amazed

Ça fait clac clac clac quand ses talons cognent à toute vitesse le sol. Ça fait boom boom boom quand son cœur bat la chamade à chaque fois qu'il dépose un regard sur elle.

Il a cessé de compter les points délibérément, il sait qu'il est loin derrière et que Prim est loin devant. Peut-être il a fait exprès, de basculer vers l'avant et de faire rebondir la balle à trois reprises sur le sol. Peut-être il a fait exprès de tomber et de s'égratinner le genou et de faire semblant, désormais, de boiter sur le terrain.
C'est un dessein solaire qu'il faut entretenir, un brasier où les flammes ne doivent jamais s'éteindre par peur de tout recommencer.
C'est un dessein solaire qu'il entretient depuis plus de quinze ans, ce serait stupide de le voir partir en lambeaux en gagnant un seul point.
Saint traîne sa jambe comme un fardeau, l'air délétère et la rackette qu'il ne parvient plus à tenir correctement. Prim ! Tu m'as battu ! J'en suis tout cassé, tu m'as même défoncé la jambe.... Quelle affreuse joueuse tu es. Prête à me tuer pour un maudit point...

Saint s'approche du filet qui sépare les terrains, soulève une jambe puis l'autre afin d'être de son côté puis de s'assoir sur l'élastique. Jouer franc-jeu, ce n'est pas son truc. Pas avec elle.
Il préfère lui laisser toutes les étoiles et toute l'acclamation des foules, il se repaitra des miettes et de son jugement printanier.
Dans son uniforme, Prim est toujours aussi belle. Il ne lui manque qu'une tiare assermentée de mille topazes pour être certaine de se faire scander par le Suprême lui-même.
Saint n'a jamais saisi son importance, à ce Père qu'ils ne voient jamais, à ce Père qui semble de tout décider. Il trouve ça injuste, cette monarchie.
Dans des vieux livres poussiéreux, il a lu que les têtes étaient tombées pour moins que ça. Que la sienne aussi, pouvait finir décapiter pour des travers désaccordés.  
Pour ne pas finir loin d'elle, Saint est prêt à accepter l'innaceptable, tant que Prim est fier de lui, même si elle ne le dit rarement, jamais, il peut le voir dans la courbure que prend son sourire coincé, la rondeur de ses joues qui surélèvent tout son visage dans une joie qu'il ne faut pas montrer. Prim sait que Saint se moquerait d'elle, c'est inscrit dans ses veines, à l'encre grenade.

Je t'invite à aller boire un chocolat chaud après la séance ! J'ai déjà tout prévu. Et comme un magicien, Saint glisse hors de sa chaussette un petit sachet de bonbons miellés. Tantan ! Apparemment c'est bon quand tu laisses fondre au fond de la tasse. Après tu bois et mmmh... Petit goût bien sucré dans ton chocolat chaud sucré... Au sucre. Saint sourit, comme d'habitude. Sa mâchoire encore ronde s'est serrée pour ne pas expirer trop fort le rire qu'il crève de faire entendre. Prim penserait qu'il se moque d'elle. Saint ne le voudrait pas, plutôt mourir.

Prim a les dents serrées. Elle ne le cache même pas, c'est qu'elle n'y arriverait pas, même avec toute la bonne volonté du monde.
Elle a les dents serrées, la mâchoire comprimée, les veines qui tirent dans son cou. Sa main s'agite avec un agacement non dissimulé, frappe le bord de la raquette contre sa jambe. Elle ne dit pas grand chose, se donne plutôt le temps de se calmer un peu. Elle a trop crié déjà, ça ne servirait à rien d'autre. A en voir le sourire benêt sur le visage de Saint, c'est comme si elle n'avait pas hurlé du tout tout à l'heure.
Elle pivote sur ses talons, crache des injures qui partent dans le vent. Guignol, abruti, ahuri, écervelé, un autre qu'elle a oublié. Elle jette un regard vers lui ; pas bien longtemps, ceci dit, la seule vue de la jambe faussement boiteuse lui donne envie d'envoyer sa raquette à un endroit qui lui ferait vraiment, vraiment mal. Elle sourit, de ces grands sourires crispés et enragés, ceux qui lui font serrer les lèvres si fort qu'on ne les voit plus. Décérébré, c'est ça.
Continue de te foutre de ma gueule, je t'en donnerai, des raisons de boîter…
Crétin, imbécile, godiche, un autre qui lui reviendra plus tard. Comme si elle avait jamais eu besoin de son aide pour réussir. Comme si elle ne pouvait pas marquer un point s'il ne faisait pas le clown sur le terrain. Comme si ça l'aidait vraiment, qu'il ne joue pas du tout, pas une fois, jamais.
Elle marmonne dans sa barbe sans pour autant être vraiment discrète, ne prête que peu d'attention à Saint, qui enjambe le filet. La jambe va mieux, on dirait. Nigaud, voilà.

