amazed

Installé confortablement sur un des sièges de velours rouge, Sohan contemple le spectacle qui se tient devant ses yeux. Il est tout au fond de la pièce pour se faire le plus discret possible, pour ne pas déranger les artistes qui répètent et s'entraînent. La plupart sont habitués à le voir là, dans les fauteuils feutrés durant les répétitions et les entraînements.

Il aime les regarder s'entraîner, rôder leur prestation au millimètre près. Voir Cesar les reprendre pour ajuster les moindres détails, car c'est là que le diable se cache. Sohan apprécie voir, devant ses yeux, la pièce se construire petit à petit, couche par couche, jusqu'au rendu final qui sera exposé à tous les blocards. Seul dans la pièce obscure, car la lumière est sur scène, Sohan est égoïste: il veut ce spectacle rien que pour lui.

A la fin de l'ultime répétition, Sohan applaudit du fond de son siège. Certains sont agacés, d'autres sont heureux de le voir. Il se lève pour venir cueillir Aurora alors qu'elle quitte le parquet.

"Ma belle !" Il la salue d'une révérence. Vient lui prendre la main pour la faire tourner sur elle-même. "Tu étais superbe aujourd'hui !"

Rayonnante, admirable, merveilleuse.

"J'aime te voir sur scène. Tu mériterais plus de premier rôle." De briller tout en haut du firmament. "Un tour au social, ça te dit ?"

Cela fait longtemps qu'ils n'ont pas passé de temps ensembles. Sohan, prince charmant, lui propose son bras pour l'amener jusqu'au palais de tous les vices. Ceux que Aurora ne peut s'offrir, mais que Sohan peut la couvrir.

je m’époumone, la voix claire et forte, véritable scandale pourrait-on croire ! qu’autant de coffre puisse venir d’un si petit corps. mais je n’ai pas besoin de bien manger à la cantine ! l’amour du théâtre, voilà ce qui me nourrit d’autant d’audace.

il faut attendre la fin de la répétition pour que je ne remarque à quel point tout mon corps était crispé. un soupire pour expier le rôle, et voilà les épaules qui s’affaissent ! il n’y a que sur le parquet de la scène que je grimace de mes efforts, parfois vain sinon exagéré… et il n’y a qu’en voyant ton visage s’approcher, sohan, que je sais qu’il me faut dissiper toute exigence envers moi même — tu sauras m’en accabler avec toute ta bonne volonté.

je souris, c’est naturel. je ne résiste jamais quand une étoile se glisse dans mon ciel. machinalement et car je sais ton amour pour l’art, je tend la main que tu prends après ta révérence, tourne malgré la fatigue pour te donner à toi, fan, une exquise performance.

« et toi tu es superbe tout le temps ! » sache que je ne mens jamais, quand j’aime ton élégance et ton beau visage, quand tu m’offres à moi, poussière, un peu de ton temps. nous nous éloignons des planches et je ne doute pas une seule seconde de tes pas ; ils nous guident toujours là où je n’ai pas le mérite et, tenue par ta main, dieu que j’aime être un charbon parmi les diamants.

« moi j'adore te voir quand je répète. tu dois être content ! nous répétons roméo et juliette. je connais ton amour pour shakespear ! » je me penche sur toi, car c’est ainsi que je transmets mon bonheur, « au social club ! moi ! fagotée comme ça ! » je n’ai pas honte de ma terne robe ni de mes chaussons usés mais peut-être que toi, oui ? « j’aimerai que tous ferment les yeux et qu’ils ne se fient qu’à ma voix. bien parler ce n’est pas dur, mais bien présenter… » il s’échappe un rire de moi et je cesse de marcher collée à toi, serrant toutefois ta main avec plus de force le temps de quelques secondes. « tu es trop bon avec moi sohan… » et l’univers pas assez.

Et la voilà, douce ballerine, à tournoyer entre ses mains. Aurora est celle étoile cachée que seul les plus amoureux des cieux ne peuvent admirer. Elle est taciturne, capricieuse, ne brille que si l'alignement est bon. Sohan en fin observateur, sait où, quand et comment la regarder pour qu'aucun de ses éclats ne lui échappent des mains.

"Merci." Il sourit. "J'espère que ma présence dans les gradins est un encouragement !" Sohan ne voudrait jamais, jamais, pour Aurora, être un poids. "Oui, toi, au social."

Complète-t-il doucement tandis que sa belle s'accroche à son bras.

"Ne t'en fais pas." Il la contemple sans s'arrêter de sourire. "Tu es magnifique." Malgré ses tissus fades et ses chaussons usés. "Ceux qui te jugent pour ton apparence ne sont pas dignes de ta présence. Tu es brillante Aurora, et personne ne saura t'enlever ça. Ta vraie beauté est là-dedans, qu'importe de quoi tu es couverte."

