amazed

Il trace, traverse la foule, sans regarder, sans s'arrêter. Qu'est-ce qu'il peut faire d'autre, Luke ? Il ne va pas taper sur le premier qui passe pour remettre dans l'ordre dans ses émotions, non ? Non.

Alors il abandonne, la fête peut bien battre son plein jusqu'à la fin. Les réjouissances sont bien moins attractives depuis qu'ils ne sont plus quatre. Luke atteint la porte, déterminer à y trouver le silence. Il ne se fige que parce que Alfie crie. Alfie.

Qu'est-ce que tu fous ?

C'était courant avant de se chercher, de se courir après. A le voir là, essoufflé, la main sur son épaule, Luke a l'impression de le revoir comme avant. Cette vision le trouble. Pour ne pas se perdre dans cet espoir bête qu'il ne parvient pas à taire, le premium réagit, aussi agressif que lui.

Dans ma chambre, du con. Pourquoi, t'as peur que je te vole encore quelque chose ?

Il le toise un moment. Alfie là. Les mots de Danaé, de Saki, de Kafka résonnent dans son crâne.

Pourquoi t'es là ?

Alors que ses deux meilleurs amis sont encore dans les bois et que tout ce qu'il aime est à seulement quelques mètres. Alors qu'ils se détestent. Et qu'ils n'y a rien entre eux. Ses épaules s'affaissent un peu. Alfie veut monter, ça lui fait décrocher un sourire amer.

Si tu veux m'empêcher de me jeter de la fenêtre faudra que tu rentres.

Il repousse sa main et sans mot dire tourne les talons pour s'enfoncer dans les couloirs. Avec la fête, le dortoir est désert. Du coin de l’œil, il observe Alfie le suivre, comme une ombre. A mesure qu'ils progressent dans les étages, Luke sent son estomac se tordre. Il ne voit aucune logique à la présence de son ancien ami. Il ne sait ni quoi redouter et encore moins quoi espérer. Ce n'est qu'au seuil de sa porte qu'il réalise. Les étoiles encore accrochées au plafond. Toutes les traces de lui que Luke n'a pas eu le courage de faire disparaître. Sa main se fiche sur la poignée. Merde. Foutu pour foutu. Peut-être qu'Alfie en souffrira et que l'humiliation, alors, vaudra bien la peine d'avoir été vécu.

Alfie à ce sourire idiot des anciens jours. Les sourires avec lesquels on se balançait des horreurs, juste pour rire. Luke ne sait pas si c'est par nostalgie ou contrainte qu'il le lui rend.

T'es con. qu'il se contente de dire en haussant les épaules. Tu sais comment ça fait mal de se briser les os ? Ah, c'est vrai.

Gamins, ils en riaient. Pour dédramatiser la violence, Luke avait pris l'habitude d'en rire, de se comparer à ses super-héros favoris. C'était normal d'avoir un aussi gros revers à un aussi grand pouvoir. C'était normal de ne pas pleurer, d'attendre que ça passe. Luke n'avait jamais voulu se préserver de peur et de honte qu'on le lui reproche. Il fronce les sourcils, considère qu'il est trop tard pour reprocher quoi que ce soit à Alfie. Il n'a jamais appelé à l'aide. Il veut bien être injuste, Luke, mais pas à ce point. Et de toute façon, quand il passe la porte ses pensées sont déjà ailleurs.

Lui, il ne voit que ça. Ce n'est que lorsqu'Alfie pénètre dans la pièce qu'il réalise qu'il n'y a que ça. Des traces de son absence. Des souvenirs de sa présence. Ce n'est pas seulement les étoiles, non. C'est le vieux lego poussiéreux laissé en suspend sur la table. C'est la plante difforme qu'on avait offert à Alfie pour ses 20 ans parce qu'elle avait une sale gueule et que ça les avait rire, Saki et Luke. C'est l'agencement et les meubles qu'on a peine bougés de place, l'odeur, tout. Luke en serre les poings. C'est tellement frappant qu'il se sent con de ne l'avoir pas vu avant. C'était devant ses yeux depuis des mois. Il est vraiment bête. Saki a raison. C'est évident et Luke ne le voit que maintenant.

Il ose surprendre le regard d'Alfie. Qui passe de lui à la pièce, de la pièce à lui. Luke se sent mal à l'aise, passe son poids d'un pied à l'autre, comme pris en faute.

C'est pas- qu'il tente de se justifier-

Je te déteste.

