amazed

Le message de Jim est inquiétant, mais pas vraiment alarmant. Quand le réveil d'Alfie sonne à sept heures trente, il a encore la tête dans le gaz en voyant la notification clignoter sur son nexus. Jim le convoque - automatiquement, Alfie pense à Marley. Jim n'est pas son patriarche, pourquoi donc voudrait-il le voir alors qu'il a sûrement d'autres problèmes à gérer en ce moment ? La nouvelle de Caïn a rapidement fait le tour de l'Enclave, et Alfie s'était identifié à sa chute, d'une certaine manière.

Pas de réponses de Jim. Alfie s'habille et part en direction du refectoire. Le soleil vient à peine de se lever - sa lumière chaude couve l'éveil de la faim. Pas de la sienne ; Alfie a l'estomac noué.

Et Jim répond enfin.
Alfie n'entre pas au réfectoire, devant lequel se forme déjà une petite queue ; il se détourne des brebis pour trottiner vers le bâtiment des bergers.
Croise quelques parents qu'il ignore, le cœur en proie à une angoisse indescriptible. Il traverse les couloirs, à la recherche de la bonne chambre. Les appartements des parents ressemblent à l'étage des premiums - des petites plaques en or avec le prénom du parent gravé sont placardées sur les murs, à gauche des portes. Il s'arrête en voyant celle de Jim et toque, puissamment.

Père Jim ?

Quand celui-ci lui ouvre, il a un pas de recul en voyant sa mine déconfite et ses cernes, plus marqués qu'habituellement.

Bonjour !

Il force un sourire, mal à l'aise sans se l'expliquer.

Tout va bien ? J'ai fait au plus vite.

C'est à propos de Marley. Et tout de suite, ses convictions s'écroulent. Alfie ne réagit pas. Il écoute sans ciller. Au fur et à mesure que le silence s'installe entre chaque aveu, il perd lentement son sourire. Ne subsiste qu'une expression morte née, le regard voilé par des larmes qui s'accumulent sans qu'Alfie ne pleure vraiment. Il se contente de froncer les sourcils, et demande - la voix tremblante :

Comment ça... Tu crois ? Il s'est enfuit ?

Sur le coup, ça semble tellement grotesque qu'Alfie soupçonne une plaisanterie. Mais Jim n'est pas de ces parents à l'humour étrange. Il est plutôt triste et morne - ça ne lui viendrait pas à l'idée de faire une blague là-dessus.

... Mais s'enfuir où ?

L'incompréhension se mue en colère. Alfie dépasse les limites de l'insolence, il le sait mais c'est plus fort que lui. Il hausse la voix.

Tu DEVAIS veiller sur lui ! Et tu me dis que tu l'as... PERDU ?!

Les battements de son coeur accélèrent. Il est sur le point de faire une crise d'angoisse.

Mais .. Mais... Qu'est-ce que ça veut dire ?! Tu ne peux PAS PERDRE un chien ici ! Il serait aller où, même ?! Tu MENS, je ne te CROIS PAS ! C'est IMPOSSIBLE !

Non seulement les explications balbutiantes de Jim n'arrivent pas à l'apaiser, mais elles attisent sa colère d'autant plus. Alfie le fixe en tremblant, le regard écarquillé de sidération. Il boue de haine, dépassé par l'intensité de ses émotions - toutes plus négatives les unes que les autres.
Alfie est écœuré, dégoûté, révolté, indigné, apeuré, tétanisé, horrifié, atterré.
Tu as raison et Alfie n'écoute pas la suite. Si Jim légitime la recette du cocktail, alors Alfie peut bien lui exploser à la figure sans réfléchir aux dégats, à la chute - aux conséquences de sa fuite.

NON ! Non, non, non, NON, NON, NON !

Le désespoir se mue en déni. Alfie contourne Jim pour commencer à fouiller. Il le fait sommairement, sans jamais vraiment s'attarder sur les détails. Il regarde sous le lit, dans les placards. Il ne sait pas ce qu'il cherche mais il cherche une nouvelle raison de péter un cable.

Tu l'as rangé quelque part.... Moi je vais t'aider à la retrouver !

C'est justement parce qu'Alfie s'est abandonné à une absence totale de sens que ça rend la scène encore plus dramatique.

Haha... non... bah non... tu l'as PERDU...

Il éclate d'un rire triste et désemparé.
La supplication de Jim finit de l'achever.

Quoi ? qu'il demande, menaçant - la voix tremblante. Te pardonner ? Jamais.

Il revient se planter face à lui.

Rends-moi mon chien maintenant.

Jim lui impose le calme mais Alfie y demeure réfractaire. Il ne sait pas comment s'apaiser, le palpitant et l'esprit tous les deux en alerte. L'angoisse lui comprime la poitrine, si bien qu'il porte ses deux mains à sa chemise et la froisse sous ses doigts. S'il pouvait s'arracher le coeur - ce serait un soulagement qui prendrait enfin du sens.

Arrête... Arrête, arrête, arrête !

La pitié qui suinte des verbes de Jim lui font l'effet de petites épines, taillées à la perfection juste pour le torturer. Il est désolé mais ça ne suffit plus - d'être désolé.
ça ne suffit plus de se calmer.
ça ne suffit plus de tout accepter.

Et si la soumission naturelle à toute forme d'autorité (incarnée par Jim en cet instant) trigger le conditionnement d'Alfie ; qu'il finit par baisser les yeux et s'excuser en silence, le corps tremblant de spasmes et de sanglots, la révolte subsiste au fond de ses yeux. Il lui fait confiance parce qu'il le doit mais pas parce qu'il le veut.

Pourquoi ne laisse-t-on pas le détester sans lui griffer l'intérieur du crâne ?

Ramène-le... je t'en supplie... Je ferai tout ce que tu voudras, je redeviendrai premium en un mois... Mais pas Marley ! Ne le laisse pas me le prendre !

Et Alfie ne conscientise pas à quel point sa détresse est criante de vérité.