amazed

c’est étrange, ce silence, que j’entends. il n’y a plus ni cri, ni acclamation se heurtant aux parois de mes oreilles, pourtant ce silence, je l’entends. la prestation terminée, je tire ma dernière révérence. une pensée, qu’au fond, j’ai toujours eu, me vient : quitte à choisir, j’aimerais mourir sur scène, broyé par ces lumières aveuglantes. elles pourraient me scier le corps, j’en serais presque reconnaissant. ainsi, je saurais que mon dernier souffle aurait été un souffle fidèle à qui j’ai toujours été. un souffle chaud se confondant aux poussières virevoltant dans les airs, puis, tout d’un coup, plus rien. c’est à cela qu’elle ressemble, la mort idéale.

mais cette idée me terrifie, je l’époussette de mon esprit. la prochaine fois qu’elle reviendra, j’aurai trente ans. aujourd’hui, je suis encore tout entier, j’ai encore toute ma tête et je n’ai pas les rides des parents sur le milieu de mon front, ni au bord de ma bouche. il faut dire que lorsque je souris, je me stop net car d’après une maman, la joie entraîne la vieillesse.

je descends de scène et j’ai l’impression de quitter ma maison. même ma chambre ne m’est pas aussi familière. je laisse un bout de mon cœur sur scène, que je viendrai ramasser lors de ma prochaine représentation. je cherche du regard les personnes appartenant à mon cercle proche. j’aimerais voir Askhat, j’espère pouvoir toucher deux mots à Paris, mais finalement, il m’est plus facile de penser à ces visages que je ne vois pas. où est Leon ? je le.a cherche du regard, plissant même les yeux pour m’accorder une vision plus lointaine, mais rien.

il me faut attendre une quarantaine de minutes à faire la discussion à d’autres personnes pour voir son visage prendre des contours réels et sentir sa main se poser sur moi avant de me retourner. ah, Leon ! moi qui pensais pouvoir faire une croix sur ta présence ici. un soupir las mais bref s’échappe de mes narines. qu’est-ce que c’est ? c’est une question servant de formule de politesse que l’on pose lorsque l’on reçoit un présent. c’est pour meubler la conversation avant de l’ouvrir. la vérité, c’est que c’est inutile de poser une telle question, il faut simplement ouvrir et découvrir sans se gâcher la surprise. alors d’une main habituée à ouvrir les cadeaux à la perfection, je m’exécute et met le cadeau à nu. ah, c’est gentil. le geste est là, mais pour ne pas ruiner l'ambiance festive, je ne lui ferai pas savoir que je l'ai déjà eu il y a quelques années déjà. la formule de politesse qui doit venir après c’est : il ne fallait pas. moi, ce morceau de phrase, je m'abstiens toujours de l’ajouter, car je ne suis pas d’accord avec celui-ci. oui, c’est vraiment nul de ta part. tu m’avais promis. Leon l’a déjà dit mais j’appuie dessus. j’aime m’assurer de la sincérité de son pardon. qu’est-ce que tu as jugé meilleur à faire que de venir me voir sur scène ? car moi, si j'y réfléchis, je ne trouve rien de plus pertinent.

est-ce du dégoût sur mon visage ? je perçois la naissance d’un plis entre mes sourcils, qui eux, se courbent. tout bon acteur se doit d’être en capacité de masquer ses émotions lors des moments nécessaires, seulement, il m’est difficile de cacher ma déception en cet instant. alors je dévisage Leon sans même m’en rendre compte. je le.a vois se fondre dans ses excuses, iel se noie presque dans ses paroles. iel va bientôt broyer du noir, c’est la conséquence d’avoir échappé à ma lumière ce soir. à quoi bon s’excuser... impossible de remonter le temps. j'ose une légère tape sur son bras afin d'appuyer sur l'inutilité de sa justification.

j’ai parfois du mal à déceler le but d’une excuse. je suis vexé, je suis triste, en colère, froissé, j’en passe… un simple mot n’est pas en capacité de remettre en ordre ce chahut d’émotions se tramant en moi. on glisse un désolé comme on arrache une épine de la plante du pied ; j’ai marché dessus tant de fois que j’en garde des séquelles douloureuses lorsque je foule les terres à présent, mais l’épine n’est plus alors je me dois de garder ma peine pour moi.