Doucement, il vient apposé son doigts sur le haut de son torse, sous le cou et au dessus de la poitrine, prenant soin de ne faire aucun geste déplacés. Sohan désigne son paliptant qui bat, qui bat, qui bat tellement fort qu'il pourrait avaler le monde.

"On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux."

Et du cœur, Aurora en a !

"Alors en piste, princesse !"

Sohan rit et l'entraîne avec elle. Le dos bien droit et la silhouette grande, les voilà éclatants à traverser les couloirs. Tous le monde les regarde mais lui ne voit que Aurora. Les autres peuvent murmurer, les dévisager, ramper, il n'en a que faire. Il n'y a qu'elle dans leur moment d'intimité et d'affection partagée.

"Et oui, je suis ravie de vous voir répéter Shakespear. Celle-ci n'est pas ma pièce préférée mais elle reste superbe." Dans l'amour impossible entre Roméo et Juliette, la mort de la belle et le désarroi de son aimant. Sohan ne peut s'empêcher de penser à Saorsa quand il la voit sur le plancher. "Bien. De quoi tu as envie aujourd'hui ?"

Tout ce qu'elle voudra.

« l’univers est bien généreux et je lui dis merci de te laisser voir avec ton cœur, tu sais. sans toi je me sentirai terne. »

alors tu n’as pas honte, prince charmant. je me délecte de tout ce que tu me donnes, sans crédit ; les mots, la tendresse ! c’est impossible d’ôter le sourire qui s’accroche à mes lèvres, laissant derrière lui l’éclat d’une étoile qui traverse la pièce comme elle traverse le ciel.

les pieds foulant le sol du social club, oh ! quel bonheur ! je reste droite, pour mes premiers pas avec toi mais trop vite je veux vivre entière cet événement singulier ! ne m’en veux pas sohan mais je dois me détacher de toi pour embrasser le monde des grands. d’une main je fais glisser quatre doigts fins contre le mur de la pièce, tandis que mes jambes sautillent presque en imitant la grâce d’une pudique danse. les secondes défilent et je les respire pour les garder rien qu’à moi ! elles ont le goût du luxe, le goût de l'appétence ah ! le goût de ce qu’on n’espère même pas en bas ! encore un peu de ça et, voilà ! je m’évade, fais de grand pas, virevolte sur ces terres comme si elles étaient miennes. mes yeux se posent sur ce qu’ils trouvent et alors mes doigts capturent, touchant tout ce qu’il y a pour sentir que tout cela existe vraiment. « sohan, tout ce que tu as là ! » je ne saurai pas tout nommer ! il y a tant à voir, tant à dire ! je m’arrête, ébranlée de surprise, sur une robe simple mais magnifique ;

on voit à son tissu qu’elle ne se froisse pas. ses coutures sont invisibles ! tout est si droit. c’est aussi beau que ce que cesar m’offre à porter, et pourtant, elle a quelque chose de différent… ce doit être le goût de ce que je ne mérite pas.

« qu’elle est jolie… » mais je ne la veux pas. je n’oserai ni la regarder, ni la toucher. je tourne les talons, marche d’un pas lent vers toi. « je n’ai envie de rien, si ce n’est de passer du temps avec toi. alors dis moi ! quelle est ta pièce favorite ? » m’en voudras tu, de venir tenir ta main ? j’ai peur de perdre pied et de partir à nouveau comme une étincelle. quand ta paume est dans la mienne, j’avance plus doucement. je ne me perds pas. je suis à ma place. observatrice. je ne risque pas de disparaître ou d'être chassée ; quand bien même je le mérite.

Aurora n'a rien de terne. Ceux qui pensent cela sont des menteurs ou des jaloux. Souvent les deux. La voir au bras d'un premium, de surcroît grand frère, attire les mauvais regard dans les couloirs. Sohan n'en a que faire. Ceux qui le jugent parce qu'il fréquente des sans-étoiles n'ont rien compris à la vie à l'Enclave. S'il ne se mélange pas, comment montrer la voie ?

Aurora s'attarde sur une magnifique robe. La coupe est simple mais toute en élégance. On dirait qu'elle a été faite d'un seul drap, sans couture et sans pliure. Sohan observe sa douce la contempler en silence. Il attends de voir si la robe l'intéresse. Si c'est ce qu'elle veut, il lui offrira. Mais Aurora s'en détourne pour revenir à son bras. Elle annonce n'avoir envie de rien si ce n'est de passer du temps avec lui. Sohan sourit. Décidemment, Aurora est parfaite.

"Moi ? Hmm…" Il réfléchit tandis que sa main glisse dans celle d'Aurora. Il la sent timide alors il enserre ses doigts d'une poigne douce, mais forte, pour lui signifier que tout va bien. "Viens."

