amazed

Ziggy n'avait pas revu Felix depuis leur affrontement en isolement. Mais il n'avait pas cessé de penser à lui pour autant. Matin. Midi. Soir. Felix restait dans un coin de sa tête. Il lui fallait trouver le bon moment pour l'approcher. Même si les derniers événements les avaient rapprochés (leurs chambres n'étaient plus qu'à quelques mètres l'une de l'autre) Felix avait été un vilain garçon - et tout comme Ziggy, il avait été puni pour son mauvais comportement.

Il fait encore chaud pour un mois de septembre. Ziggy arpente les couloirs du premier étage et s'arrête devant les toilettes, informé par une source que Felix les récurait une partie de l'après-midi.

C'est sans complexe qu'il s'immisce et glisse comme une ombre au mur. Il guette qu'il n'y a personne pour les déranger. Pas à cette heure ! Tout le monde est occupé dans son club - sauf eux. Pour le grand plaisir de Ziggy. Maintenant que tout le monde le dévisage comme une bête curieuse, il chérie encore plus les moments de solitude que le planning lui accorde.

Il arbore encore les traces violacées autour de son cou. Preuve que Felix est capable d'aimer tout aussi passionnément !

Bouh.

Planté dans son dos, alors que Felix est à quatre pattes au-dessus d'une cuvette - Ziggy bloque l'accès à la cabine. Il a le sourire de la vipère mais aucune intention de mordre (pour l'instant).

Et beh, ça frotte dur.

Il se moque, amusé par la situation ; un peu ému de le revoir après des jours à ne le capturer que ses rêves.

Ta gueule. Ziggy siffle, impressionné par la violence qu'il se reçoit - alors qu'il s'attendait à un peu plus d'affection. Il penche la tête sur le côté, dévisage Felix et suit avidement le chemin de ses yeux, qu'il pose sur son cou. Comme pour l'encourager à affronter ses démons, Ziggy ouvre un peu plus le col de sa chemise.

C'est ça que tu regardes ? Je pensais plutôt que c'était une preuve de passion... On dit toujours que la violence est une forme d'amour.

Il arbore une mine triste ; recule de quelques pas en arrière. Ziggy reste aux aguets - méfiant qu'on puisse les surprendre. Mais l'odeur, quand bien même elle lui file nausée, ne semble pas d'apparence le déranger.

Je venais voir comment tu allais... si on ne t'avait pas trop puni après ce que tu as fait. Les parents sont sévères, quand même ! Je le méritais.

Il a terriblement envie de le titiller un peu.
Felix a l'air d'un petit chien errant, qui aboie fort près des poubelles alors que son pelage est ébouriffé et qu'il ne fait techniquement peur à personne.

Ziggy, lui, est un chat - mais pas plus distingué.

Tu m'en veux toujours alors... dommage.

C'est vrai que Ziggy s'écoute beaucoup parler. Mais il est plus attentif encore aux micro-expressions des autres. Le ton de Felix a changé ; sa mine s'est assombrie. Ziggy comprend que l'échange n'est plus propice aux plaisanteries macabres ou aux sous-entendus scabreux. Il n'y a plus qu'un voile froid, à l'image des enfants perdus et des fantômes, qui s'est installé entre eux. Ziggy en a des frissons. C'est exactement l'adrénaline qu'il recherche, quand il est en quête de ressenti - lui qui ne ressent plus rien depuis trop longtemps. L'Amour ! Il crève de comprendre ce sentiment.

Felix cède à la violence facile, aux insultes basses et aux menaces. Ziggy ne sourit plus ; à son tour, il se contente de le regarder sans le lâcher - de ravaler chaque souffle qui tente de s'échapper de ses lèvres. Il reste stoïque quand il encaisse, comme une poupée inanimée. Comme une gargouille, perchée en hauteur - moqueuse même dans la pierre polie.

...

J'aurai dû serrer plus fort.
Ah ! Voilà ! C'est ça qu'il veut voir, qu'il veut entendre - ce ton suintant d'une cruauté désespéré. C'est cette petite portion de la réalité que Ziggy veut entrapercevoir, glissé entre les différentes couches de vices.
Ziggy est un idiot, mais pas au point de le provoquer une nouvelle fois à voix haute. Il attend sa sentence, celle que Felix compte lui asséner sans pitié. Jusqu'où sera-t-il capable d'aller ?

Jusqu'à ...

...

là.

Sa bouche en otage, Ziggy arrête de respirer. Il a le corps raide, le regard fixe et exorbité. Il est tellement surpris qu'il oublie qu'on attendrait de lui une réciprocité, même dans l'absence de passion. Le baiser n'est pas chaud - l'envie n'est pas là.

Oh... Felix... c'est une terrible punition que voilà.