je souris maintenant à Leon : un sourire grand, large, mais qui ne révèle pas mes dents. et je le.a fixe avec mes petites pupilles de ces yeux masquant mon mécontentement. ils abusent. t’avoir demandé de l’aide alors que tu avais plus important à faire ailleurs… c’est scandaleux, je m’en plaindrai. ou bien je mettrai cet épisode de côté.

au même moment, je vaporise le parfum à deux reprises : une fois dans l’air, en prenant soin d'esquiver nos visages, et une autre fois sur le poignet de Leon dont je me saisis juste avant. je ne me risque pas à répandre une odeur que j’ai oubliée depuis belle lurette sur ma propre peau. je renifle légèrement l’odeur répandue sur celui-ci. c’est une odeur générique. ne te tracasse pas avec ça. j’aurais préféré accepter cette proposition obséquieuse, mais avec Leon, il faut être un poil plus indulgent. on retournera plutôt faire les magasins ensemble une autre fois. je rajoute, pour ne pas totalement rayer l’idée, et donner à Leon une opportunité de se racheter dans un futur, je l’espère, proche.

puis je lève les yeux vers le ciel, comme pour feindre une réflexion à laquelle j’ai déjà la réponse. oui, il y aura d’autres représentations… m’enfin… je pousse un large soupir. tu sais bien qu’elles sont toutes uniques. mes reproches sont équivoques, je me dédouane de toute méchanceté en laissant à Leon le grand privilège de choisir comment interpréter mes paroles. ainsi, s’iel choisit de s’en vouloir, iel ne pourra s’en prendre qu’à iel-même.

les excuses de Leon se perpétuent en myriades de fois dans l’espace, elles pourraient faire exploser la scène. je prends une inspiration par le nez car l’insatisfaction commence à se saisir de moi. je ne veux pas de ces excuses, je ne veux pas avoir pitié d'ellui. un c’est ma faute revient au même qu’un désolé, et je n’aime pas me répéter : à quoi bon s’excuser, Leon ?

il faudrait qu’iel disparaisse pour cesser de m’importuner. seulement voilà, sans lui en cet instant exact : je sais que je n’existe pas. ah, que j’ai mal d’en venir à cette conclusion. je serre les dents, elles s'emboîtent parfaitement les unes dans les autres. si je le.a laissais partir, iel emporterait avec ellui, un bout de ce qui constitue ma gloire. Leon est de ceux qui savent reconnaître ma valeur, iel est de ceux qui n’ont pas peur de paraître dépoli à mes côtés. j’ai une rage qui monte au cerveau alors que je réalise qu’iel doit rester et que sa compagnie me flatte perpétuellement. reste. je m’accroche fermement à son bras pour l’ancrer en face de moi, je dois m’assurer qu’iel ne filera pas sous l’embarras de sa petitesse. j’aime bien traîner avec toi, ça ne me dérange pas. car j’aime le sentiment que l’on me consacre un autel lorsque l’on s’adresse à moi. on ne refuse pas un cadeau. je regarde la petite boîte une fois de plus, rapidement, par pure politesse. je sais qu’il terminera sur une étagère, qu’il ne se mélangera pas au parfum des fleurs des jardins et qu’il prendra un peu la poussière malgré mon dégoût pour celle-ci, mais c'est ainsi.

j’entraîne Leon sans m’en rendre compte, dans la foule de blocards se cognants un peu à nous, cela m’horripile qu’ils me touchent avec leurs bras frustes.. pas pour enfoncer le couteau dans la plaie mais, c’est quand même dommage que tu aies loupé un tel spectacle. j’étais formidable au centre de cette scène. nous passons à côté d’elle alors que je la désigne, elle est maintenant vide. Leon la voit enfin mais il a manqué le coche. tout à coup, je m’arrête dans mon élan et me tourne vers ellui. eh, mais… si toi tu rejoignais le club de théâtre, tu pourrais performer à mes côtés ! ainsi tu ne me louperais plus jamais. je lui glisse une idée soudainement apparue derrière un coin de ma tête. au fond, je doute qu’iel ait la personnalité et l’envergure pour, mais iel pourrait toujours jouer dans le fond des décors.

