amazed

Peu de temps après les confessions de Luke et Alfie, Judith ressentit le besoin de purger sa frustration. Elle se sentait coupable, coupable de ne pas avoir retenu la rancoeur de ses deux amis. Elle, qui était censée guider, se retrouvait seule sur le chemin périlleux de la vertu. Ses attentes, de nouveau, se retrouvaient suspendus comme des pièces de puzzle flottantes cherchant désespérément leurs coins.
Et comme ce n'était pas la première fois -et sûrement pas la dernière-, elle décida de prendre les choses en main et de pour une fois penser à elle. Purifier le négatif pour chercher une réponse et un soutien.
Ses pas l'avaient guidés, consciemment, vers le club de boxe. Travailler le corps et l'esprit par les poings, voilà une chose bien inhabituelle pour la brindille qu'elle était. Elle pénétra dans l'enseigne et fut immédiatement assaillie par l'odeur de sueurs caractéristique des séances de sport. L'on cognait encore et encore sur les sacs de frappe, si bien que la pièce résonnait de mille échos. Judith resta plantée à l'entrée observant attentivement ces garçons et ces filles en proie à un ennemi fictif.
Le soupçon du doute s'insinua doucement entre ses entrailles. Pourquoi avait-elle décidé d'y aller ? Son adversaire à elle résidait au fond de son coeur, comment allait-elle le projeter à l'extérieur de son corps ?
Et tandis que les Échos ne cessaient de grandir, une voix la ramena sur le chemin de sa conscience. Judith reconnaissait Fang, l'avait déjà croisé au détour du réfectoire. C'était une blocarde reconnue pour ses compétences physiques, elle était une coureuse, le genre à foncer tête baissée.

« Je passais par là pour rejoindre le club de tennis et je me suis dit que j'allais faire un tour pour voir ! »

Menteuse. Judith avait bien réfléchi mais Judith n'exprimait jamais ses craintes, elle gardait ce côté d'elle à l'ombre, loin des regards qu'elle jugeait hasardeux.

« Mais j'ai pas envie de te déranger dans ta séance, je compte pas rester longtemps. »

« Toi aussi tu pourrais m'aider à en savoir un peu plus même si Tay n'est pas là ! »

Judith jugea tout de suite Fang comme simple. Une simplicité pure. Ce genre de blocard était plus qu'utile à leur développement. Ils étaient sans pitié, sans peur et surtout ils s'exprimaient sans mensonge. C'était aussi cela que, de manière inconsciente, Judith était venue chercher. Des partenaires qui ne vous cachaient rien.
En cela Fang était simple, simple pour Judith car elle n'était pas obligée de puiser en elle pour détecter un potentiel hypocrite.

« Dis pas ça tout de suite, si ça se trouve quand tu seras dans le Labyrinthe tu te feras sauver par une raquette ! »

Elle taquinait, l'oeil rieur en vue de cet échange quoique superficiel. Elle s'en moquait, ça lui faisait du bien de penser à autre chose. Elle la vit saisir sa bouteille d'eau en une milli-seconde. Ses sourcils se haussèrent d'étonnement.

« Tu sais, les détours se font rapidement..., avoua-t-elle à demi mot, puis ma séance est prévue pour dans une heure, ça me laisse le temps de voir ! »

Elle fendit son visage d'un sourire, soudain plus légère, Fang ne saura pas pourquoi réellement elle venait. Cela viendra lorsqu'elle l'aura jaugée apte à comprendre.

« Alors tu me montres ?? »

Judith regardait l'enchaînement de mouvements avec intérêt. Fang avait l'autonomie des coureurs, ses coups mêlaient, en paradoxe, rigidité et souplesse. En réalité c'était un alliage, le avant, celui qui préparait le coup était souple, le après, celui qui donnait l'impact était rigide.
Elle retrouvait des similitudes au tennis, notamment le fait de solliciter tout son corps. La grande soeur spé qu'elle était reconnaissait, en effet, que la boxe pouvait être utile pour se défendre. Seulement elle n'était pas l'adepte des poings et ne le serait probablement jamais.
Elle n'allait pas au front, elle regardait d'au dessus. Elle voulait être meneuse, se salir les mains, littéralement, ne pouvait faire bon ménage.

« Visiblement ça a pas trop l'air de te dire mais si jamais t'as envie de passer au club de tennis ou le club de volley je serais ravie de t'accueillir et de te montrer que ça vaut le coup. »

Avec ses camarades de l'Enclave, Judith était de celles qui posaient les questions mais qui n'y répondaient pas. De toute façon on ne les lui posait guère puisque tous savaient qu'elle répondrait franchement. Fang ne le savait pas encore, cela la fit sourire.

« C'est sûr qu'avec ton pouvoir je comprend que t'ai tes favoris dans les clubs sportifs et surtout dans la boxe. C'est pas trop facile ? Ça en devient pas chiant ? »

La machine était lancée, elle inversait les rôles, toujours.

« Si on parle de sports physiques mon pouvoir est pas très utile je t'avoue. Puis même j'aime pas utiliser ma capacité pour des jeux, j'ai l'impression de tricher et je déteste ça. »

Elle s'approcha de Fang.

« Mais un pouvoir comme le tien ça se cultive, il est très utile pour le bien être de l'Enclave. Tu es coureuse n'est-ce pas ? »

Avec ses questions elle ne se dévoilait pas, ne répondait pas directement à ses interrogations, c'était tout l'attrait des nouvelles rencontres, voir comment les autres tentaient de s'immiscer dans ses filets.

« C'est très bien que tu te motives encore et encore. J'admire ta détermination. »

Son ton était un tant soit peu paternaliste. Après tout, cela correspondait aussi à son rôle de grande soeur alors pourquoi s'en priverait-elle. Fang était une de ses soeurs aussi. L'estime de Judith commençait à se former comme une première couche d'oignon, ses yeux si pâles étaient enfin animés d'une lueur presque amicale.

« Si tu veux un indice sur mon pouvoir : ne me mens pas car dans tous les cas je le saurais. »

Elle rigola, au moins c'était honnête. Pour elle, ça ne sonnait pas comme une menace ou un avertissement. Elle se dévoilait, rassurée par la présence non provocante de Fang.
L'heure tournait, sa séance de tennis approchait.