Quand l'adolescent cherche à reculer, Ziggy le saisit brusquement par le pan du col. Il serre fort - lui - jusqu'à l'étrangler sous sa poigne. Les lèvres encore humides des siennes ; il étire un large sourire, dénué de toute sympathie.
Il est sonné, c'est vrai ; et blessé, aussi ; Ziggy aurait aimé que leurs premières fois ne soient pas immortalisées d'ironie.

Parce que tu te crois parfait peut-être ? Hein ? Tu crois exempt de violence et de mépris ? Laisse-moi rire ! Je le sens... ça vibre en toi... ça se sent ! Tu n'attendais que ça !

((D'exploser en toute légitimité))

Tu kiffes ça ! Ce côté féroce et monstrueux de toi !

Et il en veut encore Ziggy, il veut le voir toucher le fond - dépasser une limite invisible qui l'empêchera de revenir en arrière.
Ziggy le traîne fermement jusqu'aux toilettes. Puisque la violence est une preuve d'amour ! Puisqu'il veut avoir raison ! Parce que lui aussi est en colère !
Il le met à genoux et pousse sa tête vers la cuvette.
Un pied sur son dos et l'autre sur une de ses chevilles. Quelle chance ! C'est une des toilettes qu'il a récuré, on respire par le nez l'odeur assommante de la javel et on peut observer son reflet dans l'eau clairette.

Moi aussi je l'adore, ça te rend adorable ! Allez ! Qu'est-ce que tu vas faire !

(tw: sang/automutilation) Sous sa poigne déifiée, Ziggy ne sent pas de résistance. Alors tant pis... ! Peut-être que Felix mérite bien une petite baignade. Il espère que ça le réveillera une bonne fois pour toutes, car Ziggy ne prend pas spécialement de plaisir dans le fait de le maltraiter. Il préférerait qu'il le laisse le cajoler, l'adorer, le bonifier comme un trésor à préserver.
Mais Felix n'en fait qu'à sa tête ! Et la patience de Ziggy s'étire en même temps que sa cruauté.

Le craquement de l'os résonne dans la cabine des toilettes. Ziggy bascule en arrière et la porte s'ouvre sous le poids de son corps. Il s'écrase sur le carrelage, le regard écarquillé par la douleur vivifiante qui se propage à l'intérieur de lui. Le sang s'écoule de ses narines. Allongé à terre, il sort le bout de sa langue pour le goûter. C'est bien du sang. Ziggy n'a pas vraiment le temps de se relever - Felix est déjà sur lui. Il plaque ses mains au-dessus de sa tête et Ziggy en a le souffle coupé.

Haha... hahaha....

Il relève le menton et s'étouffe de ses propres gloussements ; le sang bouche ses sinus et la voix de Felix s'imprègne en écho contre les parois de son crâne. Ziggy ne réfléchit plus ; il n'y a qu'une obsession -

se faire mal, et lui obéir.
se faire mal, assouvir son désir.
se faire mal à s'en faire du bien !

Alors que des gouttelettes perlent le long des cheveux de Felix, roulent sur les tempes de Ziggy, Ziggy essaie de se contorsionner. Sans se départir de son sourire, il appuie un de ses doigts vers l'arrière jusqu'à sentir l'articulation de sa phalange craquer. C'est un tourment si violent que ça le fait pleurer. Lentement, progressivement. Ziggy fond en larmes. Le majeur retourné et violacé, les poignets toujours prisonniers, Ziggy cambre les reins. Il crache un filet de sang au visage de Felix et implore.

J'ai fait ce que tu m'as demandé... haha.... tu vois moi... je suis pas un lâche...

Les larmes continuent de dégringoler sur ses joues.

Tu m'aimes correctement maintenant...? aaah... ça fait mal...

La violence semble avoir atteint son paroxysme. Elle cumule son sommet puis redescend en avalanche d'excuses. Ziggy reste hagard, mystifié par les tribulations d'un Felix balbutiant et repentant. Les larmes ont laissés des marques sur les joues de Ziggy, même s'il a arrêté de pleurer. Son doigt le fait atrocement souffrir mais la douleur s'est envolée un peu plus loin. Il est trop sonné pour vraiment la considérer et s'y attarder. Quelque chose cloche dans l'attitude de Felix... est-ce qu'ils ont rêvé ça, à l'unisson ? Est-ce que c'est mal si Ziggy a aimé plus que de raison ?

Quoi...?

Un afflux de papier toilette mis dans les mains, Ziggy se tamponne les narines méthodiquement. Il éponge le sang sans quitter Felix des yeux. Le voir aussi paniqué l'amuse mais le stresse !

Eh là ! Doucement ! Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu n'es plus en colère ?

