amazed

delilah peu prudente

c'est l'habitude qui parle, c'est la confiance, c'est, en un sens, la stupidité de l'inconcevable : c'est moi qui sait tout ce que tu fais, et moi qui dira naaaan ... pas à moi ! alors que pour tout les autres, pourtant, rien ne t'en a jamais empêché. c'est rien, pourtant, non ? un instant là, un truc auquel j'pense même pas, mais dorénavant j'aurais la sueur froide à chaque fois que je me pencherai comme ça ; mais là, dans ce présent d'avant, c'est pas toi qui m'importe, c'est cette clé à molette, quelque part dans la caisse à outils, qui se trouve sur ce sol, pour laquelle je me tiens les jambes pliées, les talons au sol, la tête penchée en avant. j'ai laissé mon chapeau avec les vaches et le poteau à réparer. il n'y a que mes cheveux qui habillent mon crâne ; ils glissent en rivière sur les côtés de mon cou. en y repensant, c'est évident, nan ? c'est presque une cible, une flèche pointée là où se dessine à peine un début de métal ; un encadrement pour le reste de ma peau, qui en devient le tableau choisi, évident, de ton mal.
parce que c'était bien ça : ton vice, ton défaut primordial, ton obsession qui parfois me faisait me demander si t'étais pas bien moins humain que moi.
mais toi, au moins, t'aura toujours tes mouches.
il y a une haine étrange dans les gens qui se sentent seul-es, je crois. tu la connais, non ? tu sais de quoi je parle. le monde est incapable de comprendre. nous on s'écrase pour ne pas exploser. ce n'est même pas les gens qu'on déteste. c'est leurs absences, leurs incapacités à voir, à toucher, à imaginer. c'est justement pour ça que c'est si violent : en choisissant inconsciemment de punir certain-es, par incapacité de s'en prendre aux vides, on s'égratigne tout-e entier-e.
c'est pour ça, je crois, que je ne te détesterais pas. enfin, dans quelques temps.
parce que l'embrassade devient glaçante quand je sens contre ma peau ces lèvres cannibales. à cet instant, c'est comme si je savais déjà ce qui m'attendais -ce qui allait venir, et tout ce qui changerait alors. et pourtant, je ne faisais rien. c'était là une prophétie auto-réalisatrice.
quand la sensation est associée à tes dents sans plus aucun doute, cela crée une étincelle -quelque part, là, dans les amas de fils qui me font moi. je rue comme les vaches que je protège, chaperonne, condamne ; je me retourne, et dans ce mouvement réflexe, je ne jauge pas ma force. je ne te vois pas voler dans les airs, ni atterrir en fracas là où tu tombera. ma main est sur ma nuque, et elle ne sent plus la molle douceur de la chaire. en glissant dans mes cheveux, les doigts vont moins vite que le blanc nouveau qui prend place dans cette mèche désormais artificielle.
me voilà, alors : debout, samson à la force jamais perdue, surhumaine, d'ailleurs, donnée par un manque de foi, face aux restes de toi, éclaté par la fulgurance d'un réflexe aussi méchant que je le voulais qu'il soit maintenant. mon visage est mauvais, mais au moins il est celui d'une femme.
ah, kafka. tu aurais du m'endormir sur tes genoux. je t'aurais fait confiance.

