amazed

C'est ce qu'on entend au travers de sa poitrine si on y dépose l'oreille très près.
C'est ce qu'on entend au travers de sa poitrine si on fait assez attention aux battements réguliers qui maintiennent Saint en vie.
Le coude accroché au dossier de leur banc, Saint a parlé pendant des longues minutes, de très longues minutes. Il n'a pas une seule fois écorché le prénom de Prim, il l'a prononcé dans toute une minutie noble et exquise qui le ferait déjà saliver s'il n'avait pas tout utilisé.

Je comprends pas pourquoi elle ne veut pas de mon amour. J'ai tout essayé. Même de lui proposer de s'embrasser derrière les arbres de la serre... C'est quand même romantique, les fleurs, les p'tites abeilles et les papillons qui volent là. Non ?

Dans une sincère incompréhension, Saint observe Armel qui ne s'est pas plaint une seule fois depuis le début.
Sûrement car il s'est habitué à des jérémiades incessantes de la part du garçon.
Sûrement car il n'a rien de mieux à faire.
Il n'en sait rien, Saint.
Mais ça lui convient, qu'il soit contemplatif de la situation et que lui, puisse avoir tant à dire sans jamais se faire contester.

Armel. T'as déjà eu des copines ? Ou des copains ? Pitié, à l'aide. Il faut que tu me sauves de ce naufrage. Dans un geste frôlant le tragique de ces comédiens théâtreux, Saint dépose le revers de sa main contre son crâne et se laisse basculer vers l'arrière avant de se ressaisir, le regard plongé sur lui. J'ai appris le nom de ces champignons par cœur. J'en ai même trouvé dehors là, j'devrais déjà lui avoir filé la bague au doigt !

Il veut bien scander son amour envers elle à qui le veut. Pour aujourd'hui ce sera Armel.
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Saint est certain. Il peut réciter sur le bout des doigts les éléments qui font tousser Prim, ceux qui la font frémir et ceux qu'elle voudrait voir disparaître
Saint représente les trois à la fois, quoique le dernier semble être d'une actualité permanente, il préfère poser des œillères et ignorer les signes.
Tu veux que je me tue devant toi Armel ? Je demande des conseils, pas que tu me foutes les j'tons.


Si Armel est de bon conseil, peut-être que Saint ne veut en entendre aucun, il aurait préféré être bercé dans ses mirages vacants. Et elle t'a supporté ? Elle est plus courageuse que moi, je me serais déjà tranché la gorge dix fois en t'écoutant faire le je-sais-tout. Dans une carrière d'acteur raté, Saint mime un étranglement et des yeux révulsés avant de sourire et de revenir s'accouder, tout proche d'Armel. J'déconne. Pardon Armel. Je m'emporte mais Prim, c'est comme une fleur sauvage. Belle, si belle que tu veux attraper la tige pour t'en faire une parure et ah ! Elle pique, elle gratte, ça fait mal. Mais tu essaies encore jusqu'à que tes doigts saignent. Et tu y arrives pas évidemment.

C'est d'un pathétique tragique, cette histoire d'amoureux transi. Saint s'en rend compte mais il ne peut s'en défaire. Prim est sa raison d'être, la raison qui maintient toute sa carcasse halée en vie. Comment ça ? Bien-sûr que je veux toujours la satisfaire, c'est ce qu'on fait quand on aime quelqu'un. Mais Saint n'a jamais autant ployé l'échine que pour elle. Il ne s'est jamais efforcé de maintenir le contact avec toute l'Enclave pour se faire apprécier, car sa seule présence était assez pour ne jamais ressentir la solitude.
Je comprends pas le problème. C'est pas bien que je lui propose des sorties pour trouver des champignons et que je la laisse gagner au tennis ? Saint est aveuglé par un amour sauvage, dévoré par ce désir sulfureux de n'être qu'à elle.
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Saint est affalé contre le bois de chêne poncé, ses doigts ont l'habitude des écorces raides et des échardes qui transpercent sa pulpe.
Peut-être qu'avant la fin de sa vie, avant d'entrer au Royaume, il deviendra ébéniste, fera des édifices que tous réclameront mais qu'il n'offrira qu'à elle.
Alors Saint rêve un peu, il en rêve si fort que ses paupières grincent et ses prunelles roulent vers l'arrière de son crâne.
C'est pourtant tout un séisme qui fait trembler sa carcasse ! Ses os chavirent et sa nuque part à l'avant, sa langue se coince entre les incisives et Saint râle à haute voix. Aïe ! Tu pourrais prévenir merde ! Sa paume se glisse là où la claque a rugi. C'est une opportunité raté de ne pas avoir fait profiter de ses talents d'acteur, il n'en démord pas.
Une œillade en coin et Saint se referme faussement, ses bras se croisent contre son thorax et il étend les jambes devant lui sans se soucier des blocards qui manquent de trébucher et qui râlent à voix haute.