Ziggy s'enfonce un morceau de papier roulé dans une narine. Il se relève sur ses jambes, grimace en sentant son doigt cassé le lancer.
Les relents d'obsession sont encore bien présents pour le hanter.

Hahahaha !

Le rire de Ziggy a des échos de moqueries.
Il fond sur Felix et se colle à lui, une main solidement ancrée à l'arrière de son crâne pour le maintenir de visu.

J'ai bien aimé quand tu m'as susurré ton poison... tu n'as pas aimé, toi ? Arrête de rejeter cette part de toi ! Elle te rend trop adorable, ça serait dommage de ne pas en profiter...

(tw: agression/baiser non consenti)

Ziggy ne demande pas la permission pour l'embrasser. Il lui vole un baiser fugace mais passionnel, abruti par un désir qu'on confond trop souvent avec de l'amour. Il veut juste le posséder, comme on glorifie le plus beau jouet qu'on a jamais reçu.

C'est trop bon, j'adore...

Ziggy a face à lui un revenant, une ombre tangible mais qui s'efface peu à peu. A mesure que Felix renonce à sa lumière, Ziggy accueille les reliquats de son essence. Il ne l'avait pas compris comme il aurait dû. Il a projeté sur lui ses propres injonctions, déviantes. Et voilà le résultat ! Felix pleure et Felix a peur.
La poitrine de Ziggy se tord sous la danse des ronces qui lui picotent le coeur.

Ah...

Il baisse la tête, un peu gêné. Il pose son index sur sa lèvre inférieure, la mine basse - l'air de réfléchir. Un silence pesant s'installe entre eux dont Ziggy en ressent la première fois l'embarras.

...

Il relève finalement le menton. A voir Felix aussi mal, il a l'impulsion de le prendre dans ses bras. Ziggy plaque la paume de sa main à l'arrière de son crâne, pour le maintenir pressé contre lui. Le contact est chaud et il l'espère réconfortant.

Moi j'y peux rien si je te trouve adorable tu sais... mais si tu préfères que j'ai peur de toi, alors j'aurai peur. Je serais terrifié...

Son doigt le lance et il réalise que la douleur lui parvient enfin. L'adrénaline est redescendue. Ziggy souffle dans son cou puis pose son menton sur son épaule. Dépassé par l'idée de tendresse. Il n'y a toujours eu que la violence pour le séduire, et la malveillance pour le servir.
Dans l'ombre du cou de Felix, il étire un sourire sordide.

Tu veux m'emmener à l'infirmerie pour te faire pardonner ?

Sur le chemin de l'infirmerie, Ziggy a la démarche tranquille. Il prétend que rien de grave ne s'est passé, quand bien même sa chemise est tâchée de sang et que son nez a doublé de volume. Les blocard-es se retournent sur leur passage, tantôt intrigués par leur dégaine affolante, tantôt dérangés par l'odeur qu'ils dégagent tous les deux - mélange outrancier de sang, de javel et de pisse.

Mais Ziggy est heureux et ça se voit sur son visage. Les stigmates de leur affrontement ne le dérangent pas le moins du monde. Si Felix lui avait donné l'autorisation, il lui aurait pris la main pour lui donner du courage. Même si Felix n'a pas l'air d'en avoir spécialement besoin - il agresse une fille qui le dévisage trop longtemps et Ziggy pouffe de rire dans sa main.

Devant l'infirmerie, Felix se tourne vers lui et Ziggy cligne des yeux.

Peut-être que je suis ça, oui. Masochiste, comme tu dis. En vrai, ça expliquerait pas mal de choses, non ?

Même s'il a envie de rire, Ziggy s'efforce de garder un air sérieux. Il ne sait pas encore si Felix plaisante ou si c'est un appel désespéré.
On peut pas être ami ?
Ok, finalement - l'envie de rire s'est envolée. Ziggy l'appréhende avec plus de froideur. Il le regarde en silence, l'oeil perçant et brillant.

... Ouai, on peut. Si tu veux toujours.

Frustré et amer, Ziggy repense aux mots d'Ilan. Et à cette dernière chance qu'il lui a donné. Il y a un monde où Ziggy veut vivre juste pour être à ses côtés.

Désolé pour tout à l'heure.

De sa main libre, cachée dans son dos, Ziggy matérialise une petite amulette. Il la garde bien dans sa paume, poing serré.

Je pense que je devrais y aller. Je ne dirai pas que c'est toi. Je dirais que tu m'as sauvé après que j'ai glissé sur le sol. Ok ?

Ziggy lève un doigt pour lui effleurer la joue, puis se détourne de lui et entre dans l'infirmerie - prêt à se faire soigner.
Et l'amulette gît maintenant au fond de sa poche trouée.