amazed

Automate réjouie, un pas, un sourire, un pas, un rire.
Les habits de fêtes, écrus, avec des rubans lacés aux épaules, et des souliers à talons, presque deux centimètres, habillent la poupée n°0487. Elle sort juste de l’emballage, l’odeur du plastique chaud sur les clavicules, et garde les yeux ronds et ouverts ; la peur crédule que battre des cils ne défasse le maquillage.

C’est que ce corps, cette réussite, c’est juste un emprunt.
C’est juste le temps que Maman la rattrape, soulève son col et la range dans la boîte des personnes beaucoup moins charmantes, délicieusement plus stupides.

C’est une imposture de déjà quelques jours mais réjouissons-nous ! Cette imposture aurait pu s’arrêter en quelques secondes, quelques minutes, et voilà déjà des heures, pleines et entières, qu’Eden peut se languir dans la robe à froufrou d’une deux étoiles – beaucoup plus optimiste que « passable », c’est une caste qu’on dit « promis à un bel avenir ».

Des mots qu’Eden se répète devant son miroir pour préparer son arrestation.
Ah mais Père. Moi Moi. Je suis promise à un bel avenir maintenant.

Elle avance avec ses petits souliers sur les chemins d’herbes aplaties, des petits pieds comme les siens qui portaient, à l’évidence, de bien moins belles chaussures. Le sens perle de son pouce droit et de son index gauche où, dans le confort de la solitude, elle n’a cessé de dévorer la cuticule et la chair. Angoissée et heureuse. Doit-elle remercier ou haïr Thimothée ?

Il lui apparaît comme dans un rêve, bien droit, les cheveux comme coiffés, et le bouquet princier. Eden ne sursaute pas, peut-être endormie par l’allure onirique de l’apparition du seul garçon qui ne lui rappelle rien du nez tordu de Thimothée.

Il est beau son paletot. Il est beau ton paletot. Dit-elle, légère et le visage illuminé d’amusement.

A petits rapides, la robe est assez courte pour, Eden se rapproche de lui, se plante devant lui avec ce sourire increvable. Ne sachant pas si elle doit le prendre dans ses bras ou l’embrasser sur les deux jours, elle entoure les mains qui tiennent le bouquet avec les siennes. De l’extérieur, on doit les imaginer en pleine noces et le kitsch de cette image excite le plaisir des retrouvailles.

Elle ne doute à aucun un instant qu’il est là pour elle. Plus tard, Eden se trouvera folle et inconsciente de ne même pas avoir envisagé cette possibilité.

Tu as bien fait de venir. Tu me laisseras tenir ton bras sur le retour ? Avec ses chaussures, j’ai peur de perdre l’équilibre et de me ridiculiser.

Judas, tu lui as manqué.

De ces manques silencieux qui ne se révèlent à nous que lorsqu’on les voit de face. Toi, sous cette belle lumière, dans la prairie bucolique, où les camomilles à tes chevilles et les œillets dans tes mains rendent tout plus beau. Toi, et puis tes mots qui ressemblent aux galets brillants qu’on voudrait monter en parure, et puis ta voix qui rime avec les plaisirs à venir.

Avec ce petit bouquet naïf, Eden sait de nouveau penser, se mouvoir, ce corps et ces vêtements lui appartiennent de nouveau. Merci de la regarder. C’est le reflet dans ta rétine qui redessine le contour de sa personnalité.

Elle te parle avec animation Judas, elle te parle comme si tu avais soulevé le loquet sur ses bronches. Elle embrasse aussi ta joue parce qu’elle adore ce son mat qui ressemble à un sceau qu’on appose. Avec des doigts gantés dans de la dentelle blanche, Eden ébouriffe tes crins bruns, si doux, on dirait les fils en cashmere de l’atelier de couture – elle t’a déjà dit qu’elle y était extraordinairement douée ?

Flatteur ! Tu vois bien que tu vas me faire rougir.

Tu peux continuer toute la nuit, ça fait un fourmillement dans son estomac, elle ne sait pas mais c’est proche de la première gorgée d’un pétillant sur le palais.

C’est vrai alors ce qu’ils disent ? Que c’est tous les jours la fête et qu’on danse jusqu’aux aurores ?