Saint s'en fiche car Saint a besoin de s'éparpiller pour ne pas exploser à force de réfléchir trop fort.
Mais Saint ne peut pas s'en fiche éternellement. Son palpitant hurle à Armel de se taire, sa raison cloisonne les échos et s'insère doucement entre ses pensées, Armel a raison et il faut s'y faire. Je te déteste, Armel. Toi et ton métier de merde.
Saint s'enfonce un peu plus au fond de la banquette, il aimerait pouvoir rétrécir et se faufiler entre les planches qui maintiennent les deux carcasses. Tu sais quoi Armel, je veux pas te répondre.
Saint se braque, ses sourcils froissent la glabelle et il enfonce au fond de ses orbites son pouce et son index. Je suis très modéré Armel. Je fais juste en sorte que Prim m'aime autant que je l'aime, c'est tout. Je vois pas en quoi je fais les choses mal ou de façon trop... Trop ! C'est juste vous tous, qui savez pas aimer convenablement, j'y peux rien.

Ce n'est pas lui qui en fait trop, ce sont les autres qui ne savent rien du véritable amour, de ses sacrifices et de ses étrennes.
Évidemment qu'elle est heureuse avec moi. C'est certain. Pourquoi elle le serait pas ? C'est débile, ce genre de question.


Son corps se penche finalement vers l'avant, son nez glisse dans l'interstice de ses paumes jointes et Saint tape des pieds. Tu m'énerves Armel !! Je peux pas venir vider mon sac sans que tu veuilles me faire la morale.
Saint sait qu'il a probablement raison. Mais Saint ne peut pas s'y résoudre, que ferait-il désormais, s'il devait abandonner tout cet amour qui fait circuler son sang à travers ses artères jusque son cœur ?

Saint n'a jamais été véritablement un esprit brillant. S'il s'est élevé aussi haut c'est purement par loyauté.
Saint n'a jamais été un esprit vivace, apte à apprendre de lui-même. S'il s'est élevé aussi haut c'est simplement grâce à elle.
Ses efforts sont constants, il n'a de cesse d'apprendre et de découvrir mais ça n'a jamais été par gaieté de cœur et par amour des connaissances. Saint est un esprit naturellement sauvage et intrépide qui s'ajuste à son entourage, qui s'oublie pour les autres.
Si ça n'avait pas été Prim, peut-être ça aurait été quelqu'un d'autre.
Si ça n'avait pas été un autre, ça aurait été tout à lui. Saint se serait concentré uniquement sur lui et aurait apprécié sa condition d'humain un peu plus.


Il a l'habitude quand la tristesse l'envahie de façon imminente et désordonnée de trouver refuge chez Prim. De se taire et de serrer sa main au creux de la sienne, comme quand ils étaient petits, comme quand ils seront grands, comme quand ils ne seront plus.
Quand les os auront péri et qu'ils se trouveront l'un à côté de l'autre, dans les tombeaux de minuit.
... Je comprends pas. Elle est plus heureuse avec les champignons toute seule je suppose. Elle se plaint tout le temps quand je suis là parc'que j'fais pas attention où je met les pieds. Mais c'est pas ma faute si ces trucs se cachent sous la mousse ou que le lichen compte comme des foutus champi' ! Saint n'aime pas, les champignons et ça, il en est certain. Mais ça l'enrage de devoir le dire à voix haute.
S'il n'était pas réellement agacé, désormais c'est un blizzard qui tourbillonne au fond de sa gorge. Son regard porte au loin, il ne veut plus croiser les yeux perçants d'Armel.

