amazed

STOP !

Le torse de Luke se soulève, il n'a pas quitté Alfie des yeux depuis le début des hostilités. Ses bras sont douloureux, les crampes lui tenaillent le corps. Est-ce que ce trou du cul a encore utilisé son pouvoir sur lui ? Il l'ignore. Le premium ne détache que difficilement son regard du sans étoile pour rentrer celui du blocard qui, les mains sur les hanches, à l'air excédé.

Ça fait dix minutes que c'est fini les gars, vous êtes sourds ?

Luke fronce les sourcils, un peu confus. Il tourne la tête, cherche les autres membres du club mais il n'y a plus personne.

Vous savez quoi ? Vous avez qu'à tout ranger. Je suis à la bourre à mon rendez-vous à cause de vos conneries. Vous faites chier vraiment, c'est quoi votre problème-là ?

Luke rentre la tête sans ses épaules. Il n'est pas d'humeur à se faire remonter les bretelles, il n'est pas d'humeur tout court.

C'est bon, baisse d'un ton tu veux, je suis pas ton chien deux étoiles.

Il lève le menton, l'air de lui rappeler qui le blocard à en face de lui. Il sent le blocard en face battre en retraite.

Évidemment qu'on va ranger. Va a ton rendez-vous, y a pas de mal.

Luke laisse tomber sa raquette, traverse le terrain pour aller chercher le sac de toile dans lequel on range les balles. Il les ramasse une à une, le visage fermé, le cœur encore tambourinant. Si seulement ce n'était qu'à cause de l'effort physique. Si seulement. Si seulement il ne pensait pas qu'à Alfie, qu'à leur baiser. Des fois, il a le souvenir de leur goût contre ses lèvres. Ça le rend aigri. Fou. Ils n'avaient pas parlé depuis l'incident. La dernière chose que lui a dite Alfie se résume à : je vais me coucher

Depuis plus rien. Rien du tout. C'est à devenir fou.

En passant a proximité du filet, il voit les baskets d'Alfie dans son champ de vision. C'est plus fort que lui, l'aigreur lui monte aux tripes.

Tu comptes en parler ou pas ?

Il lève la tête vers lui. Pas certain de ce qui prédomine le plus chez lui : la peur, la colère, la confusion, le reste.

Et tu comptes peut-être aller te coucher ?

Pff joue pas au con.

Qu'il râle, Luke, en roulant des yeux comme pour adresser une prière exaspérée à un dieu qui ne s'est jamais montré attentif à leur supplique. Évidemment qu'Alfie ne lui dit rien. Luke pourrait tout aussi bien assumer qu'il n'a pas fait de premier non plus. Mais est-ce seulement à lui de le faire ? Après tout, c'est Alfie le premier qui l'avait embrassé.

Embrassé.

Luke détourne le regard, le haut de ses oreilles rouges comme s'il avait pris un coup de soleil. Fait chier.

Non, laisse tomber.

De mauvaise grâce, il repart à la recherche des balles. En attrape une, deux, trois. Mais rien ne l'apaise. Au contraire, plus les secondes passent, pire c'est. Et les heures passées à se taper par raquette interposées n'avaient rien, mais alors strictement rien arrangé. Finalement, Luke se retourne brutalement.

Non, tu sais quoi, je vais parler ouais et tu vas écouter.

Il tire sur le sac pour y jeter les trois balles avortées. Après ça, il y aura les raquettes, gourdes, serviettes et autres équipements que les plus négligés du club ont laissés derrière eux.

"Je ne t'aimes PAS" imite-t-il. La voix d'Alfie résonne dans sa tête non-stop depuis 6 jours déjà. "Je te déteste tellement !" je te cite. Et la minute d'après tu me roules une pelle je- Je dois le prendre comment ?

Il ouvre les bras plein d'incompréhension. Ce soir-là il n'avait pas compris. Il avait simplement réalisé qu'il en avait rêvé, qu'il en avait envie et que ça datait de bien avant le labyrinthe et Mia.

Et après t'annonces que tu vas te coucher et tu m'évites depuis ? Putain de merde, Alfie !

Il va pour élever la voix, mais se retient. À la place, il jette un regard prudent autour d'eux, comme pour vérifier que personne n'espionne. Puis il baisse d'un ton.

Est-ce qu'on peut revenir sur le fait qu'on s'est embrassés ?

Luke hausse un sourcil, une main sur la hanche et l'air de dire "ah bon ?". Et c'est étrange, vous voyez. C'est étrange parce que de loin, ce tableau on l'a déjà vu exposé. Ce sont les mêmes mimiques, la même alchimie chien et chat d'autrefois. Et au fond, ça met Luke mal à l'aise. Le passé il l'a compris comme étant impossible à retrouvé. Ils se sont dit qu'ils se détestaient, après tout.

Alfie aussi hausse le ton... Avant de le rebaisser. C'est un secret qu'ils murmurent (qu'ils se crient en silence).

Toi tu voudrais qu'on se tienne la main comme deux débiles ?