Les iris sont habillées d’étoiles d’excitation. Elle pose une main sur sa taille, celle qui tient les fleurs, et croise ses doigts dans les tiens pour tendre vos silhouettes dans la posture d’un ballet. Naturellement, elle s’agrippe à toi, parce que l’équilibre pourrait lui faire défaut, parce que son corps se rappelle ton odeur comme celle d’un doudou.

J’ai appris la valse. Le rock. Même le chachacha. Les pas des filles et aussi des garçons. Je peux presque tout danser, même sans musique. Surtout sans musique, c’est si délicat pour elle de compter sur autre chose que la techno.Alors.. Tu veux bien être mon cavalier ? ici, juste nous deux, pour s’entraîner tu vois…

Ses yeux se baissent sur le bout de ses souliers. Elle veut qu’il l’aide exactement comme avant. Elle veut qu’ils reprennent exactement la même forme que quand ils se sont dit au revoir il y a un an. Peut-être, ainsi, Eden pourra se souvenir de qui elle est vraiment, même si ses traits son chaque jour plus labourée par l’angoisse de remplir la forme du moule.

On a des chambres voisines ? Est-ce qu’on peut se voir si on regarde par-dessus la fenêtre ? Ils ont dit qu’on pouvait décorer mais je n’ai pas d’idées… Tu m’aideras hein ?

Elle rit, resserre ta taille pour que ses éclats remplissent tes oreilles, t’ensevelir sous sa grâce de jeune fille.

J’aime tous les blocards comme s’ils étaient déjà mes enfants ! Ce n’est pas quelques ronchons qui vont me faire peur. et ses baskets flambants neuves ne seront jamais étrennées dans le Labyrinthe.

La rare perfection des étreintes de Judas est une ivresse cinématique dans ses yeux de fillette. La lenteur calculée de leurs mouvements ressemble aux éclosions surveillées de la serre. La lumière, la patience et la tendresse les élèvent au-dessus de l’herbe rase et des roseaux sauvages. Eden se gorge de la sensation diffuse d’être complétée par les risettes rares du brun. A ses chevilles, les rubans poudrés et flottants caressent les jambes du garçon sous la brise et toute la tulle parfumée à ses hanches exprime une pudeur superflue.

Les billes olivâtres brillent de malice pour les secrets prometteurs qu’il consent déjà à lui révéler. Par sa simple présence, il l’aide à se sentir comme la jeune fille qu’elle rêvait la veille d’incarner. Eden replace une mèche de cheveux blond derrière son oreille sans renoncer à l’azur glacé de ses yeux.

Tu en bois toi Judas ? de l’alcool. Elle l’a dit très bas le mot, parce que simplement le prononcer fait rougir ses joues d’un interdit attirant. Si tu en bois ce soir. Ca veut dire que tu veux embrasser quelqu’un n’est-ce pas ? La candeur désarmante du bruit qui court dans les lèvres glosés de baume parfumé à la fraise d’Eden nourrit ses propres fantasmes. Elle tire sur lui pour l’obliger à se pencher, presse un baiser gras sur sa pommette pour murmure avec excitation. Merci de nous avoir fait inviter. Tu es la personne la plus gentille et intelligente que je connaisse. assuré avec ferveur, Eden se sent admirative de Judas qui ne dissocie jamais aider son prochain de servir ses intérêts, un idéal qui pour la tête blonde mériterait les éloges du Père Suprême en personne.

Quand ils dansent, ils ne parlent plus, dans ce silence froissé par toutes les textures textiles qui balancent à sa taille, Eden sourit à en éprouver une souffrance agréable. Sa respiration se plisse sous les rires quand il la lance et qu’elle tourne suspendue la point de ses doigts. Le sentiment de s’appartenir ferme ses yeux, il ne reste que l’odeur de tissus neuf de Judas et la chaleur de ce torse à peine plus large que le sien.

Ne tremble plus. Je reste là.

Sa cage est comprimée dans l’enlacement, son souffle est un filet mince qu’elle partage avec la forme arrondit des boutons de la chemise de Juda. Elle ne s’en détournera que pour le tirer vers le sol où les herbes hautes les engloutissent. Les épis et les graines s’accrochent dans ses cheveux et sur la dentelle, mais Eden ne s’en soucie pas, son attention se consacre à Judas, à ses cheveux qui lui tombent un peu dans yeux et le ciel qui découpe son visage.

