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Armel doit se fondre dans la masse avec la même difficulté qu'autrefois. L’âge et le rôle importent peu dans son évolution, car ses agissements restent identiques. Pourtant, l’accès au savoir est un réel bénéfice ; il se demande si chez lui, les Parents pouvaient également accéder aux dossiers de chacun des blocards. Armel est curieux, mais ses recherches sont souvent limitées, comme si des œillères l’empêchaient d’atteindre la vérité.

Lorsqu’il découvre Lise, il pressent une ressemblance entre leurs vécus. Le Paradis a séparé deux êtres entichés. Si la réalité est différente, car Armel ignore tout de sa dulcinée et les raisons pour lesquelles ils ne sont pas ensemble au Paradis – ni pourquoi elle n’est pas à ses côtés aujourd’hui. Quant à Lise, elle lui apparaît comme impatiente. Le choix de retourner dans une Enclave n’était sans doute pas celui d’un blocard ; il l’ignore, tout comme la possibilité de choisir son lieu de parachutage ; il l’ignore tout autant. Peut-être même que le Paradis émerveille tellement certaines personnes qu’il leur est impossible de revenir ; mais Armel ignore ce qu’est le Paradis.

Si il manque de réponses sur de nombreux sujets, Armel se concentre sur les éléments tangibles. Il nourrit une curiosité sur les sentiments qu’il devrait éprouver dans diverses situations. Ne pouvant forcer quiconque à se rendre dans son bureau, il ne rechigne pas à aller à leur rencontre. Armel est passionné, passionné par les autres. Lise, c’est ça ? Je ne te dérange pas ? Il jette un coup d’œil à l’intérieur de sa chambre par-dessus l’épaule de la blocarde.

J’ai entendu dire que tu tatouais certains blocards, alors je voulais voir ça de mes propres yeux. Il avait supposé que cela avait un lien avec sa capacité. Armel n’avait aucun problème à tatouer sa peau d’une encre indélébile, mais il soupçonnait que, comme bien d’autres capacités, cela n’aurait aucune influence sur lui. Si ça ne te dérange pas. Il acquiesce avant d’entrer dans sa chambre de fortune – un souvenir lointain germe en lui. Armel avait autrefois gravi les échelons grâce à l’utilisation de son pouvoir et il était heureux d’avoir pu échapper à ce manque de confort.

Tu tatoues moyennant des Promotions Tickets j’imagine ? Il avait du mal à croire qu'elle ne pratiquait pas ce genre d'échange. Qu’est-ce-qui t’a donné envie de t’y mettre ? Peut-être qu’il se dit, qu’il aurait apprécié avoir une telle opportunité autrefois. Armel réalise que s’encrer pour ne jamais oublier est un obstacle bien particulier.

D’un signe de tête, Armel la remercie et s’assoit sur la chaise qu’elle lui a proposée. Il demeure silencieux durant ses explications, l’écoutant attentivement tout en observant sa personne et l’aménagement de sa chambre. Armel fait le lien avec les films projetés au Social Club, avec ces acteurs dont la peau est marquée d’une encre indélébile. Certains blocards pourraient souhaiter les imiter, désireux de suivre un courant de mode probablement disparu dans certaines Enclaves, telle que celle dans laquelle il avait vécu. Et j’imagine qu’avec ton pouvoir, si un blocard souhaite changer de tatouage, tu peux le faire d’un claquement de doigt. Son menton s’incline légèrement pour pointer les motifs qui ornent son propre épiderme.

Quelques secondes lui suffisent pour prendre ses aises, loin d’être droit comme un piquet, Armel s’affale sur le dossier de son siège. C’est vrai qu’avec un tel pouvoir, ça serait presque ridicule de ne pas en profiter. Et puis, c’est très intéressant d’une certaine façon ça permet aussi de… Il s’interrompt, mordillant sa lèvre inférieure afin de chercher ses mots. Son pouce et son majeur se frottent pour exploser d’un claquement. De conserver ce qui te tient à cœur, de les faire vivre en permanence sur ton corps—comme une pièce de théâtre. Armel se redresse légèrement. Et même si le Paradis vous sépare, ceux que tu auras marqués se souviendront toujours de toi. Et l’inverse est un peu plus compliqué, mais pas impossible. Tu ne penses pas ? Son regard s’alourdit sur elle.

Le corps et l’esprit étant étroitement liés, Armel saisit rapidement le sens des paroles de Lise. Une divergence : l’une marque la peau d’encre pour ne pas oublier, afin de témoigner de ce qui a été traversé à travers le temps, tandis que l’autre dénote les souvenirs qui forment un être complet. Il est parfois difficile d'exprimer son passé avec des mots. Il acquiesce sobrement, bien que selon lui, un dessin reflète davantage l’expression de l’artiste que celle de celui qui a vécu les événements, même s’ils collaborent à sa réalisation.

Dans d’autres circonstances, le cours des choses aurait pu être différent. Pourquoi est-il si essentiel de s’en souvenir ? De la joie, du bonheur, mais aussi de la douleur et des traumatismes. Armel, dans son incapacité à saisir le monde, avait toujours opté pour la voie la plus simple. Et malgré ses mains plongées dans la réminiscence des autres, malgré les années écoulées et les expériences accumulées, il ne comprenait toujours pas pourquoi la plupart des blocards s'accrochaient tant à leur passé. Armel s’étire légèrement sur sa chaise et croise ses jambes, pensif.