amazed

Les étoiles ne brillent pas ce soir, la lune, comme seule témoin, observe d’un œil attentif l’ombre qui erre à travers les rayons de la bibliothèque. À l’heure où les murmures se taisent, Judith ne trouve pas le sommeil. Fantôme coupable, sa conscience pèse si lourd que ses pieds traînent contre le parquet comme attachés à un boulet de prisonnier. Ça craque. Elle porte un fardeau, l’éternel culpabilité de sa vertu.

Théâtrale, peut-être même un peu trop, elle joue l’âme errante, se complait dans ce rôle qui ne lui ressemble pourtant pas, elle, si docile. Ça pèse lourd, elle s’oblige à s'asseoir. La quête d’un livre à lire n’aboutissant pas, elle s’enfonce dans son siège, regarde dehors, les yeux se perdent. Puis ils s’embrument ;  la trahison pend au-dessus d’elle, elle est une épée prête à s’enfoncer dans sa tête. Alors elle attend les mains jointes, si pitoyable créature priant pour la grâce. Elle attend, attend que ça retombe, elle attend de faire couler les larmes mais ça ne vient pas.

« Putain…»

Même ça elle n'en est pas capable. Judith est bloquée dans l’entre-émotions, n’arrive pas à se situer, ne trouve définitivement pas l’équilibre sain du sentiment. Dans l’ombre des rangées de livre, elle ne voit pas l’autre âme errante qui rentre dans la pièce.

Et dans l’ombre intime de l’heure des endormis, Judith rencontre Judas. Il est un autre berger, celui qui guide sans prétention aucune, la nouvelle grande sœur ne saurait atteindre son niveau de pureté. Il brille de vertu et en cela il rayonne dans les yeux de Judith.

« Judas. »

Elle, qui a pour habitude de faire défiler les mots pour se protéger, ne trouve rien à dire. Elle ne peut mentir à Judas, Judas est trop bon pour l’exercice du vice.

« Je ne trouve pas le sommeil. »

Elle relève la tête vers lui, portée par une main invisible. Elle le regarde, dissimule comme elle peut la bataille qui se joue en son sein. Ça passe en vague dans le bleu de ses iris, si elle ne peut lui mentir au moins pourra-t-elle cacher la saleté.

Judith n’arrive pas à le regarder dans les yeux. Elle sait qu’en rencontrant son regard, elle se retrouvera noyée dans ses flots vertueux, elle, elle qui a tant pêché.
Elle n’a pas d’espoir, si elle ne le voit pas, Judith l’entend et sa voix, sa sainte voix vibre d’homélies, elle est un gouffre dans lequel elle aimerait se donner toute entière.
Ça bourdonne dans ses oreilles, Judas s’infiltre près d’elle et sa présence se noie dans la sienne. Cela a toujours été. Ils ne sont qu’un. À l’intérieur, ça grignote la chrysalide de leur âme commune, ils se retrouvent deux papillons à vouloir sortir. Pitié pars. Elle implore en silence, le regard douloureusement rivé sur la table.

Tu n’as pas l’air heureuse, depuis ton ascension.

Judith a pris la lumière et son ombre s’étend avec. Il s’accroupit près d’elle, s’abaisse à sa petite hauteur :

« T’as pas d’autre personne à aller embêter ? Ou peut-être un lit à retrouver ? »

Ça pourrit dans le cocon, Judith sent une pointe piquer son coeur. Pourquoi ne comprends-tu pas Judas ?

Judith se pince la lèvre inférieure, il a raison, Judas a toujours raison quant à ce qu’elle ressent. Il est à ses pieds et elle le regarde enfin. Leurs iris se rencontrent, les siennes sont en proie aux éternelles vagues du doute car la nuit lui fait perdre la foi ; elle, elle qui n’a jamais douté de Judas.
Doit-elle répondre à l’appel du secret, aux revendications du non-dit ? Elle implose.

Le début des larmes perle au coin de ses yeux froids, les éclats de lune traverse son visage, révèlent l’étendue d’une tristesse grondante. Judith plisse les yeux, la première perle glisse le long de sa joue comme le raisin que l’on pique à la grappe. Sa bouche tremble :

« Pardon…»

La digue cède, ça se brise à l’intérieur. Et elle répète, répète, encore et encore, ce mot, ce mot rempli d’aveux.