Il est décontenancé, Luke. Sait pas vraiment ce qu'il, ce à quoi il peut prétendre. C'est bordélique et il ne sait pas par où commencer pour y mettre de l'ordre. L'idée de tenir la main d'Alfie lui fait détourner le regard, les doigts agités, quand la mention de sa participation au baiser, elle, le fait bondir.

Hé ! Scande-t-il scandalisé. D'abord j'ai pas-

Il fronce les sourcils, même lui ne peut pas mentir aussi facilement. Luke pianote nerveusement contre ses cuisses, crache comme seul moyen de défense.

T'en as bien profité aussi. Il ose revenir à lui, à ses boucles blondes, son air boudeur, ses putains de yeux verts. À croire que ça t'a plu.

Il le défie du regard. Qu'il ose dire la vérité pour voir.

Ça t'a plu ?

C'était ok

Merde. Voilà ce qu'il se passe quand on joue à un jeu dont on ne comprend pas bien les règles. Luke détourne le regard, pianote nerveusement sur ses cuisses, soudain pris de bougeotte. Il tuerait pour aller courir chercher son rubik's cube dans son casier, trouver le refuge apaisant d'un casse-tête. Sa fierté l'en dissuade.

Je vois.

Évidemment, ça ne signifie rien ! Luke bondit sur l'occasion, hoche la tête. Ouais, c'était rien. Strictement rien. Mais il ne sait pas vraiment, Luke, s'il est ne serait-ce que capable de revenir à ce qu'ils étaient avant. Il fronce les sourcils, ne sait pas trop comment prendre qu'une partie de lui se sente... Vexée.

Rien ne change hormis que tu m'aies poli la glotte avec ta langue mais, ouais, bien sûr.

Il hausse les épaules. Alfie franchit la barrière qu'est le filet et ça suffit à le mettre en alerte. Il le suit du regard, avec cette expression méfiante et sérieuse. Il s'attend à un coup, refuse de conscientiser qu'il espère un autre baiser. Faut qu'Alfie ouvre la bouche que Luke chasse ses pensées intrusives. Il écarquille doucement les yeux. Regagner ses étoiles. Redevenir premium.

Et tu comptes réaliser ce petit miracle en cinq mois ?

Le projet est fou, impossible.
Pourtant, Luke sourit. Avec la même expression qu'à l'époque des défis.

Bah vas-y boucle d'or, viens me virer de ma chambre.

Il s'approche de lui, bombe légèrement le torse, baisse encore plus la voie quand il se penche.

Après des semaines à pleurer dans ton coin j'attendais que ça, que tu te sortes les doigts du cul.

Oh oui, il n'attendait que ça.

Que tu me montres que t'as pas que de la gueule.

Ce n'est que lorsque son doigt frôle la cuisse d'Alfie que Luke se recule brutalement. Il tourne des talons. Pour passer derrière les bancs, à l'ombre, ramasser éventuellement ce qui y traîne.

Quel con, le roi des cons, à mener des guerres qu'il n'a pas les armes de gagner.

Dans son dos, il entend sa voix.

J'ai pas brûlé TOUTES tes fringues !

Seulement celles impersonnelles, celles qui n'évoquent rien. Et il pourrait lui parler, Luke. Des étoiles qu'il a remise au plafond, de comment il vit dans un mausolée à son souvenir. Luke accélère, il a besoin d'air. Il a suffi qu'il frôle sa peau pour perdre tout son ego. Et lui qui gonflait le torse il n'y a même pas une minute pour rétablir l'ordre. Putain, qu'il est con. Qu'est-ce qu'il se déteste.

Il manque pourtant bien de s'arrêter quand la voix d'Alfie résonne pour la seconde fois. L'aveu le meurtrit, le transperce. Il sent sa gorge se nouer, son menton trembler. Mais Luke est lâche, trop lâche, préfère accélérer le pas. Il ne perçoit que trop tard le bruit de pas derrière lui. Son poignet est attrapé, lui tiré et avant qu'il n'a pu crier, il y a de nouveau les lèvres d'Alfie contre les siennes. Ses baisers ont toujours un goût de sel. Est-ce qu'il pleure à chaque fois qu'il embrasse ou est-ce que c'est juste pour lui ? Merde. Lui aussi il pleure, exactement comme la dernière fois. Au point où il en est, Luke se dit bien.

En vrai, pourquoi pas sauter ?

Alors d'accord, Alfie. On saute.

Tu fais chier.

Il attrape son poignet et le tire jusqu'aux gradins à l'abri des regards. Dans l'ombre, au milieu serviettes tombées et des déchets trop facilement oublié, Luke l'embrasse. Pas en réponse, juste une déclaration. De guerre; évidemment, parce qu'ils ne savent que faire ça. Alors même que Luke mêle ses doigts aux siens.

J'ai brûlé tes fringues parce que t'étais mon putain d'univers et que tu n'étais plus là.

Il recule, lâche un rire sec, bref.