C'est parfois usant, d'être aussi aigre. C'est plus fort qu'elle, beaucoup trop fort. C'est à se demander pourquoi elle continue de s'acoquiner avec le guignol parfois. Par habitude, parce qu'il est trop tenace, trop pour qu'elle puisse y faire quelque chose, mais elle n'a pas vraiment essayé non plus. Qu'est-ce que ça ferait, si elle essayait pour de vrai?
Elle est juste en colère. Ça passera.
J'ai horreur que tu fasses ça. Franche, sans fioritures. Elle porte la raquette a son visage, presse sa peau contre les cordes, ferme les yeux pour mieux les sentir s'enfoncer dans la mollesse de la chair, gratte ses ongles contre les cordes. Ça me donne vraiment envie de te cogner. J'ai pas besoin que tu me laisses gagner, t'es vraiment pas bon de toute façon. Tu devrais vraiment t'entraîner un peu plus au lieu de faire le clown sur le court.
Paroles dans le vent, comme les injures qu'elle débite sans même y penser. C'est comme si elle voyait ses réactions avant qu'il ne pense à les faire, comme si elle entendait ses mots avant que ses lèvres n'esquisse le mouvement pour faire rouler les sons.
La raquette quitte son visage, et les yeux plus calmes, mais toujours aussi mornes, agacés, finissent par enfin réussir à le regarder. La tenue nonchalante, le sourire constamment présent, c'est à se demander comment il n'est jamais resté coincé. Les prunelles vertes suivent avec attention chacun des mouvements qu'il esquisse. La bouche se tord en une grimace exagérée lorsqu'un sachet de bonbons apparaît de sa chaussette, et elle penche la tête en arrière, regarde vers le Ciel un instant, prie brièvement, s'excuse auprès de son Père Suprême, parce qu'elle doit avoir fait quelque chose de vraiment mauvais pour avoir été maudite ainsi.
C'est dégueulasse. Qu'est-ce qui n'est pas dégueulasse, à tes yeux, Prim? Tu veux que je suce les fils de tes chaussettes puantes, tant qu'on y est? Pourquoi pas les mettre sous tes bras directement. Franchement... Elle marmonne, fait les cent pas de nouveau sur son petit bout de cour. Mais quand est-ce que tu ne marmonnes pas, Prim?

Prim a les traits tirés, comme d'habitude, c'est une usure qui abîme son visage et Saint est certain qu'avant d'aller au Paradis, elle aura des rides comme les vieilles femmes des films western du cinéma.
Sa tête se hoche, le sachet toujours entre ses phalanges se froisse et Saint s'amuse à sentir la forme ovale des sucreries qu'il a chaleureusement gardé pour elle et lui. Si c'est avec la raquette, je suis pas fan...

C'est plus fort que Saint, plus fort qu'un tout. Il ne peut s'empêcher de toujours avoir à dire et à redire, à lui prouver que lui aussi, il en a là-dedans, plus qu'elle ne le croit.
Mais dans une réalité acerbe avec laquelle il doit cohabiter, Saint n'est pas comme Prim. Il peut surenchérir, la dérouter et répéter avec une voix encore plus criarde, ça ne le rendra ni plus intelligent ni supérieur à elle.
Mais Saint s'est fait à cette idée depuis la naissance, il a fait avec depuis longtemps et quoiqu'auparavant des doutes avaient été entraperçu au détour des remarques infectes des blocards, il n'en a plus jamais tenu compte.

Dis moi ce que tu aimes, Prim. Ça irait vraaaaaaaaaaaaaiment, plus vite... Saint insiste longuement, il faut qu'elle saisisse et qu'elle comprenne : si les champignons sont sa passion et qu'elle aspire à être la fille parfaite d'un Père absent, il en reste qu'elle n'aime rien. Tu ne peux pas dire moi par'c'que je sais que tu m'aimes déjà trop.
Sa phalange se tend vers elle et s'agite puis Saint éclate de rire tout en manquant de tomber du filet. Même avec une raquette sur ton gros visage t'es trop belle. On devrait te greffer les fils de la raquette, ça te rends encore plus jolie.

Dans un imaginaire où l'Enclave n'existe pas et où les murs plombs sont tombés, où il n'y a que Prim et lui, il s'est imaginé danser autour des feux de joie qu'il a vu dans ces films français, il ne se souvient pas de grand chose. C'était morcelé et les voix hachées mais ses prunelles ont suivi avec attention les rondes joviales des hommes et des femmes, des mains serrées et de la nuit pourfendu par des éclairs rougeâtres.
Prim peut bien râler et le menacer jusque le frapper. Saint est devenu hermétique à tout ça, le plus souvent, ça éveille des envies grivoises qu'il préfère taire pour ne pas se faire passer pour ce qu'il n'est pas.


Je gagne pratiquement toujours. Mais toi t'es trop forte pour moi Prim ! J'y peux rien, je pense que tu me déstabilises trop, regarde, j'en fais tomber ma raquette...Ah !
Et dans un cliquetis insupportable, le composite de sa rame sautille avant de tomber à ses pieds. Il a l'air presque surpris - et de façon sincère, Saint. Mh... J'y avais pas pensé.
C'est murmuré, à peine audible. Saint aime quand Prim marche sans le regarder, il peut ainsi profiter de suivre sa silhouette ruminante.
Doucement et en pinçant ses lippes, Saint ouvre le sachet tout en essayant de ne pas faire un bruit puis glisse un bonbon sous son aisselle avant de le fourrer rond entre son palais et sa langue. Mmmmmmmmh.... Prim ! C'est, trop bon. Tu devrais essayer. La prochaine fois j'calerai le sachet dans mon slip, t'as raison.
Il ne peut s'empêcher d'éclater de rire et tout en se relevant, il s'empresse de suivre son chemin de pensées qu'il ne connaît que trop bien. Beuuurk Saint t'es dégueulasse ! Mais vas voir ailleurs par pitié beeeeurk Saint !
Il ne craint ni raquette ni paume mal visée. Il ne craint seulement qu'elle finisse par se lasser, mais après 20 ans, ce serait difficile de s'en aller.
En tout cas il l'espère.
Puis ça croque sous ses dents, ça croque comme s'il venait de briser des pierres d'un édifice nouveau. Parfois il s'imagine gravir des monts pour rapporter des espèces nouvelles de ces drôles de champignons qu'elle aime tant.
Les étoiles et la lune, le soleil comme synonyme de flambeur, Saint n'y a jamais trop accroché. Il aime les choses tangibles, le réel. Si un jour on lui apporte un peu de soleil entre les doigts, alors il voudra bien y croire, à toutes ces histoires. J'ai entendu qu'une fille avait trouvé des champignons au fond de la forêt, comme t'en as jamais vu...! J'ai eu ce tuyau en échange d'un ticket. Saint est légèrement penché vers elle, pas de trop. Il n'a pas à le faire, de toute manière. On va voir ce soir ? En amoureux ?  

