amazed

quelle est la distance idéale entre les deux pieds quand on marche, quand on marchande ? si le temps presse, on peut s’autoriser plus de vingt centimètres, mais sinon au delà de dix, c’est malpoli, Maman qui l'a dit ! Elys a trouvé le moyen de dévier le stratagème, il n’a qu’à simplement s’envoler. la casquette soigneusement ajustée, elle est parée de plumes pour mieux se camoufler parmi les oiseaux. si l’un d’eux lui demande si ce sont des véritables, il répond fièrement que oui, des vraies plumes d’hippopotame!

sur les chemins de l’Enclave, il avance à grands pas - vingt-six centimètres -, les mains croisées dans le dos, car c’est ainsi qu’on s’y prend pour retrouver Dani. on peut aussi venir le voir en marchant sur la tête ou au volant d’une brouette - Elys met des guirlandes sur les contours de sa venue pour laisser nues les vraies raisons de son voyage. il prend soin de stocker ses folies, pour en extraire les plus pures avec Dani. Elys est heureux, très heureux, quand on apprécie ses soliloques tangibles. cela lui donne l’impression de grandir, grandir, grandir jusqu’à toucher les nuages. là-haut, il en glisse des petits morceaux dans ses poches pour y goûter plus tard. hop là ! vite, il se force à tout remballer, se rappelle que ses frivolités sont à garder.

Elys est joyeux à l'idée de retrouver Dani. si Elys ne voit pas Dani, il prend le risque... le risque de quoi ? juste le risque. le risque de prendre le risque. Elys n’a pas peur des risques, on lui a même dit qu’aller voir Dani était risqué, mais le vrai danger, c’est de croire aux mises en garde. et puis, on ne se cache pas, car se cacher, c’est enfermer le rêve, et enfermer le rêve, c’est inviter le cauchemar. Elys l’a déjà expliqué à Dani, il lui a dit : si tu veux on peut s’allonger dans l’herbe, moi c’est comme ça que j’aime faire. on est un sandwich entre le ciel et la terre et on se fait manger sans dentier - on nous avale sans vergogne et on glisse sur le toboggan de la trachée. t’as pas peur, hein ? pas vrai que t’as même pas peur ? il le voit bien Elys, que Dani adore ça, glisser et rouler et toucher du bout des doigts la croisade de toutes ses apogées.

ils se retrouvent sous le soleil qui clinque. Dani. on plante quoi aujourd’hui ? des mains droites ou des tables en lin ? c’est pour semer des saluts et des tabliers. Elys baisse les yeux sur toutes ses bagues, agite ses quinze doigts car il faut toujours prévoir du rab. allez viens, on s’y met. et t’endors pas cette fois, c’est moins drôle après. t’as mis de la crème solaire ? il échange un bout de rêve contre un soupçon de bonne fortune. ils repartent invariablement avec un petit morceau de l’autre au creux du cervelet. ça rassure Elys d’avoir Dani, il a l’impression que rien ne peut lui arriver - c’est le bouclier loin d’être assorti à son armure préférée.

sans crème solaire on s’allonge, le dos vers le ciel, les yeux rivés sur l’immensité. on ferme les paupières, histoire de mieux fuir notre carapace. l’âme, elle, n’a pas de cloison à brûler ! on prétend que le sol sous nos pieds est le foyer des flammes, mais en vérité, c’est le firmament qui déverse son brasier sur nous ! aujourd’hui, nous sommes des biscuits dans un four, la peau rousse et les cheveux dansants en petites flammes colorées sucrées. ça lui va bien, à Dani, de briller, de cramer, ce feu follet. Elys se dit même qu’on l’a sûrement amené ici pour ça. pour illuminer et éblouir, il le fait trop bien pour que ce ne soit pas inné. et puis là dedans, à l’intérieur même de Dani, c’est lumineux aussi, il le sait à l’entente de toutes ses idées ; oh ouais ! t’as raison ! je savais que tu serais un jardinier super doué ! regarde oui, ça tombe bien, Elys a des graines d’arbres miroirs au fond de sa poche, elles sont minuscules dans le creux de sa paume, ressemblent à des cailloux que l’écume rapporte en secret. c’est joli, non ? il échangent un sourire, comme toujours. on se donne et on se prend tout, on ne demande jamais vraiment rien, il suffit de se montrer pour s’émerveiller. planter des arbres miroirs, puis attendre une minute et vingt-deux secondes pour les voir grandir - si rapide car ce sont de ceux qui aiment se dévoiler. les fruits sont toujours uniques, tout comme les reflets de chacun.

