amazed

Des jours que Ziggy est en isolement. Des jours qu'il tourne en rond et cultive sa patience. Il n'y a pas grand chose à faire entre quatre murs, bercé par le silence et le ronronnement de la climatisation. Il regarde par la fenêtre quand les volets ne sont pas fermés mais il n'y a personne dehors - la vue donne sur une cours intérieure laissée à l'abandon. Ziggy se sent seule ; même la nature a l'air morte.

Ilan lui a promis une récompense en échange de sa docilité. Ziggy ne comptait pas se rebeller. Il est extrêmement sage depuis qu'il a été enfermé ici. Il a présenté des excuses crédibles quand il le fallait et s'est soumis à tous les tests auxquels on l'a obligé.

Il ne pense qu'à une chose, qui l'obsède encore et encore : Felix.
Est-ce que Felix lui en veut ?
Est-ce que Felix va bien ?
Est-ce qu'il va vouloir lui parler ? Le pardonner ?

Il crève d'avoir ses réponses mais s'efforce d'attendre son heure. En attendant, il médite et réfléchit à son sort.
C'est l'heure du repas quand la porte vibre. Il tourne la tête, la cuillère en suspens dans les airs. A la vue du sans étoile, son visage s'illumine d'enthousiasme.

Il repose prudemment la cuillère à côté de l'assiette et éloigne le plateau de ses genoux.

Tu es là...

Sa voix est douce et posée. Ziggy présente une image aseptisée de lui-même, sans ses piercings (ils lui rendront plus tard, peut-être) ; avec ses cheveux lâchés et sa blouse blanche. Il penche la tête sur le côté puis attrape le bol de compote, qu'il tend à Felix.

Tu en veux ? Le goût est un peu fade, mais c'est sucré. Tu ne dois pas beaucoup manger ! Tu as l'air tout maigre.

Ses yeux, farouches, le déshabillent sans pudeur.
Ziggy sent qu'il ne sent pas à sa place ; pire - il comprend qu'il n'a pas envie d'être là.

On t'a forcé, c'est ça ?

Il ramène la gamelle vers lui et serre brusquement la cuillère dans sa main. Il semble contenir sa colère un instant, avant de doucement reposer le tout sur le plateau. Quand il relève la tête, c'est avec un sourire tendre.

Ce n'est pas grave.

Évidemment qu'on lui a demandé de venir. L'inverse aurait été surprenant - Felix s'est enfui en hurlant ; Felix n'attendait que ça - de partir, loin. Loin. Le regard de Ziggy se relève farouchement et le dévisage. Il étire un demi-sourire, ourlé en rictus malfaisant.

Mais je suis vexé. Blessé, même. Qu'est-ce que tu imagines ? Que je vais me jeter sur toi pour t'énucléer les yeux avec ma petite cuillère ?

Il pouffe de rire devant le ridicule de la situation ;
ridicule qu'il a instauré lui-même en en riant.

Mais contre toute attente, Felix désamorce aussi. Il réclame la compote (accepte son offrande) et Ziggy ne sait pas vraiment comment sur-réagir. Un peu méfiant, il tend à Felix son pot d'un geste saccadé puis se renfonce dans son matelas, jambes croisées. Il pose un coude sur une de ses cuisses et dépose son visage dans le creux de ses paumes. Ses cheveux tombent et brillent comme des filaments argentés, reflétant les quelques rayons de soleil qui percent les volets semi-fermés.

Je sais pas.

Il inspire, calme. Apaisé. Docile comme un chat teigneux qu'on aurait shooté aux médicaments.

Je n'y ai pas vraiment pensé. Je voulais juste lui faire mal. Il dit n'importe quoi à notre sujet. Qu'on est amoureux. Que je le suis. Je voulais qu'il se taise.

Il plisse les paupières et se penche en avant. Ziggy sait qu'ils sont écoutés ; c'est pour ça qu'il veut lui dire à l'oreille.

Viens, je vais te dire un secret.

D'une voix doucereuse, il assène :

Je sais que j'aurai pu le tuer, j'ai fait exprès de le planter à cet endroit. Je ne suis pas totalement fou.

T'es pas amoureux de moi ?
Ziggy cligne des yeux. Il ne répond pas, sincèrement surpris par la question. Felix enchaîne sur un raisonnement qui a du sens, pour celui qui s'y attarderait. Il n'a visiblement pas compris les intentions de Ziggy, et pour cela Ziggy ne lui en veut pas. Il ne peut pas attendre de Felix d'avoir la science infuse ; il ne peut pas non plus attendre de lui de prendre au sérieux son dévouement à son égard.

Felix Felix Felix...