Ce n'est jamais silencieux lorsque Saint est dans les parages. C'est peut-être ça, qui dérange Prim le plus.
Elle n'a jamais réussi à le faire taire. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Si elle le lui demande directement, il ne tiendra pas longtemps. L'ignorer est encore pire, apparemment, puisqu'elle a remarqué qu'il se mettait encore plus à jacasser, sans doute parce qu'il sait bien que ça lui fera ouvrir les lèvres à nouveau. Ça ne serait pas si dérangeant, s'il disait des choses qui valaient la peine d'être entendue ; mais la moitié du temps, ce n'est rien qui vaille la peine de gaspiller de la salive.
Elle est juste en colère. Ça passera.
Un tas de choses. Tu mets juste un point d'honneur à faire tout ce que je déteste, rien que ce que je déteste. Elle esquisse un mouvement de recul lorsque le doigt s'approche, comme si elle redoutait qu'il s'approche trop. Elle en a l'habitude, pourtant ; s'il n'est pas tout à fait tactile, elle a pris l'habitude de le heurter parce qu'il marche trop proche, de sentir ses pieds sous la table ou d'effleurer la matière synthétique de ses vêtements. Si tu m'écoutais, je râlerais sûrement moins.

Prim ne répond pas aux flatteries qu'elle n'a que trop entendu. Elle n'est toujours pas capable de les identifier, et s'il lui semble parfois qu'il se moque d'elle, les mots glissent de ses lèvres trop facilement, avec un naturel qui ne ressemble pas aux taquineries trop évidentes de Saint. T'es vraiment bête. Elle ne sait jamais quoi répondre d'autre, finit toujours par relever la stupidité de son propos, par le balayer loin, quelque part où il ne l'atteindra pas. Il ne faudrait pas y croire.
Faute de pouvoir profiter pleinement du silence, Prim opte pour le désintérêt. Elle se détourne, continue de faire quelques pas sur le court, mesurés, lents et exagérés. Elle écoute d'une oreille distraite, parce que c'est dur d'ignorer totalement Saint et ses paroles si vides de sens que Prim finit toujours ses journées par de courtes réflexions concernant l'obtention de ses étoiles, mais elle ne répond pas, pas tout de suite, pas vraiment. Elle grogne, grimace pour exprimer son dégoût, roule des yeux et secoue la tête, mais pendant une petite minute, elle ne dit pas grand chose. Et lorsqu'enfin elle ouvre la bouche, pour faire part de la répulsion qu'il lui inspire, Saint lui renvoie ses mots avant même qu'elle les ait dit, comme s'il savait, qu'il n'avait plus vraiment besoin de l'entendre pour savoir ce qu'elle pense, ce qu'elle veut dire. Guignol.
Elle détourne le visage à nouveau, sourit un peu, les yeux portés vers un Ciel toujours identique, plus triste qu'il n'y paraît, malgré la douceur de son bleu et la clarté de son soleil.

Prim tourne les talons vers lui à nouveau, le regard désintéressé à nouveau. Elle ne sourit jamais bien longtemps, moment fugace qu'il faudrait attraper au filet pour le mettre dans un bocal, le conserver et le regarder de temps à autre pour ne pas l'oublier. Je vais pas dans la forêt avec toi, je te l'ai déjà dit. Tu regardes jamais où tu mets les pieds et tu écrases tous les champignons qui ont le malheur de croiser ton chemin. Prim dit non, Saint entendra oui. Elle se demande s'ils parlent la même langue, tous les deux, ou s'il a décidé d'en inventer une nouvelle, une qui peindrait le monde comme il veut le voir. Trouve toi une autre amoureuse, il doit bien y avoir une fille assez masochiste pour ça. Elle appuie la pointe de sa raquette contre son sternum et pousse pour qu'il recule, tout en sachant qu'il finira toujours par pénétrer la bulle l'entourant, comme si elle n'existait pas.

L'havane ne semble jamais se mêler à l'ivoire - c'est une chorégraphie apprise sur le bout des doigts et s'ils venaient à se toucher trop longtemps, trop fort, quelque chose exploserait dans une détonation presque cosmique.