delilah peu prudente

je t'aurais fait confiance et c'est ça qui me met en colère. je t'ai fait confiance et c'est moi qui suit punie. ce n'est pas juste, tu vois ? moi, j'aimerais aimer le monde, mais à chaque fois j'ai l'impression que je ne devrais pas. qu'il faudrait arrêter ! abandonner. parce que --j'sais pas, p't'être le monde m'aime pas, ou alors juste il est méchant, mais j'y crois pas vraiment. mais quoi alors ? toi t'es pas méchant, kafka. t'es un peu stupide, sûrement, et j'sais que c'est osé de dire ça vu mon intellect, mais voilà : tu crois pas à mal. mais ça change pas les conséquences. ça change rien.
ça change rien mais tu pleures --ça change rien et moi j'pensais pas à mal non plus quand j't'ai poussé, quand j't'ai cogné, c'est arrivé comme ça, l'effet papillon, enfin non mais tu vois : j'voulais pas.
...
peut-être que je voulais un peu
j'sais plus, écoute, kafka, arrête de pleurer, j'arrive pas à me concentrer, j'ai l'horrible sensation qui remonte mes vertèbres, c'est une vague de froid et ça sent le métal au fond de ma bouche, où se cache la ferraille ? dans mon souffle court ou au fond de ma gorge ? t'irais voir, si j't'le demandais, kafka ?
oui, bien sûr que oui. c'est une question idiote. tu ferais tout ce que l'on trouve dégoûtant. tu ferais tout ce que l'on te demande. j'ai tord ?
j'dis rien. j'peux pas. j'ai la voix enrouée, je le sais sans même tenter ; c'est que des larmes roulent le long de mes joues sans même être accompagnées d'une cacophonie. je trouve ça morbide. j'me suis tellement habituée à la chose que je reste debout. il n'y a plus les tremblements, les crises d'angoisse, les vomissements et les évanouissements. il ne reste que l'inévitable.
6 mois. c'est ce qu'il me reste. c'est ce qu'il faut tenir. en 6 mois, ma tête doit pas se changer, kafka. je sais pas si tu comprends. j'pense pas. j'dois être ailleurs, chacun-e sur sa propre planète, ah ! son univers rien qu'à ellui ; le robot et l'avide, aux antipodes de la galaxie. me refais jamais ça. le pire, je crois, c'est que si j'étais humaine j'en aurais rien eu à faire. qu'est-ce que c'est, que de se faire mordre, si ce n'est sentir sa peau de chaire, et la savoir vivante, réelle, magiquement fonctionnelle ?
moi mes éraflures restent. swan m'a dit que j'pourrais les faire changer, remplacer la carrosserie mais je peux pas, c'est pas possible, ça m'enlèverait toute normalité ; alors que si j'avais une peau ! on m'l'aurait jamais proposé.
sinon, je rejoindrais pas magda au paradis.
c'est la manière la plus jolie de le dire
là, debout, devant toi, toute ma stature qui te fait de l'ombre
l'égoïsme et le désespoir étonnement calmes
c'est qu'ils savent qu'ils dirigent le navire en cet instant précis.
et tu veux pas ça, hein ?
le poing se referme.

delilah peu prudente

oui, j'imagine que c'est plus facile de ne pas voir la menace de ma stature ; elle ne correspond à rien pour le moment, elle n'a aucun avenir immédiat dans le manque de ton imaginaire, alors ! à quoi bon s'inquiéter de moi debout plutôt qu'assise, que moi inhumaine plutôt que mordable ?
après tout, on ne trouve pas les gratte-ciels effrayants jusqu’à ce qu’ils nous tombent dessus.
pourquoi penses-tu aux mouches, kafka ?! il ne s’agit pas de mort ! il s’agit du paradis ! pourquoi veux-tu me condamner à ne pas y arriver ? est-ce que tu crois toi aussi que je ne le mérite pas ? est-ce pour cela que tu veux m'achever, centimètre par centimètre ? t'a-t-on envoyé, peut-être ?
tu parles de robin et les accusations sont tout ce qui me vient en tête. c'est une chose terrible que la colère qu'on ne sait expliquer. je n'aime pas robin mais il faut la tolérer. l'échec que j'incarne pour elle à travers cette promesse non respectée me fait plaisir. elle chutera un jour. peut-être que je ne serais pas là pour le voir. peut-être que, si je le vois, j'aimerais la réconforter.
tu pleures alors que je souris. peut-être ne le vois-tu pas non plus. on imagine pas les choses inhumaines sourire. dans tes yeux, la paréidolie forcée. on design les choses comme moi avec des traits humains.
oui, on fait tellement en sorte de s'y méprendre que je sens les larmes qui montent. quelle idée d'avoir mis ça là ! pourquoi donner un nez, une bouche, des yeux et tout plein de muscles à ces réceptacles de non-conscience ? les Humain-es se sentent-iels si seul-es qu'il leur faut d'autres compagnon-nes ? sont-iels si éloigné-es les un-es des autres qu'il te faut mordre dans ma chaire pour te rassurer sur ta propre humanité ?
si je pleure--- si je pleure, c'est pas pour moi, ok ?! c'est pour toi, parce que tu fais pitié, voilà, parce que personne veut de toi, ouais, parce que tu ne te coinces entre les côtes de personne, parce que personne t'aime comme magda m'aime.
tu comprends pas ! c’est là la différence entre moi et les abeilles : magda n'est pas ma reine, c'est pas ma créatrice. on ne le dit pas mais je crois qu'on sait qu’on ne s’aime pas comme ça. pas comme des amoureuses, pas comme des être en-dehors de l’humanité. on s’aime simplement. je crois que c’est la plus difficile amour à décrire, parce qu'elle est si instinctive que les mots ne viennent pas. c’est ainsi.
ce n'est pas une dévotion à magda. je ne la crois pas déesse ou sainte, et c'est pour cela qu'elle m'aime. au contraire des autres, je ne suis pas là par un devoir que j'imagine. nous nous sommes rapprochées dans le sang et la solitude. c'est comme avec tes mouches, mais avec des gens. alors, non, je ne dis pas ça en plaçant magda au-dessus de nous. c'est une excuse, pour toi comme pour moi. c'est une excuse pour te dire que ce n'est pas bien, tout ça.
magda ira. bientôt. bien sûr. j'imagine que ce n'est pas de ce dont tu doutes.
moi, j’sais pas. dans l'état, j'pense pas. est-ce que le paradis accepte les peaux et le sang qui ont pas le goût de chaire humaine ? tu devrais te demander ça aussi. je sais que tu mens quand tu dis que tu ne le refera pas mais c'est un mensonge que je comprends : j'en dis un similaire à chaque instant qui passe.