Mh. Sûrement. Sauf que je lui propose toujours, de sortir avec moi. Pourquoi elle refuse toujours ? Ses mains viennent râcler ses pommettes jusque l'arrière de son crâne, ses phalanges plongent entre les boucles ébènes. C'est un raz-de-marée soudain qui noie Saint, son cœur offert entre ses paumes s'est écrasé à ses pieds et désormais il ne sait plus quoi en faire.
Saint n'est jamais désemparée face aux autres. Alors pourquoi se sent-il aussi défait devant elle ? Je veux pas y penser Armel. Je l'attendrai derrière les portes. Je resterai ici jusqu'à qu'elle me rejoigne. Et si elle partait avant alors j'irai avec elle. C'est ce qu'on fait quand on aime quelqu'un. On le rejoint.

Le garçon détend son échine afin d'être à nouveau droit et la tête toujours basse, il observe la corne contre la pulpe des doigts jusque son intérieur.
Saint est calme mais il n'a plus envie de parler à Armel ni à qui que ce soit, pas même à Prim. Il se sent bête, tout à coup. Incompris.
Elle est où, ta femme Armel ? Comment t'as fait, sans elle ? Finalement Saint s'ose à le regarder, l'air abattu et les yeux brillants.

Il a besoin d'aide.

Ses doigts puisent inlassablement dans le creux de ses paumes, ils s'enfoncent et cherchent à percer la coque dorée. Cependant, il faudrait que Saint s'arme de ses phalanges osseuses afin d'en extraire la gerbe rouge, de sentir toute la chaleur se dégager de cette plaie nouvelle pour s'imaginer l'enlacer.
Au lieu de ça, il n'y a que la grêle qui arpente le couloir des veines, fait frissonner son épiderme à chaque respiration abrupte qu'il reprend. Penser à Prim provoque des émois véritables, ceux dont les anges n'ont pas connaissance, ceux dont Lui, là-haut, n'a jamais eu idée.

Armel lui semble brillant, à avoir sous la langue des paroles extrêmement sages, plus que Remy, sans jugement.
S'il avait toujours apprécié Remy plus qu'Armel, la tendance s'était inversée depuis peu - Saint qui n'a jamais aimé qu'on lui piétine ses régalias. Que je ne lui ai jamais offert ? Comme quoi ? Je lui ai tout offert, mon amour, mon attention, des cadeaux et des mots. Il omet les tendresses, car Saint n'y a pas songé. Ce n'était pas naturel pour lui, d'effleurer les reins ni même les gorges - avec Prim, il l'avait parfois imaginé, entre l'aurore et le crépuscule mais le vice s'était rapidement échappé. Je pense qu'elle s'en moquerait. On tient l'un à l'autre, peu importe notre rang social.
Prim est peut-être un brin prétentieuse, mais il sait, Saint, que de tous, ici-bas, elle est la plus résiliente. Prim n'a peur de rien ni de personne, si l'un d'eux derrière ces murs peut prétendre à un avènement certain - c'est bien elle.
Saint acquiesce néanmoins - il est prêt à entendre parler d'Armel et non de Prim. Seulement pour cette fois, la prochaine fois, il devra encore entendre toutes les louanges à sa reine.

C'est triste. Tu n'as jamais songé à refaire ta vie ici ? À te trouver quelqu'un ? T'es grand, t'es beau, tu parles bien... Y a forcément quelqu'un de pas nette qui voudra de toi. L'ivoire de ses dents contrastent lorsqu'il sourit et ravale son rire.
Lui, lui, Saint, s'il ne s'était pas dit la prochaine fois, il lui aurait assuré qu'il serait parti en même temps qu'elle, que le Paradis aurait été leur.
Mais il lui semble que tous ne laisse pas l'amour régir leur vie et Saint trouve ça drôlement tragique.
Car lui, il mourrait, sans tout cet amour qui pulse au travers de sa poitrine.