Prim s'éloigne à cette approche sans malice et Saint déploie alors la même nonchalance qui pousse ses reins à casser sa démarche qu'il garantit être assurée.
Ses bras toucheraient presque le sol tant ses épaules sont basses. Une attitude qui ne plaît pas à Prim, ça ne fait pas assez présomptueux ni snob, comme les copains qui vivent presque au côté du monarque paternel.
Mais Saint est-il vraiment apte à manifester les mêmes atouts perfides qui débordent sans parcimonie des cœurs grignotés par la corruption ? C'est un doute irrégulier qui jaillit parfois, lorsqu'allongé au fond de son lit avec le bruit blanc de la télévision, qu'il se pose d'innombrables questions.
Ça ne dure cependant jamais longtemps, jamais assez pour qu'il se taraude l'esprit des heures entières.
C'est que ce n'est pas important, c'est que ça ne peut pas l'être.

Même ce que je fais et qui te plaît, tu détestes ça. Une moue détériore la joie qui réhaussait tous les traits délicats de son visage. Je pourrais devenir un champignon pour toi tu réussirais quand même à dire Saint tu es un champignon horrible ! Je le sais, t'es aigrie comme les vieux parents qui supportent plus les conneries des marmots de la nurserie. Saint retrouve vite son sourire et son échine a cessé d'être tordue. Ils mesurent la même taille, ça lui convient. Autrefois il se trouvait peut-être un poil petit, désormais, il y voit un signe du destin. Mais je t'aime quand même, gros comme ça. Ses mains mime la taille d'un gros animal, puis il surenchérit, il écarte ses bras au maximum, prêt à s'en arracher tous les muscles. Non comme ça finalement.

Saint rigole de la situation grotesque, il en a l'habitude et elle en est usée. C'est un cercle vicieux qu'ils n'arrivent plus à briser.
C'est un cercle vicieux dans lequel il veut faire la ronde jusque la fin. Je pense que je suis suffisamment intelligent pour rester à ma place. Si j'avais voulu j'aurai été sûrement premium, avec tes amis les princes et princesses. Mais j'ai préféré rester avec la plèbe - et garder des avantages.

Prim exagère encore, toujours, s'il est comédien, elle, est sûrement l'actrice principale de sa vie. Ses pas se fondent à travers le terrain en béton poreux, ses semelles font des couic-couic insupportables et sa raquette suit la fluidité de ses courbures qu'il n'ose jamais regarder trop longtemps. Oh t'es d'accord pour venir en date avec moi au fond de la forêt là où personne met les pieds ? C'est superbe Prim. Je prépare les chandelles et les gâteaux, ils ne seront ni dans mon slip ni dans mes chaussettes. Promis. Sa paume glisse contre le côté droit de sa poitrine - dans son imaginaire, il a deux cœurs.
Un pour elle et un autre qu'il laissera tomber à ses pieds lors de son ascension au Paradis. Elle le mangera entièrement en ne délaissant ni artères ni veines.
Du bout de son instrument presque musical, Prim le repousse tandis que Saint approche. La matière frêle écorche le plexus solaire, il entend ses organes à l'arrière jouer une mélodie presque dramatique.
Il ne bouge pas, glisse ses mains contre ses reins afin de jouer avec l'étiquette de son short - pour ne pas se laisser mourir entre ses phalanges d'Impératrice despotique. Mais c'est toi que je veux Prim. Les autres filles n'ont rien que toi tu as. Elles ont tout à t'envier. Saint recule de lui-même. Il a déjà fait la sérénade des milliers de fois, courbé la colonne plus qu'il ne faut et offert son attention avec zèle.

Mais rien n'y a jamais fait.
Tant pis, il s'est habitué à cet relation à sens unique, pour le moment elle lui suffit. Alors la forêt ? Promis je n'écraserai pas un seul de tes amis.
Il lève la main gauche pour jurer fidélité. Saint retient un rire, sait que Prim va encore râler sans murmurer, qu'il est bête, à confondre sa gauche et sa droite.

Prim est perdue, comme c'est souvent le cas lorsque Saint est dans les parages. La tête qui tourne, qui titube, le visage tordu par une grimace, celle qui montre qu'elle ne suit plus, qu'il parle trop vite, enchaîne les mots et les sens sans lui laisser vraiment le temps de pouvoir suivre. Elle penche la tête, les dents serrées, bien visible, laissent passer un long sifflement fatigué. Et quand bien même elle regarde Saint, quand bien même elle démêle dans son esprit les fils de la conversation, elle a déjà oublié de quoi ils parlaient.
Je ne suis pas aigrie. C'est tout ce qu'elle a retenu des syllabes crachées par la voix criarde. Prim n'est pas aigrie, c'est une certitude pour elle. Elle ne voit même pas vraiment ce qui pousserait Saint à affirmer une telle chose. Elle frotte son sourcil dans une tentative désespérée de s'apaiser un peu, mais le calme ne vient jamais lorsque Saint est là. Tu me donnes mal à la tête.

Elle s'est toujours demandée comment Saint pouvait avoir si peu grandi. Ça lui paraît presque effrayant, parfois, de voir le même gamin dans un corps bien différent de celui qu'il avait il y a vingt ans. Les mêmes expressions, les mêmes grimaces, la même voix qui porte de manière insupportable. Tu peux sûrement m'illuminer sur les avantages qu'il y a à fréquenter des incapables, parce que moi, je n'en vois pas. Tu ne parais même pas plus intelligent à côté d'eux, à quoi ça sert, alors?
Prim n'a jamais vraiment compris la cécité de Saint, qui semble parfois oublier les étoiles et leur prestige. Et s'il est indéniablement stupide, elle est certaine, elle aussi, qu'il pourrait aspirer à la même grandeur qu'elle, si seulement il ne se sabotait pas pour des raisons que seuls les illuminés qui prétendent que le rang n'est pas si important comprennent. Enfin, si la médiocrité te va.