Leon fait avant tout partie des personnes à qui on ne souhaite jamais en vouloir, car iel s’en charge à notre place. en quelque sorte, cela m’allège d’un poids sur mes épaules, car la force de la rancune en triture plus d’un et je ne désire pas courir à ma perte en poursuivant une vie remplie d’envie de vengeance absurde auprès d’un être même pas menaçant. ah oui, cet abruti de public… il n’avait qu’une chose à faire : filmer. c’est pourquoi je m’efforce à remettre la faute de son petit tord sur quelqu’un d’autre, ses pleurs à ellui m’essoufflent désormais et me rendent indifférent.

jadis, j’étais jeune, je veux dire, encore plus jeune que je ne le suis déjà. des souvenirs, j’en ai forgé des milliers au fond de ma mémoire. je ne suis pas idiot, mais pourtant incapable de retenir les insignifiances journalières telles que Leon parmi la troupe du club de théâtre. iel m’arrache une sorte d’épine dérangeante en me confessant sa présence passée à mes côtés (et aux côtés des autres). je masque mon malaise en lui offrant un sourire presque désolé. ah oui ! bon tu sais c’est déjà un début. on ne naît pas tous pour être des stars. en quel cas, il serait impossible pour toute personne de s’ériger au-dessus des autres.
moi, je me crois et me sais capable d’être aussi vertigineux dans mon charisme grandiose sans l’aide de personne, mais j’arrive à concevoir un monde où l’homme a besoin d’un public pour se montrer en spectacle. pourtant, dans un contraire paradoxal ; j’ai conscience d’éprouver cette envie que Leon reste accroché à mon bras pour au moins quelques instants de plus, sans forcément parler premier degré. ce serait chouette qu’on s’entraîne ensemble en effet. ça te ferait plaisir ? car il me serait inepte d’être le plus enthousiaste de nous deux. certaines choses, dont celle-ci, n’ont pas de sens et n’ont pas non plus leur place ici dans l’Enclave.

j’imite son geste après sa question et regarde également autour de nous avant de reporter mon attention sur lui. je ne vois personne avec qui je parlais. je lui souris, ce même sourire empreint d’une pointe d’hypocrisie que l’on offre aux amis qui ne sont pas vraiment nos amis. je pense qu’il rassurera Leon malgré tout. je discutais avec Elys, mais ce mec est un peu perché alors si je peux l’éviter, je le fais. je me dis que lui aussi ferait mieux de quitter le club de théâtre, il occupe des rôles qui pourraient revenir à plus talentueux. d’ailleurs je n’aurais pas eu à le croiser si tu étais arrivé à l’heure. enfin pardon, ne tournons pas en boucle sur ce sujet.

Leon et moi sommes si différents. J’imagine que lorsque l’on nous croise côte à côte, on se demande ce que nous faisons ensemble, plus précisément, on se demande ce que lui, fait avec moi. Pourtant, même si je dois admettre qu’iel fait un peu tâche en ma compagnie, je ne lui en tient pas rigueur, il est vrai que j’éblouis toute personne se tenant dans un périmètre proche de moi, même les plus prestigieux qu’ellui. Malgré cela, j’apprécie beaucoup Leon, je serais capable de lister ses qualités comme je suis capable de lister les miennes, et ça, cela signifie beaucoup.
J’aime quand iel m’écoute, quand iel acquiesce à ce que je dis et qu’iel dit oui à ce que je propose. J’aime quand iel me laisse me mettre en avant et qu’iel se met, par conséquent, en retrait. Je ne sais pas si je le.a considère comme un.e ami.e, car je ne sais pas ce que les regards extérieurs en penseraient, mais je dois admettre qu’iel a toutes les qualités que l’on recherche chez un proche. Iel sait se montrer humble et ne me vole pas la vedette, je crois d’ailleurs que cela ne l’intéresse pas, iel ne représente donc aucune compétition.

En revanche, j’aime moins lorsque je sens son regard fuyant et que j’entends sa gorge déglutir, cela me met mal à l’aise, alors je le.a regarde sur le côté, un sourcil plus élevé que l’autre tandis qu’iel bute sur ses mots. Il ne m’a rien fait, je fais juste attention à mon entourage. Et ça commence par ne pas faire connaissance avec n’importe qui. Cela me dérange, quand Leon pense mieux savoir que moi, je trouve sa suggestion osée, mais surtout stupide. Toi tu traînerais avec n’importe qui. Mon propre reproche à son égard me fait presque rater un battement de cœur, c'est la même sensation que lorsque l'on rate une marche dans l'escalier. Je regarde Leon droit dans les yeux, avec insistance, iel n’a pas le droit de fuir mon regard. Moi je ne suis pas n’importe qui, n’est-ce pas ? Je pose mes deux mains sur ses épaules, de sorte à l'aligner face à moi. J'ai la paupière qui tressaute, j’ai sûrement l’air ridicule, alors iel doit me répondre vite, ensuite, je fuirai.