Elys se perd dans les échos de son image, ignore comment il se dépeint ou comment il rêve de se transformer. peut-être qu’il voudrait bien te ressembler, Dani ? il te trouve tout beau à la manière des étoiles échouées qui ne savent plus où naviguer, et si on lui demande il répond toujours Dani ? il est cool, tu trouves pas ? pourtant, dans son miroir suspendu, Elys a la tignasse qui traîne et les cils papillons — ah, la voilà ! bonjour ! cette Elys-là a un rire espiègle qui plie ses yeux en petits feuilletés croustillants. elle désigne Dani du doigt. mais tu brûles déjà ! et c’est vrai, tu te consumes comme une torche flamboyante, ça se calme assez vite, et alors tu deviens un petit cierge d’autel. oh ? comme c’est étrange, on ne t’a jamais vu ainsi, Dani. tu sais comment te dompter ? tu ne veux plus être l'incendie de toutes les contrées ? Elys s’inquiète et pose sa main sur ton front puis s’exclame encore : tu es brûlant ! c’est une évidence, il faut seulement le dire très fort pour que cela semble encore plus réel. et aussi pour effrayer la maladie. mais surtout pour reprendre la main sur ses propres inepties tandis qu’elles se rendorment trop vite selon lui.

il existe un remède contre la fièvre des enflammés qui ébouillante les fournaises : on dit qu’il suffit de la dévorer. c’est ce qu’Elys tente d’expliquer, finit par un geste dramatique, une main sur l’épaule et un air de professeur à monocle je vais te montrer ! ensuite, il faut saisir une flamme délicatement entre le pouce et l’index, un peu comme on attrape un nuage de lave en fusion. et puis ! et puis ! et puis ! on avale tout, sans attendre, sans hésiter. regarde bien, Dani, tu vois comme la flamme descend en tourbillonnant le long de la trachée, comme elle illumine les parois d’épiderme ? elle aussi aime se montrer. tu pourrais tenter de l’imiter, et alors ! et alors ! et alors que, peut-être, tu verrais tes souhaits exaucés.

les visages, ce ne sont pas des machines, non... plutôt des horloges anciennes. le pendule des iris oscille doucement d'une tempe à l'autre, et malgré le tic-tac inlassable qui résonne au creux de ces mécanismes, près de Dani, le temps se suspend. Elys le sait — il le sent dans l’effondrement des nuages, dans le murmure lointain de la mer qui se tait soudain, dans les oiseaux qui tombent tout autour d’eux, comme des feuilles mortes. voler devient impossible quand la vie cesse de tourner. entre eux gît un moineau, tombé lourdement, dans un fracas sourd et final. le silence envahit le monde.
et là, dans la machine plus complexe encore, celle qui garde prisonnier le cœur d’Elys, tout s'arrête aussi. les rouages se figent, tirent des larmes à ses yeux. l'oiseau n’est plus, l’univers se tait.
mais Dani, lui, reste. immobile, inaltérable.

je m’inquiète un peu — et juste un peu ! c’est qu’Elys ne veut pas que Dani s’efface, qu’il glisse entre les doigts du temps comme un rêve au matin, qu’il se perde dans les dédales de leur débordement. alors, égoïstement, elle voudrait en garder des morceaux, des éclats, juste pour elle. ça la surprend, ce besoin qui bourgeonne en elle, mais qu’importe. la passion, après tout, dépasse les digues de la raison et de la prudence, emporte tout sur son passage. quand ils se frôlent, quand Dani est là, Elys sent bien que quelque chose se dérobe en elle. le contrôle vacille, chancèle sur des bases fragiles. avec Dani, s’oublier devient presque naturel. c’est comme s’abandonner à la danse des oiseaux diluviens — s’effondrer, se relever, mourir et renaître dans un même souffle. ce ballet d’oubli et de retour à soi l’amuse, cette absurdité les habite, et cela la rend étrangement heureuse.
car c’est justement dans le flou, quand les contours de la réalité se brouillent, que Dani devient le plus tangible. son visage se transforme, ses cheveux glissent en cascade jusqu’au creux de son dos, ses formes s’épanouissent dans l’étonnement. et alors, Elys sourit, un rictus complice avec elle-même. elle comprend mieux comment fonctionnent les arbres qu’ils ont semé. ouais, ouais, pas mal du tout même - j’aime bien !

Dani est toujours là, et dans un geste presque solennel, il a unifié leurs mains. autour d’eux, les étoiles se réajustent, le vent retrouve son souffle, et entre eux, le moineau s’anime doucement. ah ! il m’a bien eu celui-là ! s’exclame Elys en pointant l’oiseau du doigt. il ne dormait que d’un œil, ce petit farceur, une simple sieste. maintenant, il sautille sur ses pattes frêles, ignore royalement les regards fixés sur lui. il ne fonctionne pas comme les autres, non, lui il sait s'évader, glisser entre les failles de la réalité. c’est qu’il n'a pas le temps de s'attarder sur les petites affaires d'ici-bas, ces broutilles humaines encadrées par des murailles de béton.
Elys comprend. c’est dans la nature des ailés d’aller de l’avant. le monde les appelle toujours plus loin, loin des choses figées. en parlant de sieste… il relève les yeux vers Dani, sans jamais perdre son sourire. Elys n’a pas relâché sa main, au contraire, il la serre fort, c’est peut-être un test. t’es fatigué ? t’inquiète tu peux le dire, y’a que nous ici. il y a une douceur dans sa voix, comme une invitation à se reposer dans cette bulle hors du temps qu'ils ont façonnée. le vent continue de respirer doucement, mais entre leurs doigts, le monde tient tout entier.