Prim hausse les épaules, comme si ce n'était pas important, parce que ça ne l'est pas vraiment. Ce n'est pas son travail, à elle, de convaincre Saint de l'évidente importance des étoiles.
Elle attrape sa tresse, avec laquelle elle joue distraitement, les yeux plissés, les lèvres pincées, comme toujours. C'est peut-être pour ça qu'il affirme qu'elle est aigrie finalement. Je n'ai pas dit que j'étais d'accord. J'ai explicitement dit que je n'allais pas dans la forêt avec toi, tu m'écoutes parfois, Saint?
Les yeux roulent à la vue d'une main posée du mauvais côté. Rien qui ne l'étonne vraiment, pourtant. Elle a fini par comprendre qu'il avait sa manière à lui de dire les choses, sa manière à lui de les arracher de son thorax. Et quand bien même elle lui paraît toujours absurde, elle en comprend toujours plus ou moins les subtilités. La plupart du temps, en tout cas.
Je sais bien. Mais on peut pas toujours tout avoir dans la vie, pas vrai? Tu t'en remettras. Les flatteries ne l'atteignent presque plus tant elles sont fréquentes, tant elles lui paraissent presque malhonnêtes. Si certaines finesses de Saint sont devenues évidentes pour elle, elle n'a jamais élucidé celle qui concerne sa ruse et demeure bien incapable de savoir lorsqu'il se moque d'elle.
La mauvaise main se lève encore, fait froncer les sourcils à Prim, qui ouvre la bouche pour relever mais finit par abandonner. La simple remarque poussera Saint à recommencer ses idioties, juste pour la voir s'agacer. T'es lourd.

Avec une frustration à peine dissimulée, Prim soupire, longuement, frotte son visage et râle, ce qu'elle fait de mieux, sûrement. Elle est peut-être vraiment aigrie, décidément. Oui, c'est bon, on ira dans la forêt.

Sa moue se retourne en une farce toute entière. Les plis entre ses sourcils froncent la peau, son rictus s'élargit et toutes ses fossettes mangent sa chair à force de s'incruster.
Prim n'est pas aigrie. Prim est bienheureuse, ça fait éclater Saint de rire mais il se reprend rapidement. Il ne voudrait pas contredire celle qui a toujours raison.

Il en a entendu des tas, de la part de Prim. Tu n'es pas très malin. Tu es vraiment idiot. Tu devrais aller dans les souls-sols. À se faire huer lorsque sa raquette écrase le filet sans toucher la balle, que ses pieds s'emmêlent et qu'il s'écorche le genou assez fort pour finir à l'infirmerie et par défaut, déclarer forfait.
Pourtant, ça lui plaît, de l'entendre hurler Saint tout le temps.
Alors pourquoi s'arrêter, si ça permet à son cœur de tambouriner toujours aussi fort pour ne pas mourir ?

C'est pour te laisser briller Prim. Si jamais j'étais à ton niveau, tu serais foutue. Je deviendrai la nouvelle diva de l'Enclave ! Saint s'amuse à imiter les stars des podiums, marche jusque elle en dandinant le bassin avant de s'arrêter d'envoyer un baiser qu'elle évitera sans doute. Quoiqu'il arrive, j'irai au Paradis et je t'attendrai derrière ses graaaaaaaandes portes. Qu'importe si je suis premium ou pas. On va finir au même endroit.
Saint toise Prim, de haut en bas, un sourcil surélevé et les bras croisés, il se met alors à la fixer. Ils n'ont ni besoin de lever le nez ni de le baisser, ils ont toujours été similaires, avec une taille plus que moyenne, un poids plus que moyen voir trop bas. C'est peut-être la seule chose qui péche certainement, chez eux.
Bien-sûr, Saint écoute religieusement Prim. Il n'oublie jamais une seule de ses saintes paroles et il s'est longtemps demandé, si son prénom avait été choisi pour cette résonance à cette piété qu'il accorde à Prim, de son dévouement envers elle, peu importe ses choix, peu importe ce qu'il adviendra d'eux.


Prim dit non, mais Saint entend oui. Car Prim dit non, mais elle finira par dire oui, si ce n'est pas la forêt qui gagne, ce sera le cinéma ou l'arcade, le tapis de sa chambre à lacer des rubans entre eux avant de les glisser entre ses crins châtains, à démêler les quelques mèches encore humides de la séance sportive.
Il sera là, derrière elle, à compter les constellations de beauté qui parsèment son épiderme - à imaginer la rondeur de la nuque sous ses lèvres, ses doigts qui traversent les omoplates jusqu'à s'arrêter jusque ses clavicules, chatouiller par le parfum fruité qu'elle n'a pas besoin de mettre. Et si je m'en remet jamais Prim ? Tu vas faire comment ?! Tu ne peux pas vivre sans moi. C'est élémentaire, cher Watson. Nous sommes, par la force de l'inexplicable, peut-être du Père Suprême et de son armée intransigeante, faits pour rester le reste de notre vie tous les deux. Saint est proche d'elle, il a délaissé les airs où il s'amusait à faire des gestes pour venir enfoncer ses poignets entre la ramure de son short et de son caleçon, s'amusant à soulever le tissu sur le revers de ses mains afin de lui faire coucou. On est un peu comme les oiseaux, les inséparables je crois. Ceux qui s'aiment pour la vie. Si un jour je me sépare de toi, argh... Nan, Prim.. Priiiim...