Il l'emmène avec elle, comme deux fugitifs qui s'élancent dans les dédales du social sans se soucier des autres.

"En général, j'achète surtout des livres. A part cela, je dépense quasiment rien." Pour lui-même. Pour les autres, c'est une autre histoire. "Cependant... j'ai un pêché mignon."

Les voilà devant le café à emporté. Dans la vitrine, parfaitement alignée devant leurs yeux, une ribambelle de pâtisseries délicieuses. De son index, Sohan pointe un de dessert.

"Les tartes citrons meringuées !"

Il éclate de rire. Le citron est son goût préféré. Il regarde Aurora. Elle a tout d'un citron. Doré et magnifique mais terriblement acide.

"Je t'en offre une ?"

Sohan s'apprête à en commander une pour lui, pour accompagner cette sortie et cette fin de journée. Il attends l'aval d'Aurora pour lui prendre ce qu'elle souhaite.

je ne remarque même pas les yeux noirs pointés sur moi comme des fusils ; et si je les voyais, comment les comprendre ! pourquoi attarder leur regard sur la poussière que j’incarne quand il existe en ces lieux toutes ces merveilles ? il faut être fou pour sacrifier son temps à détailler mon allure de pauvre chose et se soustraire à la beauté du luxe.

heureusement tu nous dérobes à leur rancoeur, m’invite à gravir des montagnes sans cesse si bien que j’ignore comment il sera possible d’être un peu plus surprenant encore après la richesse des saveurs. une tarte au citron meringuée !

ce bijou précieux que je n’ai vu que sur les tables des grands buffets, et dont le goût m’est toujours si surprenant que je le découvre à chaque bouchée, peu importe les années… sohan je sais que j’aime dire tout le contraire à l’oreille des rebelles mais votre monde étoilé attise ma faim.

« je n’en mange que durant les festivités… et c’est toujours en piquant dans une assiette. ce genre de dessert disparaît bien vite… on a pas souvent l’occasion d’y goûter. et toi tu peux en manger une comme cela ! enfin.  » je boude un peu car j’ignore pas que rien n’est gratuit. « ça coûte quand même bonbon. » et moi j’économise déjà bien assez durement à l’année pour réclamer des bouquins.

« n’en prend qu’une ! » je m’esclaffe, sincère, « je ferai un croc dedans si tu me le permets. » je n’ai pas la belle habitude des plaisirs alors autant ne pas m’en amouracher. comment expliquer aux copains que j’avais entre mes mains une tartelette toute entière et que je n’ai pas de miettes pour eux ! impossible. « je suis comme toi, sohan. je dépense tout dans les livres moi aussi. tu ne m’as pas répondu d’ailleurs ! quelle est l’oeuvre de shakespear qui te transporte le plus ?  » mes grands yeux éblouis de tout ne cessent de regarder les alentours en ignorant les visages amers, « il m’inspire peu, pour le moment. mais j’espère être juliette. et j’espère surtout que tu me diras que je suis une bonne juliette. »

Sohan accueille les confessions dans un sourire. Une des raisons pour lesquelles il apprécie la présence d'Aurora à son bras, c'est parce que cela lui permet de se rappeler de l'écart béant entre eux. C'est un peu égoïste, mais l'écouter parler est un bon rappel de ses propres privilèges. Si Sohan a traversé les échelons dans sa jeunesse, il n'est jamais tombé dans les écueils de l'échec, il n'est jamais tombé aussi bas qu'Aurora.

Il ne connaît la vie des sans étoiles et des une étoile que de ce qu'il peut entendre et observer. Fréquenter Aurora s'est se forcer à se heurter à une vision différente. Il apprécie puisque cela lui permet de grandir. Les différences nourrissent les hommes. Sans les autres, nous ne sommes rien. Sans les sans-étoiles, les premium n'ont pas de sens. Sans les une étoile, les trois étoiles n'ont pas de sens. Et ainsi de suite. La hiérarchie est ainsi faite et se maintien par elle-même. Si l'on enlève une des fondations, tout s'effondre.

"Ne t'en fais pas." Pour le prix. "Très bien." Il respectera la volonté de sa princesse. Sohan passe commande à la borne et leur prend également deux thés à la menthe. "Ce n'est pas cher, ne t'en fais pas." Pour désamorcer les protestations à  venir. "Et voilà, princesse."

Il récupère la pâtisserie dorée. Il lâche la main de sa belle pour venir tenir la petite boîte blanche et de ses deux doigts, il attrape la tartelette pour venir l'approcher de la bouche d'Aurora.

"Croque."

Depuis sa main à lui, le premium qui la bénie de sa lumière. Il lui laissera croquer autant qu'elle veut, elle peut tout avaler si elle le souhaite. Sohan se contentera de lécher ses doigts couverts de sucres et qui ont effleurer ses lèvres.