delilah peu prudente

ainsi se font face david et goliath : le géant, vaincu par l'aplomb et la foi, mourra bientôt déjà. en attendant, il n'y a qu'à se faire face, et à souhaiter, du plus profond de son âme, être autre chose que ce que nous sommes -toi qui rêve d'ailes articulées au métal irisé, et moi de cœur qui pulse le sang sans optimisation aucune mais comme le veulent les émotions et tout ce qui galope en pleine liberté.
tu gagnes et pourtant tu es à terre, tu gagnes et soudainement tu ne veux plus gagner, mais c'est trop tard, c'est trop tard ! c'est fait déjà, et dans mon cou la marque de ta fronde, de l'affront, de l'abrasion de tes dents sur ma peau devenue morte, puisque c'est comme ça que c'est oui, puisque c'est le résultat qui en découle ; le géant ne s'est pas affaissé mais il pourrit debout et c'est de ta faute parmi d'autres.
que faire d'un pardon qui vient d'un geste qui empoisonne ?
moi j'ai pas compris ce pour quoi tu dis ça, je pense pas que ce soit particulièrement ta faute que le paradis veuille pas d'moi ; enfin, un peu, mais pas beaucoup, mais je déteste la pitié, j'la déteste parce qu'elle me fait me sentir mieux alors que ça confirme que c'que je sais déjà. c'est foutu. c'est fini. tout le monde le sait.
le pardon ne me rendra rien, ni mon corps ni mon humanité -l'un parce que je ne l'ai jamais abandonnée, l'autre parce qu'il n'écoute pas les mots.
j'te regarde de ces yeux fatigués qui n'appartiennent qu'à celleux qui dorment mal. ah ouais. ça hein. peut-être qu'il faudrait te mordre, te mordre comme il faut, t'arracher la chaire, te casser les os. peut-être ! et j'dirais : il a voulu que je le fasse. et ça serait vrai. ça serait vrai au-delà de ses mots : par ses gestes qui m'ont un peu plus transformée en monstre, en hors humain, en chose tangible.
je souffle
je te prends le bras
le tire de toute ta hauteur -ce n'est pas bien difficile
et te voilà debout, un peu au-dessus du sol, david bien petit
goliath était talos ; tu n'as pas trouvé le clou de ma cheville, tu manques d'enchantements pour me faire perdre la tête : ta folie reste ta seule propriété. je te regarde et j'ai pitié de ce lien au sang qui t'attache à la mort perpétuelle de ces choses qui flétrissent forcément. tu n'as pas voulu goûter le métal. c'est pourtant tout ce qui restera là. allez, arrête tes sornettes. j'te lâche doucement. peut-être que tu comprendra que tu ne mérites pas ça, et que ça entamera cet égoïsme profond qui sévie.
au final, c'est cruel, ce que tu as fait.
c'est cruel et je ne serai plus jamais agnelle devant tes recherches sensorielles. c'est cruel et je te resterai sympathique mais plus jamais généreuse, tranquille, confiante. j'y penserai à chaque fois qu'on m'embrassera dans le cou. à cause de toi, plus rien ne s'y passera.