Saint agonise, ses bras se retirent en vitesse et il attrape sa propre gorge pour essayer de respirer tout en se laissant basculer vers elle - c'est certain, Saint aurait dû être comédien, il aurait été le favori de ces dames, à l'écran.
Il s'arrête néanmoins rapidement lorsque son épaule touche la sienne et retrouve toute sa droiture ordinaire. Cool pour la forêt. On pourra regarder le coucher de soleil là-bas, entre les rameaux des arbres. Y aura peut-être même une étoile filante. Attend, je m'imagine déjà faire un voeu.
Saint pivote sur ses talons, s'agenouille et soulève ses paumes embrassées vers le zénith. Mes dames étoiles, faites que Prim tombe enfin amoureuse de moi.

Sans dire un mot, il se relève tout en récupérant sa raquette et il tape sans crier gare dans celle de Prim, l'air hagard. Mon cœur jusqu’à présent a-il-aimé ?... Jurez que non, mes yeux... Car jamais avant cette nuit je n’avais vu la vraie beauté.
Il se plaint, se languit. Il envie souvent Roméo, dans cette stupide tragédie qu'il relit à son chevet. Saint en a retenu toutes les tirades de cet amoureux transi, il en a simplement oublié la fin. Il n'a même pas envie d'y songer une fois de plus. Pour eux, leur fin sera heureuse et jamais ternie.

On va finir au même endroit.

Les mots sonnent plus affreux qu’ils ne devraient l’être aux oreilles de Prim. Ce n’est pas la perspective de passer le restant de ses jours avec Saint dans les pattes qui l’embête — quoique l’idée ne soit pas la plus réjouissante et lui donne presque envie de ne jamais voir les portes tant attendues du Paradis — mais plutôt l’idée que les efforts colossaux qu’elle a fourni au sein de l’Enclave ne la différencient pas des autres.

Premium ici, mais le sera-t-elle au Paradis? Ces choses là existent-elles là-bas aussi? Pourquoi s’être autant donné, si le minimum aurait fourni les mêmes résultats? Je sais. Et c’est bien malheureux, on ne devrait pas finir au même endroit, toi et moi. Prim fait confiance. A l’Enclave, à Père. Elle sait que sa loyauté, sa détermination et sa grandeur seront récompensées, d’une manière ou d’une autre. S’ils finiront peut-être, sûrement, au même endroit, leur vie ne sera sensiblement pas la même. Essaie de grimper à mon niveau et on en reparlera après, si tu veux bien. Les actes valent mille paroles, tu sais. Et tu parles beaucoup .

Prim demeure immobile, les mains sur les hanches, indifférente face aux singeries de son ami, comme si elle ne les remarquait même pas, bien trop habituée à ses démonstrations exubérantes. Elle suit le flot de paroles avec attention, bien consciente qu’elle perdrait le fil très vite si elle venait à décrocher ne serait-ce qu’une seconde, ne laisse que ses yeux et ses sourcils réagir ; rouler, s’élever, s’évader. Elle se les arracherait, si elle le pouvait. Elle devrait peut-être faire ça. Ça lui éviterait sûrement de voir des choses qui lui font perdre son temps, le visage idiot de Saint lorsqu’il raconte n’importe quoi et le sait, comme trop satisfait de sa capacité à aligner toutes les lettres de l’alphabet dans l’ordre le plus aléatoire et le plus incompréhensible possible. Qui a dit ça? Prim réfléchit un bref instant, se demande s’il est bien vrai qu’elle ne pourrait pas vivre sans Saint.

Elle le pourrait, c’est certain. Ses poumons continueraient de se remplir d’air sans qu’elle s’en rende compte et son cœur de tambouriner contre la cage qui refuse de le laisser voir le soleil, oiseau en cage auquel elle ne prête que peu d’attention. Bien sûr que tu t’en remettras, arrête d’être idiot. Le reste de leur vie, ça paraît drôlement long. Elle n’est même pas certaine, de pourquoi ils devraient passer le reste de leur vie ensemble. Le cœur de Saint n’est-il pas infiniment différent du sien ; infiniment libre, infiniment plein, infiniment bon et infiniment doux? N’a-t-il pas quitté sa cage il y a longtemps, ne devrait-il pas être admiré comme il admire les couchers de soleil ? Capturé du bout des doigts, embrassé précieusement? Tu n’es pas obligé de tout le temps dire des conneries. Tu as le droit de te taire, des fois, c’est bien aussi. Père ne serait sans doute pas aussi cruel. Il réserverait sûrement Saint aux esprits chauds et ensoleillés, ceux qui le comprendraient sûrement plus que Prim ne le pourrait jamais.

Prim râle, grogne, comme un automatisme, comme si sa gorge se serrerait si elle ne laissait pas ces bruits s’échapper de sa gorge de manière aussi répétée. Elle lève les bras pour le bousculer sans ménagement et recule de quelques pas. C’est toujours à elle de le faire, puisque Saint n’a aucune idée de ce qu’est un espace vital. Abruti. Les mots lui manquent, souvent, toujours. Les syllabes ne s’alignent pas, refusent de s’accorder, et Prim ne peut que rester silencieuse, comme souvent, comme toujours.

