mains, et il se regarde dans le miroir. et le miroir le regarde en retour, alors il lui sourit sans s'en apercevoir. ses mains sont rouges, il les retire et les sèche, puis ferme le mitigeur. il prend son pantalon de pyjama en lin lavé blanc, avec sa chemise assortie, et sa robe de chambre, les passe, éteint la lumière. il sort.

dans le living, la télévision est allumée. il y a un documentaire sur le mycelium et sa capacité d'expansion par l'arborescence infinie. en face il y a une table d'appoint en laminé sur laquelle sont posés un bol de chips, des jus, et des pâtes de fruits. derrière cette table, il y a un canapé d'angle bleu, en velours côtelé, où sont jetés un plaid et des livres, et sous ce canapé, il y a un tapis persan où attend une paire de pantoufles. et tout autour, il y a une lampe à lave, et une chaîne hi-fi, et un tourne-disques, et des lithographies, et de beaux miroirs, et de grandes monstera, qui se déplient dans le vide en cherchant la lumière. compressées entre quatre murs blancs, toutes ces belles choses, ces choses de tous les jours, contenues dans l'espace qui est celui de la rencontre, l'espace de la chaleur et du vivant, participent d'une savante scénographie du réconfort. present se félicite de cette ergonomie parfaite, relevant de son étude approfondie des environnements moelleux, à valeur de foyer. et derrière la porte qui sépare ce mirage du reste, un lieu innommable, insu, qu'il appelait sa chambre, et où personne d'autre que lui-même et le noir absolu n'étaient jamais entrés. maintenant la télévision montre un documentaire sur le rayonnement impérialiste des fourmis rouges. present l'éteint d'un coup de télécommande, d'un autre allume la sono. passe l'album trinity, de eartheater.

il sait que désormais, elle ne va plus tarder. parce qu'il l'a invitée, et qu'elle se présente toujours à l'heure, et qu'elle remarquera l'agréable fraîcheur de la température, l'agencement gracieux de l'apéritif, le caractère adorable de ses choix décoratifs. et sûrement, quand il déposera le poids du plaid, plus soyeux que tout autre, sur ses épaules sans lui demander, elle ne dira pas non, et ressentira en elle et son ventre cette très douce chaleur, qui est en fait le feu violent d'une plus grande catastrophe. il ouvre son nexus.

robin, je viens de me doucher, passe quand tu veux. à tout de suite !

il attend une minute trente avant d'envoyer le second message.

et je suis très heureux de te voir aujourd'hui ! : )

l'hologramme se referme comme ses yeux, ou plutôt l'intérieur de ses yeux, qui sont vides. il mange une chips.

elle arrive sans s'annoncer, et avant qu'elle ne rentre, present sait que robin fermera la porte avec le même égard, la même douceur avec laquelle elle a lu ses messages, passé ses habits, et marché jusqu'à sa chambre pour le saluer, lui debout dans le séjour, qui déjà écarte et tend les bras au devant de lui, dans un geste de béatitude que son visage réverbère. le lin lavé de sa chemise bruisse contre son torse tandis qu'il la serre dans ses bras.

- robin, fais comme chez toi... ça fait un bail que je n'ai pas reçu ici.

alors il s'empresse de retourner vers la table d'appoint pour croquer dans une pâte de fruit au citron, et servir un grand verre d'eau, puis un deuxième. ce temps d'acclimatation, il le lui laisse pour prendre la température, observer le mobilier, le surgissement des petits détails ; guetter le luxe en filigrane de cette mascarade silencieuse. en mâchant sa pâte, present la sait autour de lui, larvée dans les murs : l'essence indicible du mensonge, dans le cœur de toute chose, et que l'illusion premium enrobe de sucre. oh, si tu m'avais vu tout ranger en catastrophe il y a une heure, tient-il à préciser avec embarras.

c'est le même sucre, dans son rire, qui retentit en traversant les chairs et les objets, et ce rire est si clair qu'il faut y croire. present regarde robin dans les yeux lorsqu'elle lui demande comment il va, et aussi en lui répondant qu'il va très bien, merci, sans lui retourner la question. simplement il ne cesse pas de l'observer, avec une émotion étrange, vive et pure, à l'orée de la vénération ; il l'observe quand elle s’assoit par terre, il l'observe quand elle lui parle, et jamais il ne semble que ses yeux, qui dévorent la lumière produite par les proies somptueuses, voient, à part elle, quoi que ce soit.

- j'ai plein de choses à te dire ! des choses du travail, pour certaines... mais je ne veux pas être un hôte ennuyeux. alors commençons par nous détendre.

il ne se formalise pas de voir son invitée au sol. il prend deux coussins en velours et le plaid sur le canapé avant de la rejoindre pour s'installer en tailleur. il présente le coussin à robin et fait tomber le lourd voile en cachemire autour d'elle. comme elle disparait en dessous presque entière, il en relève un pan entre le pouce et l'index, puis le jette par-dessus son épaule comme une cape.

- comment t'a traitée la semaine ? et le reste du temps ? et les abeilles ? personne ne t'importune...? est-ce que tu boiras de l'eau ?

sa voix est ardente. il singe l'empressement des pauvres gens qui se pensent protecteurs. il veut préserver robin et son écosystème, dans lequel il possède un rôle inestimable, parasitaire. à chaque question, il s'approche, non pas avec son corps, mais avec son esprit, doux et tordu, tout au fond duquel ne se trouve rien qui vaille. bientôt son âme frôlera la sienne. alors present attire à lui le premier verre d'eau, puis le second, et une nouvelle pâte de fruits, à la pomme, qu'il suce sans la croquer.