Est-ce que je pourrais aussi boire de l’alcool ? elle se redresse sur les mains pour être à sa hauteur, une curiosité malicieuse au fond des yeux, Tu penses que les Grands ne diront rien si tu ramènes une amie ? ils pourraient se moquer de toi, de nous. à cette idée son minuscule ventre se serre douloureusement.

Judas deviendra sa muse et son compagnon lorsque l’effort rendra la peau d’Eden si grise qu’il faudra l’enduire d’autobronzant chaque matin. La constance de ses regards sera la béquille sur laquelle la blonde pourra flageller à sa guise douze printemps plus tard. C’est une promesse pieuse dont le cœur d’Eden ne peut mesurer la portée. Elle est comme toutes les autres petites filles enrubannées de lacets roses, à rester au bord de la marre pour attendre que le galet jeté lui revienne. Les attentes sont plus romantiques que les ébats et Eden, qui lui dit le contraire, rêve déjà leur prochaine séparation pour se languir à loisir. Dans le souvenir qu’il emportera d’elle, qu’il ne prenne pas cette lueur hagarde qui trahit ses regrets.

Sa carne imite adorablement les bourgeons de rose. Il a goûté, bien sûr, il a de l’avance, lui, pas comme les rustres, n’est pas tombé malade. Le poison a révélé l’homme qui subsiste dans ce corps de minot. Elle te regarde avec une admiration fière, dépose entre les chuchotements et souffles rieurs ses propres adorations. Tu n’as pas vomi toi Judas ! Tu n’es pas comme les Grands dégoûtants. Judas vaut mieux que c’est grandes quilles qui jouent des bras derrières les portiques de la garderie. Avec frivolité, Eden se demande s’il ne s’agit pas d’un test de courage, le « cul sec », un nouveau terme vulgaire mais intriguant.

Elle pince son bras entre l’index et le pouce, les stigmas d’autorité maternelle refont surface et s’étalent sur les cils délicatement froncés. Reste modeste ! Tu verras je boirai cul--sec, tout le monde m’encouragera, et je ne vomirai rien. Je suis déjà une de celle qui boit le plus d’eau ici, alors, vraiment, je n’ai pas peur. C’est vrai Eden, elle sera encensée pour sa descente, et ces jeux vicieux où le collectif écrase toutes les réticences légitimes seront l’apanage de ses tristes écarts. Le rire pétillant de Judas bourdonne dans ses oreilles. C’est un ravissement d’en être responsable, l’hilarité de sa garçon changé en chevalier par quelques tourniquets de valse. Il faut absolument qu’elle le consigne dans son journal : des carillons qui avaient le parfum des œillets.

La peur que Judas efface avec le sérieux d’un grand-frère devient un rougissement ému sur les pommettes de la blonde. Elle glisse ses doigts sur une des deux couettes pour en défaire le ruban de ballerine, c’était son idée, d’être drapée de tulles roses poudrée. Ça rend ses habits intimes et personnels.

…Mais moi je ne veux pas qu’il se moque de toi. Judas. Elle dit avec cette gravité charmante de fillette. Elle l’oblige à lui donner son poignet et vient l’entourer de la lanière de tissus, deux tours, et un nœud satiné éclot comme une nouvelle fleur sur le réseau de veines dévoilé par la peau translucide du brun. Voilà. C’est joli hein ? C’est Grell qui m’a appris à les faire. avec le bout des phalanges, Eden vient lisser les boucles pour qu’elles ressemblent à celle d’un paquet coloré. Comme ça je serai avec toi à la fête mais personne ne se moquera de toi et tous tes amis seront impressionnés que tu saches faire des nœuds pareils.

Eden sourit avec toutes les dents, petites pierres polies, pour lui signifier que le débat est clos. Il y aura d’autres fêtes où Eden s’arrangera pour venir et ainsi ils pourront prétendre s’y rencontrer, se demander leur prénoms l’air amusé et partager une danse exactement comme cette après-midi.