Du revers de sa main, elle frappe sa raquette à son tour. Si tu mettais autant d’énergie à être meilleur que tu en mets à être idiot. S’il savait placer ses priorités, s’il savait se détacher de ce qui est futile, de ce qui ne mène à rien. S’il était moins humain, sûrement, s’il n’était pas si incandescent, papillon de nuit qui finira, assurément, les ailes brûlées. On y va pas trop tard, à la forêt, et on reste pas trop tard non plus, j’ai d’autres choses à faire que de chercher des étoiles filantes qui ne viendront pas.

Pas pour elle, peut-être pour lui ; ses yeux les verraient, sûrement, son coeur en entendrait le tintement aigu.

Saint ne se sent ni touché ni affligé par les paroles crues de Prim. Son acerbité ne perce pas un pan de sa chair et son sourire est figé au milieu de sa face.

Jamais l'idée d'un Paradis différent lui était venu à l'idée - jamais l'idée que peut-être, il resterait enfermé ici tandis qu'elle, affublée d'ailes, se serait envolée à jamais, entre les valses des chérubins.
Si son imagination est désormais titillée et l'angoisse ronge légèrement un pan de son grenat, Saint n'y prête pas attention. Je préfère être en-bas et te laisser briller, Prim. Tu le sais pourtant ! Tu oublies toujours tout, c'est fatiguant. Le ton railleur, ses babines s'élargissent toujours plus et ses fossettes n'ont de cesse de se frayer un chemin délicat. C'est sûrement à force de trop sourire, qu'elles sont apparues. C'est sûrement à force d'être trop heureux et de n'avoir jamais connu la tristesse qu'elles sont restées.


Prim mérite d'être lovée toute entière, de ses défauts glaçants à ses qualités ardentes - de sa vaillance empyréenne à sa patience mystique. Saint aime chacun des détails qui parcourent son être et sa chair, des grains mêlés à ses bras qu'à la courbe de ses phrases, de son admiration pour un système qu'il juge défaillant mais dont il préfère ignorer toutes les failles.
Saint a peur qu'un jour les voiles s'échancrent et brûlent, qu'à ses yeux se révèlent un Père Suprême qui n'a jamais été, qui s'est éteint il y a bien longtemps déjà, animé par des agneaux afin de sustenter les fils et filles de la Terre.


Rien ne semble plus intéressant pour Saint que l'harmonie de son cœur au sien - il aime croire qu'à force d'être toujours ensemble, les cœurs ont fini par accorder la cadence, qu'ils forment maintenant une union indéfectible, qu'en éloigner un trop longtemps réduirait les pulsations de l'autre.
Saint ne l'a cependant jamais susurré à Prim, il se sentirait trop bête devant elle qui sait tout, elle, dont la logique régit chacun de ses gestes, chaque chemin de sa vie.
Pourquoi ne pas lui dire, de façon concrète Saint ? Pourquoi s'efforcer à jouer aux jeux des sous-entendus auxquels Prim ne répond jamais ? Auxquels ses yeux font  des roulades d'agacement ?
Ce n'est pas un jeu et pourtant, Saint semble toujours s'amuser à sauter les cases tout en ne jetant jamais le dé, en ne dépassant jamais Prim, en lui laissant toujours de la marge.
Il ne veut pas prendre de l'avance, il veut qu'ils finissent en même temps à l'arrivée, à enlacer les mains et à s'embrasser sous les kaléidoscopes argentés de l'eden. Selon je ! Selon moi ! Selon MA personne ! C'est chimique entre nous, Prim. Sinon pour-quoi, mon cœur aurait fondu contre le tien ? Mmmh ?
Le bûcheron retient un rire plus gras, cette fois. Il voudrait rire à gorge déployée mais Prim ne trouverait rien de drôle encore et finirait par l'achever à l'aide de sa raquette.

Saint se laisse bousculé sans vergogne au milieu du terrain, sous le ciel céruléen et ses arcanes dissimulées, il se demande si Prim croit en ces choses. Les destins liés grâce aux astres, des vies passées et des baisers marqués contre la peau comme des constellations brunes. Lui, il n'y a jamais cru, ne s'y est jamais intéressé - pourtant, quand il regarde le scintillement factice là-haut, il se demande si dehors, elles brillent plus forts. Si les étoiles ont  déjà lié des êtres ensemble, à jamais ?
Ici, ce n'est que pour du faux, alors Saint ne s'attarde pas sur elles - car son amour est bien réel, ne résulte pas du fonctionnement mécanique des rouages et des ampoules. Non. Tu peux pas décider à ma place tu sais. Et je préfère parler, comme ça tu réponds. Sinon tu restes la tête comme ça dans tes bouquins sur les 'pignons.
Il imite Prim tenant un livre, la nuque affaissée et les yeux qui glissent sur les lignes imaginaires.