Il lève l'index et l'agite de droite à gauche, sans le quitter des yeux.

Tu dis des bêtises. Tu voulais que je sois amoureux de toi ? Je ne peux pas t'aimer d'une autre façon ?

Il étire un sourire glacé.

Je ne t'imaginais pas aussi auto-centré.

D'un mouvement vif, il lui enlève la cuillère et la compote des mains. Il la pose sur son plateau et se penche vers lui. Il agrippe violemment ses joues, y plante ses ongles. Leurs souffles se mêlent.

Oui, je tuerai pour toi. Parce que je crois en ton potentiel. Mais tu as raison... si je le fais, c'est moi qui mourrai. Et je n'ai pas très envie si ça signifie être loin de toi.

Ziggy relâche un peu sa prise - il ne veut pas lui faire mal.

Tu serais triste si je mourrais ?

Et pour achever l'apothéose de son délire, il lui vole un baiser.

Ziggy ne savait pas ce qu'il espérait - il a juste suivi son instinct farceur. Il a imposé son désir à Felix en lui laissant le choix de le repousser.
Mais Felix n'a rien fait.
N'a littéralement rien fait.
Ziggy est malheureux mais satisfait. Il ne pensait pas un jour connaître un mélange d'émotions aussi contraires et paradoxales.

Il laisse Felix reprendre la compote et la cuillère, bien qu'il pensait s'être fait comprendre tout à l'heure. Il prend de la hauteur et se rassoit sur le lit, laissant Felix aussi au sol pour mieux le dominer.

C'est ce que tu penses ? A propos de la mort ?

Ziggy s'intéresse. Il essaie de rentrer en connexion avec lui pour mieux l'entendre - mieux le saisir dans sa psyché.

C'est parce que tu vois ça comme une fin en soit. C'est peut-être le commencement d'autre chose, on sait pas.

Il étire un sourire doux et tendre.

Mais merci. Merci de pas avoir envie que je meurs.

Il se penche en avant et appose sa main sur son crâne, l'aura écrasante.

Bon garçon.

Pour seule réponse, Ziggy hausse les épaules. La conversation ne le maintient éveillé que parce que c'est Felix, et que ses lèvres sont belles quand elles s'agitent et forment des mots, des phrases, des poèmes habiles qui viennent cueillir ses rêves.
Oh... Felix est audacieux. Sa morale est abjecte et ses croyances erronées. Ziggy le méprise soudainement pour lui faire la leçon. Il se fait sourd à ses sermons quand surgit l'impensable : Felix se confesse. Il confesse sa mesquinerie envers Sohan et Ziggy retient un tressautement d'excitation.

Tu parles de mérite ?

Ziggy est d'humeur farceuse. Il a de la cruauté qui brûle dans ses veines, et une douce chaleur qui roule sur ses hanches. Il se redresse, assit sur le lit. Il pose un coude sur son plateau et dépose sa tête dans la paume de sa main. Pointe un doigt malicieux vers Felix.

Laid comme... Lucas ?

La malveillance suinte de tout ses pores. Ziggy dévisage son agneau comme Caligula.

Tu en sais quelque chose Felix. Moi, je sais ce que tu as fait. C'est drôle... ton discours... quand on sait ce que tu as fait.

Il rigole.
Détestait Lucas, de toute façon.

Tu es comme moi... Tu es violent. Si tu es là pour nier ta vraie nature, alors tu peux retourner d'où tu viens. Mais ne vient pas me parler de mérite... Est-ce qu'il le méritait, lui ? Hm ? Et bien alors, tu as perdu ta langue ?

La violence est inévitable. Ziggy s'en doutait - il a nourrit ce désir insatiable de le voir perdre pieds. Felix est bien plus beau comme ça, au service de ses émotions distordues. C'est un chien fou, un chien libre.
Ziggy se fiche d'avoir mal sous ses doigts. Il peut bien laisser des marques violacées sur sa peau qu'il le chérirait quand même, à l'aube de leur chaos.

Aaah...

Plaqué sur le lit, le regard écarquillé, Ziggy a pour consigne de ne pas se défendre (de ne pas attaquer). Il se laisse donc faire, le corps malmené par la pression qu'exerce Felix sur lui.

Au moment où l'air vient à manquer, ses yeux se révulsent et il suffoque. Au même moment, l'on entre pour attraper Felix et le tirer en arrière. Ziggy se redresse sur un coude, une paupière close et la bouche tordue. Il fixe, silencieux, Felix se faire trainer jusqu'à la sortie. La porte se referme dans le silence et Ziggy se laisse tomber sur l'oreiller.

Un bras par dessus ses yeux ;
il étire un sourire et pouffe.