Enfin, t'es pas si malchanceux. T'as eu quelqu'un à aimer, c'est déjà bien. Y en a ici qui connaîtrons jamais ça, et je les plains. Beaucoup.

Saint n'a pas pensé à et si.
Et si cet amour ne venait jamais à se réaliser ?
Et si combien de fois ?

Saint ne saisit pas tout - ça semble pourtant si facile pour Armel, de comprendre le moindre de ses problèmes, les liens emmêlés que prend son cœur.  
Il n'aurait pas aimé être à sa place. Devoir sonder les esprits, deviner les peines, trouver des solutions qui sont claires et précises, qui ne rendront pas les choses plus abominables.
Saint est trop centré sur lui-même, pas par égoïsme avide mais par un désintéressement habituel des autres, d'un monde qui tourne quoiqu'il arrive - en sa présence ou non.
Ce n'est pas une partie de plaisir d'afffronter ses propres problèmes - à quoi bon émulsionner ses mourrons à ceux des autres ? Autant garder les siens pour soi, au fond du poitrail - ignorer ceux des autres.
Il n'est pas assez humain pour ça, Saint. Il est trop lunaire, la tête à l'envers, le cœur de travers. Les pulsions qui le font survivre sont primaires - relèvent d'un amour trop pur pour pouvoir subsister ici. C'est peut-être pour ça, que ça ne fonctionne pas correctement. Ailleurs, Prim aurait déjà succombé.

Qu'est-ce que j'ai oublié de lui offrir, alors ? Elle a mon temps et mon attention. Même mon coeur est posé entre ses mains ! Je lui offre volontiers, tu veux que je te le prouve ? Saint tape doucement le côté droit de sa poitrine, là où il entend faiblement le tambourinement abrasif du palpitant. Il pourrait, là, maintenant, se l'arracher et lui montrer que tout est à Prim. Qu'il ne reste rien d'humain chez Saint. Tu m'énerves, Armel ! Je te demande pas une solution.

Mais il en réclamait une, pourtant.
Mais il en réclamait une, franche et sans fioritures. Une qui ne venait pas corrompre sa propre vision des choses, une qui ne le mettait pas en porte-à-faux.
Armel s'est comment s'y prendre et sa nuque balance dans un mécontentement enfantin. Il écoute cependant - car Saint est attentif, quand les plus grands causent. Il le doit.
Non, non. J'ai pas six ans, pour passer par mes petits copains... Son visage rougit - il n'est pas un enfant ! Il est grand et costaud, sait trancher le bois à la seule force d'une main, il pourrait même trancher les gorges d'une phalange.
Puis il écoute tandis que ses jambes s'étendent, que tout son corps flanche un peu.
Peut-être avait-il raison, mais les relations paraissent toujours plus courtes qu'elles ne le sont vraiment.
Quand Saint regarde Prim, c'est comme s'il venait à peine de la rencontrer, comme si son cœur commençait à peine à battre.

La paume sainte du psychiatre accole son dos, Saint n'aime pas ça. Il frémit et par réflexe, s'écarte en grimaçant. Il ne veut pas le dire à voix haute, que le contact est une infâmie pour lui, que même les appendices royaux des princesses peinent à approcher sa carne.
Saint préfère être le premier à effleurer les autres, à se les approprier. Il ne veut pas que l'inverse arrive. Parce que c'est cet amour-ci, qui me fait vivre. Tu comprends pas, Armel. Peut-être un jour tu aimeras autant que j'aime Prim. Tu peux pas dire que t'as aimé tant que t'as pas senti ton cœur mourir une première fois, quand elle t'a souri. Saint s'approche doucement et murmure, dépose la paume de sa main contre le poitrail d'Armel, du côté correct du palpitant cette fois-ci. Moi je l'ai senti s'arrêter, quand elle m'a regardé pour la toute première fois. Et puis quand elle m'a parlé, il a commencé à battre à nouveau. C'est là que j'ai su, que Prim, c'était pas juste un coup de foudre comme ça.

Elle était son souffle, le sang à travers ses veines, la chaleur au fond de son ventre, les étoiles tombés en fragments à ses pieds, la solitude qui brûlait sa langue quand il ne pouvait pas chanter son nom.