Quand la frappe fend l'air, Saint hurle et ramène son instrument contre sa poitrine en glissant ses doigts sur les cordes, comme pour calmer les pleurs inventés de cette dernière.
Prim est vive, Prim est réactive, c'est ce qui lui plaît le plus, à Saint. De la voir autant en vie. Oh ! Tu es vraiment méchante, quand tu t'y mets.
Une moue déconfite, Saint ne se prive pas de balancer le sourire et les sourcils. Il approche doucement de Prim, toujours sans la toucher. Ses prunelles grises se calquent au travers de ses jades et Saint peut enfin souffler en cessant son balancement intempestif. Je serais sage comme une image. Tu dois faire quoi après ? Te coiffer pour que tes cheveux soient parfaits demain ? Moi je pense je devrais passer la soirée avec toi comme ça, on joue aux dames. Saint n'a jamais voulu apprendre les échecs - ça lui semblait bien trop compliqué, bien trop long, lui qui ne tenait jamais en place.

Les deux adultes s'éloignent de la court, ses mains s'enlisent contre ses reins tandis que la rondeur de la batte filée tape derrière ses talons. Saint se demande s'il doit lui proposer un cinéma, avant de s'enfoncer au fond des bois.
Peut-être ça le calmerait, peut-être qu'il ne déborderait pas trop sur elle. Après la douche on va regarder un film ? Comme ça ça me fait une petite sieste avant qu'on entame les hostilités !

Prim pourrait répondre tout un tas de choses aux idioties de Saint.

Elle pourrait passer du temps à expliquer, en long, en large et en travers que si elle est aussi haut, ce n'est pas parce que Saint l'a laissé l'être. Elle pourrait expliquer que, quand bien même Saint viendrait, un jour miraculeux, à acquérir la même étoile brillante qu'elle, Prim n'en demeurera pas moins éclatante. Elle aurait pu, mais elle sait que c'est bien inutile, parce qu'il passe déjà tout son temps à lui rappeler que, de toute les étoiles qu'on voit dans l'Enclave, les vraies, pas celles, illusoires, qu'on voit entre les nuages disparates, c'est la sienne qui brille le plus.
Alors Prim, fidèle à elle-même, à ses principes aussi anciens que les murs de l'Enclave peut-être, se tait. Elle hoche la tête, balance les bras légèrement en l'air, laisse, pour ce soir, planer l'idée que Saint et Prim pourraient être sur la même marche, la même estrade, le même podium.

Prim pourrait répondre tout un tas de choses aux prétendus arguments scientifiques de Saint.
Elle pourrait répondre que, non, il n'y a rien de chimique entre eux, rien qui ne résulte d'une quelconque réaction parfaitement naturelle et incontrôlée. Elle pourrait répondre que leur cœur n'ont en commun que le fait d'être un organe, le même, avec la même mission et le même fonctionnement, mais qu'ils sont bien indépendant l'un de l'autre, complètement ignorant à l'existence de l'autre. Ça n'a rien de chimique du tout. T'y connais quoi, toi, en chimie de toute façon? Pas grand chose. Prim ne s'étale pas plus. Pour ce soir, elle laissera planer l'idée que leur cœur ont pu communiquer, échanger, s'accorder et s'enlacer, ou quelque chose comme ça. Elle se gratte néanmoins la tête, laisse ses poumons se vider bruyamment de tout l'air qu'elle inspire inconsciemment. Dans le monde de Saint, peut-être que c'est bien chimique, toutes ces choses là. Dans le monde de Saint, peut-être, ces arguments sont tout à fait scientifiques.

Les pas de Prim sont lents et mesurés, lui permettent de se concentrer sur les mots de Saint, sans quoi elle risquerait de décrocher, faute d'une réelle envie d'écouter des syllabes qui n'ont ni queue ni tête. Elle ferme les yeux pour ne pas les rouler, attrape une mèche de cheveux pour ne pas envoyer sa main valser de nouveau vers son ami.

Elle a compris, il y a longtemps, que leur coeur étaient désaccordés, complètement. Qu'ils ne pompaient pas de la même manière, qu'ils n'avaient pas envie des mêmes choses, besoin des mêmes choses. Celui de Saint n'a rien de chimique, rien de scientifique, rien que Prim ne puisse comprendre. Elle s'imagine l'arracher de sa cage d'os, le passer au microscope, examiner chaque artère, chaque valve, chaque ventricule. Elle se voit disséquer l'aorte, sent les parois sous ses doigts.
Ça l'enrage, presque. D'imaginer avoir ce qu'il y a de plus Saint entre les doigts et de ne rien n'y comprendre. De charcuter le cœur en petit morceaux, de passer le restant de ses jours à l'examiner pour en finir à la conclusion qu'elle ne comprend toujours pas la chimie de son vivant. Oui, parce que y a pas toujours besoin de parler. Tu peux rester avec moi et me laisser lire mes livres, c'est compatible.

Elle râle, tout en sachant que Saint sait se montrer silencieux, dans les moments où c'est nécessaire. Elle râle, tout en sachant que Saint la laisserait lire ses livres si elle en avait vraiment envie. Elle râle, tout en sachant que s'il parle autant, c'est aussi parce qu'elle le laisse un peu faire, juste un peu. On va à la forêt, n'abuse pas non plus. Je n'ai pas envie de passer toute la nuit avec toi, Saint, j'ai envie d'être tranquille.

Elle a envie de dormir, s'allonger, faire le vide, fermer les yeux, et dormir.
Apprécier d'avoir la tête vide, apprécier le néant, pendant un instant, le vrai.

Elle se laissera réfléchir encore un peu, à ce qu'elle pourrait trouver si elle pouvait disséquer l'organe brûlant de Saint, mais elle ne peut pas penser, s'il est là pour parler et l'empêcher d'y réfléchir. Tu sais même pas jouer aux dames, crétin.