J'ai recollé tes putains d'étoiles sur mon plafond. Alors tu peux la reprendre ta putain de chambre, c'est pas comme-ci elle avait changé depuis la dernière fois que t'y a mis les pieds.

Il hausse les épaules, les joues baigner de larmes.

J'avais tellement besoin de toi.

Il attrape son col, front contre front encore.

Alors pourquoi on était pas là ?!

Il le repousse, quitte ses doigts.

Et si j'ai pas envie que tu y arrive sans moi, Alfie, on fait quoi ? Si j'ai pas envie de te laisser tranquille ? Si j'ai envie d'empoisonner toutes les sphères de ta putain de vie, juste pour te faire chier, juste pour que tu ne puisses jamais tourner la page et franchir la porte ouest sans penser à moi ? Si j'ai envie de pas être le seul à avoir mal, on fait quoi ?

Quand il regarde, c'est avec une intensité qu'il n'a jamais eue.

Parce que j'ai pas envie de te laisser gagner, tu vois.

Il tait ce qu'il a toujours pensé : J'en ai assez de te voir tout le temps gagner.

A l'ombre des gradins, personne ne peut les entendre. Ça ne l'empêche pas de baisser le ton, les confidences sales effleurant leur bouche. Luke des yeux, l'impression d'un dialogue de sourd où Alfie se donne une place que Luke ne parvient à comprendre. Le premium claque la langue contre son palais, les poings sur les hanches. Ça lui semble trop simple.

Tu as été plutôt clair sur le fait que tu pouvais plus me voir en peinture, s'cuse moi de respecter tes souhaits.

Il pue la mauvaise foi, n'a plus que ça quand il a encore le seul des larmes d'Alfie sur ses lèvres.

Tu parles sans savoir, c'est ta spécialité.

Les accusations lui font mal, Luke se penche, siffle entre ses lèvres.

Tu n'as jamais été une menace pour moi, Alfie.

Il n'a jamais voulu lui donner cette place. Non, c'était plus complexe. Mais pas assez pour qu'il est la sagesse de ne pas le cracher. Le regard d'Alfie à ce pouvoir sur lui.

Mais tu as raison. Il se penche un peu plus souffle le secret. J'aime te voir en dessus de moi, parce que ce n'est que quand tu es inférieur aux autres que tu leur donne un minimum d'importance.

Il se redresse, soupir.

Qu'est-ce que tu attends de moi exactement ? T'as besoin d'un monstre à abattre ? D'un rival qui te prend au sérieux ? Le panic t'as pas suffit ? T'as des troues de mémoire où je dois te rappeler la cabane ? Me semble avoir été plus que clair.

Ça n'a toujours été que lui.
Juste lui.

C'est qu'il n'écoute pas. Peut-être qu'ils n'en sont plus à ce stade, peut-être qu'ils ne l'ont jamais été. Ils en ont passé, des nuits, des journées à parler pourtant. Mais depuis que la gloire a auréolé la tête dorée d'Alfie, ce n'est plus comme avant. Et depuis que Luke a arraché la couronne par jalousie et amour : c'est pire. Bien pire.

Le tracé de l'index contre son torse lui fait retenir son souffle, les lèvres fermées, l'expression figée, contractée, comme-ci cherchait à faire passer une douleur ou une sensation déplaisante.

Visiblement, une heure sous terre ça t'a foutu des troubles de la mémoire sévère.

Lui, ça n'a été que lui. Ça a toujours été que lui au point qu'il n'a rien vu de la détresse de Saki, au point que sa seule absence soit un prétexte pour que tout foute le camp. Quand il le regarde, il est partagé entre l'envie de lui tu me manques et le besoin de le pousser.

Ça lui fait peur, à Luke, de n'être plus dans les plans. Ça lui fait peur, à Luke, qu'il soit le seul à faire de l'autre son centre de gravitation. C'est qu'il n'a pas choisit, c'est qu'il aimerait bien s'en penser. L'idée qu'Alfie y parvienne et non lui, il ne sait pas, Luke, mais ça le frustre, l'énerve. Être le plus mordu des deux est aveux de faiblesse.

Luke ne peut pas être faible.

Il glisse sa main contre le poignet d'Alfie, glisse un regard dont il peine à retenir les feux brûlant.

T'aimes me faire tourner en bourrique, avoues ? C'est ta façon de te rendre justice.

Il hausse doucement les épaules, merde, ça l'électrise, mais son pouce ne parvient pas à ne pas caresser les contours osseux de son poignet.

Parce que c'est moi, hm.

Il le déteste. Alfie a toujours été meilleur à ce jeu que lui.

Ok. Faisons un deal, Alfie.

Sans lâcher sa main il tapote son oreille pour ouvrir son nexus, pour consulter rapidement le calendrier.

Si d'ici les prochains jeux t'as gagné une étoile, je te rachèterais la totalité de tes affaires que j'ai brûlées ou jetées.

Il n'a pas conscience Luke, qu'il transmet en ce moment même le plaisir physique qu'il ressent à caresser du pouce sa peau.