amazed

En début d’après-midi le soleil est à ses heures les plus brillantes : au plus haut il éclaire tout et les ombres se font rares.
Il a ce côté un peu pesant,
presque oppressant,
on transpire vite en été.

Et puisque l’on voit tout, c’est Tess qu’il voit au loin. Même sous la fine ombre des feuillages sa longue chevelure dorée reflète et se remarque toujours.

Nine se met à sourire.

Indirectement, Tess le frustre.
Pourtant il ne lui parle jamais - ça fait longtemps - mais il se sent légèrement bouillir (aujourd’hui il fait chaud !)
Car il en est sûr maintenant ;
il vous déteste - toi, lui, elle,
les grandes sœurs et les grands frères,

Dans un autre univers, Nine est fils unique.

“Bouh !”

Il s’est approché assez discrètement pour arriver par l’arrière. Ainsi il a pu te crier ces mauvaises surprises au creux de l’oreille. Il ricane. Comme d’habitude.

“Tu lis quoi ?”

En réalité il s’en fiche.
Nine s’installe sur le banc à tes cotés sans te demander l’autorisation. Puis c’est le banc de tout le monde, ce serait absurde que tu refuses.
Dans l'action, il lit sans gêne une page ouverte de ton livre. Mais il s’en fiche. Donc il parle en même temps.

“Ça faisait longtemps qu’on s’était pas croisé. T’as trouvé ton dernier club ? Je devrais choisir le même que toi. Ça mettrait un terme à notre petit rituel. Et on pourra en parler plus tard - “tu te souviens ? Quand on ne savait pas quoi choisir comme activité” - ce serait marrant !”

Son regard revient à toi.

“En plus peut-être qu’avoir un dernier club ça montrerait à queeeeel point t’es appliquée. Maintenant qu’on peut vous promettre des étoiles pour tout et rien. J’ai l’impression en tout cas. En vrai j’en sais rien - moi je m’en fous.”

Indirectement, Tess le frustre.
Alors ça l’amuse de rompre sa petite tranquillité aujourd’hui !

Nine pouffe un énième rire - c’est dommage tu dis ! Pourtant il n’arrive pas à te croire. C’est ce qu’il trouve marrant chez toi, comme chez beaucoup d’autres de ton rang : cette espèce d'hypocrisie amicale. Il sait que tu ne l’aime pas comme il ne t’aime pas spécialement non plus.

Il voudrait que tu sois plus sincère dans ta colère,
parce qu’il est venu exprès t’importuner et tester ta patience.

“Trop, trop dommage, ouais.”

Il reprend dans une tonalité similaire à la tienne.
Mais seulement dans cette optique de s’en moquer.

Il finit par s’accouder contre son genoux, sa tête reposant entre sa paume : cela lui donne une posture nonchalante alors que tu le sermone presque. Face à ta sévérité il ne flanche pas, continuant de soutenir ton regard, son sourire impertinent ne s’élargit que de quelques millimètres.

“Pourquoi toi tu t’en fiches pas ?”

C’est vrai ça, pourquoi c’est forcément lui le problème ?

“On va tous au Paradis à la fin, non ? Ça changerait quoi ?”

Il est persuadé que ses efforts de mieux faire pour les autres sont inutiles.
Puis ça l’amuse de se faire poursuivre - Nine aime bien courir.

“Des fois tu te dis pas c’est un peu injuste quand même - on offre des animaux à ceux qui tuent les chats. Si c’était moi, on m’aurait mis en isolement.”

Nine ne flanche toujours pas.
Il a l’habitude qu’on le contredise.

“Tu devrais peut-être essayer toi aussi ?”

De massacrer des choses - visiblement ça passe mieux lorsqu'on porte les étoiles.

Il y a quelque chose d’agaçant dans les paroles de Tess. Pour vous, c’est toujours la coutume, toujours raisonnable, toujours justifié ; toujours pour le Père Suprême. Les discours sont les mêmes et ils ne changeront jamais, et cela ne vous empêche jamais de les partager avec cet air suffisant - les étoiles vous montent trop à la tête,
les étoiles effacent même votre humanité.

“... Mhmh.”

Il acquiesce sans intérêt. Le ton de sa voix résonnant par l’ennui condescendant - il entend ce que tu dis, mais ne cherche pas à le retenir ! Sa vision du monde est bien trop éloignée de la tienne pour trouver un terrain d’entente : pourquoi se réduire à la reconnaissance éternelle d’un homme qu’on ne connaît pas ? Et pourquoi sa parole est tant absolue ? A croire que sa voix à le pouvoir de créer le fanatisme. (Même Nine se fait petit lorsqu’il lui fait face - que c’est absurde !)

“Oui c’est ce que je dis : c’est injuste.”

Le contrôle qu’il a sur les vies, elle est injuste.
Pour ne pas abîmer la constellation qui vous représente, on vous inflige moins grave que ceux qui n’ont rien.
Et c’est lassant -
frustrant.

“C’est teeeellement charitable de ta part.”

Il force sur les moqueries : ne pas s’attaquer à la vie d’autrui n’a rien de spécial - c’est pas cette logique qui te rendra plus appréciable.

Nine se redresse en soupirant. En appuie sur ses mains contre le banc, il étend ses jambes pour faire balancer ses pieds.
Il se tait pendant quelques secondes, portant la conclusion que ta vie devait être d’un ennui à se forcer absolument à rester dans le droit chemin. C’est qui rendrait ton profil d’autant plus intéressant à ébranler par les désillusions - dommage, Nine n’a pas cette clé.

Ses chaussures se cognent une dernière fois entre elles,
il se retourne de nouveau vers toi -

“Tu te perfectionnes dans quoi exactement ? T’as pas l’impression que c’est pas assez ? De faire ça pour rien ?”

Il n’a pas la clé mais il essaie -
parfois il suffit de forcer la serrure !

“Ça fait combien de temps que t’es trois étoiles ? T’as bientôt trente ans quoi - tu penses pas que c’est trop tard pour devenir Premium ?”

Voilà - parfois il suffit d’être simplement méchant.
Tess, tu trouves pas que t’as échoué ?

“Tu parles toujours du Père - ça se trouve lui, il ne t’aime même pas !”