Luke écarquille légèrement les yeux. Alfie lui a dit des dizaines de fois des déclarations de haine similaire ces dernières semaines. Seulement cette fois-ci, ce n'est pas aussi violent. Luke sent ses poumons se vider, temps suspendu où il n'y a qu'eux, où dans le silence du dortoir, Luke n'entend plus que le battement sourd de son palpitant contre ses tempes. Je te déteste, à dit Alfie.

Moi aussi. répond Luke.

Et ça vaut bien tout les je t'aime qu'ils sont trop idiots et fiers de dire. Alfie amorce à peine son premier pas que Luke amorce le sien. Leurs lèvres se rencontrent avec empressement et maladresse, s'entrechoquent avec la même force que leurs raquettes. La chambre n'est plus qu'un concert de grognements et de bruits pressés. Luke se laisse guider, plaque ses mains contre la porte, alors que les doigts d'Alfie l'électrisent. Il puise dans sa force pour tourner ses poignets et pouvoir à son tour attraper ceux du sans étoiles. Luke lève leur bras bien au-dessus de leur tête, profite de leur position pour faire s'écraser leur corps. Les lèvres se font pincer, se font mordre. Luke cherche à faire suffisamment mal pour qu'Alfie ouvre la bouche et qu'ils puissent lier leur langue. Son ex-meilleur ami avait demandé qu'est-ce qu'ils foutaient avec Saki. Probablement que la même question se pose ici, mais Luke refuse de réfléchir, de peur que tout s'arrête, qu'Alfie s'en aille. Le premium plisse les yeux, le manque d'air le force à rompre le baiser quelques secondes. Il en profite, abaisse une de ses mains pour la nicher dans les boucles blondes d'Alfie, lui faire tendre le cou pour aller se nourrir du sillon salé de sueur qui glisse sur sa nuque. Il y dépose des baisers empressés et passionnés, avant de remonter progressivement jusqu'à son menton, chercher ses lèvres de nouveau.

Pars pas.

C'est grogné, un peu agressif. Comme un écho à son propre désir, Luke sent passer dans ses doigts cette espèce de courant électrique qu'il sent depuis peu quand il touche Alfie. Un pouvoir qu'il ne conscientise pas, qui transmet tout son plaisir à être touché, aimé. Luke l'embrasse encore, finit par le tirer pour reculer de la porte. Pour aller où ? Chambre, canapé ? Il l'ignore. Seulement l'éloigné de la seule sortie viable. Pour ne pas qu'il le laisse seul, en proie au noir. Mais c'est tellement le bordel ici qu'il bute contre tout un tas de carton pas vidé, de mur qu'il n'a pas anticipé. Luke ignore les bleus, les douleurs, même quand il trébuche et tombe en arrière en se prenant les pieds sur la corde à sauter, il n'arrête pas de l'embrasser.

Luke se relève, sonné et déboussolé comme-ci on lui avait donné un mauvais coup sur la tête. Le regard qu’Alfie lui lance lui fait cracher, sans retenue :

La ferme.

Avant qu’il ne replonge à sa bouche, trop désireux de se laisser consumer par la fièvre, de ne surtout pas, sous aucun prétexte, la laisser redescendre. Le ballet de leur langue reprend. Luke agrippe le visage d’Alfie, passe ses mains partout où il le peut, incapable de trouver une position qui le satisfasse complètement. Ce n’est jamais assez, il le veut tout entier. Et ainsi donc ce sera la chambre. Luke laisse Alfie l’y pousser, se laisse tomber contre le lit dans un gémissement rauque. Merde, la bouche d’Alfie lui manque. Luke a les lèvres gonflées à force de les malmener, mais il en veut encore. Il le bouffe du regard, comme il ne l’a jamais fait pour personne. À Luke, on a souvent dit qu’il était un amant tendre mais distant. Un amoureux doux mais lointain. Il avait beau aimer, il était incapable de ne pas faire sentir un fossé entre lui et ses amours. Là, il s’abandonne, dans une fusion et une passion qu’il n’a jamais connue avant. Il lève le menton, défie Alfie du regard.

Grouille. grogne-t-il impatient. Puis les baisers reprennent.

Luke est incapable de poser la moindre pensée logique et construite. Son esprit n’est qu’un tourbillon primaire, mû par un instinct vorace. C’est tant mieux. Il n’a pas la panique de réaliser qu’il a envie de coucher avec son meilleur ami, mieux, qu’il va coucher avec son pire ennemi.