"Hmm… Hamlet et La Tempête." Les thés arrivent juste après. Sohan les récupère, tends le gobelet chaud à Aurora en prenant soin qu'elle ne se brûle pas. "Et toi ? Ton œuvre préférée ?"

Les discussions de ce genre sont toujours plaisante avec elle. Ce n'est pas pour rien qu'elle est une excellente membre du club de débat. Aurora a ses forces: le théâtre et la philosophie.

"Quand est-ce que Cesar attribuera les rôles ?" Sûrement bientôt. Il rit à la remarque. Se décide sur un coup de tête de la reprendre dans ses bras et de la faire tournoyer de nouveau comme une poupée dorée. "Bien sûr ! Mais dis-moi, ma Juliette, qui est ton Roméo ?"

Il croit savoir à peu près.

ce n’est pas cher, dis tu, et je te regarde, les yeux remplis de tendresse. ce n’est pas cher, c’est bien un luxe qu’ont ceux qui peuvent compter leur monnaie… pour nous pauvres pécheurs, tu sais, un ticket c’est déjà beaucoup.

quel drôle de monde que le vôtre ! c’est quand ce genre de détail me ramène à mes racines que je me souviens d’où je vis, d’où je me sens bien.

je croque, affamée ; mais rien qu’une petite bouchée. mes lèvres sucrées te remercient d’un sourire, mes yeux plissés te supplient pas plus pas plus, ce genre de cadeau je n’oserai pas plus en profiter.

je souffle sur le thé chaud que tu m’offres, réfléchis à tes aveux. « hamlet… connais vite fait. tempête, jamais entendu parlé ! » Je teste la température en y trempant le bout de mes lèvres, et c’est la grimace ! c’est encore trop brûlant pour moi. « moi, je dirai que c’est antigone. par jean anouilh. » je dépose mon gobelet quand je t'aperçois t’approcher de moi les mains tendues ; c’est le signe d’une danse, je ne peux l’ignorer ! « je ne sais pas ! » dans un rire candide nous commençons une drôle de valse au milieu des autres, toujours surpris de me voir ô probablement trop à l’aise dans votre prison dorée. « il est pointilleux ! » mais la joie s’envole, soudainement, quand tu me réclames ce que je n’ose pas tant dire pour le moment.

« mon romeo ? » mes yeux sont ronds, creux de vide ; c’est impossible de réfléchir à cet instant. je ne suis pas la juliette de cesar ; alors, tu veux forcément parler de lui, pas vrai ? « on n'a pas encore choisi de romeo voyons sohan ! » je sais que mon regard m’a toujours trahi quand il apparaît tel le soleil de ma vie ; mais mes lèvres, elles, n’aiment pas le nommer. et si le père suprême m’entendait et m’en privait ? « de quoi tu parles haha ! »mon pas est lourd, lent. il nous stoppe dans notre danse mais mes mains toujours glissées dans les tiennes, peut être qu’inconsciemment j’ai envie de le dire ? c’est mon caprice.

Ah ! Ainsi Aurora ne connaît pas l'une des célèbres œuvres du maître incontesté de la tragédie britannique. Le naufrage d'un équipage, coincé sur une île déserte, cerclé par vents et marées, luttant pour leur liberté ! La pièce s'articule autour du thème du pouvoir et de cette même liberté, mais plongé dans une inversion de paradigme qui bouleverse les certitudes de la réalité.

"C'est une belle pièce. Je te la prêterai, si tu veux. Cela me ferait plaisir que tu la lises. Mon exemplaire est un peu abimé car cela fait longtemps que je l'ai, mais tu ne m'en tiendras pas rigueur, n'est-ce pas ?"

De quelques pages cornés et de passages soulignés au crayon de papier.

"Oh, Antigone ! Très bon choix !" Sohan claque dans ses mains pour approuver les dires de son joyaux. Il attrape ses mains pour la faire valser doucement. "Pourquoi Antigone, donc ?"

Ce qui intéresse Sohan ce n'est pas quoi, mais pourquoi. Les œuvres reflètent l'âme des gens et le CREA veut savoir de quelle matière est faite celle de Aurora.

"Hmm…" Cette dernière fait mine de ne pas comprendre la question. Cela amuse le premium qui se fend d'un sourire. Les pas de sa ballerine se font plus incertains, comme déstabilisée. "Je ne sais pas ! Je te trouves resplendissante en ce moment. Je me suis dit que c'était sans doute l'amour… à moins que ce ne soit la tarte au citron ?"

Il éclate de rire avant de faire virevolter Aurora autour de son bras. Si elle ne veut rien dire, il n'insistera pas. Sohan n'est pas comme ça. Les mouvements de danses un peu branlant sont la confirmation subtile de ses hypothèses déjà solides. S'il le faut, il s'en contentera.