amazed

Ils disent que tu connais les battements du cœur, que tu sais en changer le rythme, mais que même si tu le désirais, tu n’aurais pas les cordes pour les faire cesser d’exister. Moi pourtant je me demande si tu as déjà songé à stopper le mien. Même le temps d’un instant, dans un élan brutal d’une émotion incontrôlée et par conséquent, contraire à toi, as-tu déjà imaginé mon visage gris et défunt ? Davantage en profondeur, aurais-tu recouvert ce même visage du linceul, aurais-tu observé une dernière fois mes traits grossiers engoncés dans le capitonnage du cercueil sur mesure à ma corpulence ? Quant à moi, si tu venais à mourir, chose à laquelle je n’avais pas encore songé jusqu’ici, je ne sais pas si je pourrais prétendre en faire de même.

Ce matin, j’ai eu peur, car mon cœur était fidèle à sa routine, tu manquais au rendez-vous de la Ruche. Et dans une croissance idiote et maladroite, j’ai certes oublié d’apprendre à te connaître en grandissant, mais de mes erreurs j’apprends et de ta disparition je me surprends à me soucier. Mes entrailles meurtries me soufflaient de paniquer, sans être capable d’en soulever la source. Plus fidèle à la ruche que je ne le suis à mon instinct futile, j’ai dû attendre que l’heure passe, impossible d’ôter ton visage de mon esprit embrumé de toi. Puis j’ai couru sans savoir où me rendre. Je me pressais sans donner suite à mes idées de passage. Je crois bien que pour la première fois, j’ai eu peur de te trouver mort. Je me demande pourtant, si ton visage trépassé serait si différent. Tu as, depuis ton arrivée ici, toujours eu le teint des morts, la peau des poupées de porcelaine. Qu'est-ce que la mort pourrait bien te donner que tu n'as pas déjà ?

Moi, la mort me traverse l’esprit au moins une fois par jour, sans quoi je sombrerais dans la folie. J’ai déjà réfléchi à comment procéder, en sachant éperdument que je ne m’y attèlerai jamais. Je savais que je voulais mourir d’une mort lente et certaine, d’une mort peut-être trop douce et trop peu en accord avec qui je suis, afin d’en souffrir jusqu’à la fin. Afin que ma dernière pensée de mon vivant soit que je regrette d’avoir agi d’une façon si lâche, et que ce souffle et ce choix me torturent jusqu’au dernier.

Dans une chute de haut, le cœur lâche parfois avant que le corps n’atteigne le sol. Une mort dans l’effroi, dans le manque de certitude d’atteindre son objectif final, la voilà : la mort que je ne désire pas convoiter, celle qui est davantage à ton image qu’à la mienne. Mes pieds et mon cœur — ce dernier presque lié à toi — m’ont guidé jusqu’au pic du diable, là où ton air assorti à son nom saura prendre un envol angélique. Te voilà au sommet, alors mon cœur disait vrai. Depuis combien de temps m’attendais-tu ici ? Je me demande si tu as entendu mon cœur se joindre à toi. Tu comptes vraiment sauter ? Ce n’est pas le genre de chose à demander, mais dans un futur silence mortuaire, il faut tenter tout ce qui se trouve à notre portée. Je sais que t’en es pas capable. Je plisse les paupières et amène ma main à mon front en visière pour donner à tes contours flous, un aspect plus éloigné aux songes. T’es pas comme ça toi, hein. Je suis encore trop loin pour t’attraper, trop loin pour m’adresser à toi autrement qu’en conduisant ma voix à sa fréquence maximale.