amazed

La gorge gonflée par les sucs, Alfie trottine autour du terrain. La chaleur l'accable, il a besoin d'air - besoin d'eau. Se penche, une fois à hauteur de sa chaise - là où il a déposé plus tôt ses affaires - pour attraper sa bouteille. Il ne fait aucun effort de tenue quand il se désaltère ; l'eau dégouline de son menton et trempe son maillot. A croire qu'il n'a pas bu depuis des siècles.

Non loin de lui, Fang rappelle à l'ordre ceux désignés pour ranger. Alfie en fait parti. Sans poser de questions, il jette sa serviette sur son sac et se met à la tâche. Il accumule les cerceaux sur un bras, concentré sur des discussions qui ne le concernent pas - un peu plus loin. Quand il passe devant la barrière, il sent une pression retenir son poignet. Il se retourne et manque de s'étrangler. Kafka est là.

Le silence laisse la place au brouhaha ambiant. Alfie fronce les sourcils et devine sa requête, même s'il déplore qu'il ne soit pas capable de la formuler directement.

Quoi, maintenant ?

Il grimace. Fang va le tuer.

Tu peux pas te rete- ?

Mais qui est-il, s'il se dégonfle déjà ?
Alfie s'est engagé et il ne veut pas briser son serment.

Ok, j'arrive. Mais on fait ça vite !

Il soupire et pose les cerceaux dans un coin - fait signe à une camarade de s'en occuper.

Désolé de te lâcher ! Je te revaudrai ça !

Elle hausse les épaules mais pose un regard curieux sur Kafka, caché derrière Alfie. Alfie se place totalement devant lui, protecteur.

Je dois l'emmener à l'infirmerie.

Il a beau y avoir réfléchi en amont, c'est la première excuse bidon qui lui vient à l'esprit.
Alfie attrape le poignet de Kafka, l’entraîne à sa suite vers le bâtiment. Quand il entre, c'est par derrière. Il pousse Kafka dans un placard à balai et les enferme tous les deux.

Si on continue comme ça, on va y arriver.

Qu'il encourage, à voix haute.
A se demander lesquels des deux en a le plus besoin.

L'obscurité dissimule les vices les plus honteux. Alfie se colle au mur ; revêt le masque imperceptible de la proie chassée. Il la déteste, cette gêne latente qui rend chacun de ses gestes maladroits et chargés de sens qu'il ne veut pas mettre. Les doigts de Kafka sur ses joues le dérangent ; ils attrapent ses poignets pour lui baisser.
Il a encore de la sueur qui coule à l'arrière de sa nuque.

Je transpire de ouf, me touche pas.

Il s'en veut de paraître aussi rustre et distant ; mais Kafka doit comprendre qu'ils ne doivent pas s'appréhender de cette manière-là.
C'est un service qu'il lui rend ;
juste un service.
Ils s'entraident pour un but commun - regagner des étoiles, regagner du prestige. Si Kafka peut incarner sa porte de sortie, il peut tout aussi bien s'avérer être la clé de son échec. A cette pensée, le placard a des allures de prison.

Où est-ce que tu veux ?
Les images de Kafka, affalé comme un animal sur son ventre, le déstabilisent.

Le poignet. Le poignet !

Il ne sait pas pourquoi il s'obstine à le répéter deux fois.
Alfie remonte son bracelet éponge à hauteur du coude et tend le bras devant lui. Dans le noir, il ne distingue pas totalement la silhouette de Kafka - n'avait pas imaginé qu'il soit aussi proche. Il le cogne sans faire exprès et sursaute.

Merde ! Pardon.

Pour le consoler, il trouve son épaule et tapote nerveusement dessus. Là, là ; comme à un enfant.

Je trouve pas la lumière.

Mais peut-être que c'est rassurant, de ne pas voir ; ça n'existe pas.

La poitrine d'Alfie se gonfle de remords ; suinte d'un désir honteux, aux ressorts libidineux. Il ne contrôle pas ses élans, bien qu'il les réprime. L'ambiance est lourde, pesante. Le fait de ne pas voir Kafka, tapi dans l'ombre comme un croquemitaine, le rend plus dangereux qu'il n'y parait. On n'en distingue que les contours ; ses dents luisent à l'orée des reflets obscurs. Il a tout d'un monstre, de ceux qu'on performe au théâtre.
Alfie aurait pu prédire qu'il vacillerait au troisième acte.

Doucement...

Il demande, le souffle court, comme on susurre à un amant. Alfie inspire en sentant les doigts de Kafka tâter son poignet - quand la chair perce sous la pression des canines, il se tord d’électricité, acculé contre le mur. Le sursaut fait renverser quelques balais et serpillières, couvrant le bruit de ses gémissements.

Hmm aah...

La main qu'il avait sur l'épaule de Kafka remonte, à l'aveugle, jusqu'à se percher sur le haut de son crâne. Alfie l'encourage à boire ; le lapement intempestif de sa langue râpeuse soulage et la douleur se diffuse. Pour dévier ses pensées déviantes, Alfie se figure un petit animal ; s'il déshumanise Kafka, il ne pourra jamais le désirer.

C'est bon, j'ai plus faim. Alfie supplie Kafka en silence - éloigne-toi ! Éloigne-toi, alors ! Mais le bruit de déglutition l'étourdit. C'est juste Kafka, juste du sang ; rien d'autre que du sang. Est-ce qu'il aurait préféré que ça soit autre chose ? Non ! Jamais de la vie ! Mais ça aurait été moins bizarre, plus en accord avec ce qu'on pourrait projeter. Alfie ne sait pas quoi en penser. Il n'a rien à se reprocher, et pourtant - a l'impression d'avoir fait quelque chose de sale et d'intime.

O-ok...

Entre la douleur et le plaisir vague qu'il en a tiré, Alfie se redresse mollement, inconfortable contre le mur. Il est rendu dizzy par la perte de sang.
Le doigt qu'enfonce Kafka dans sa bouche lui fait écarquiller les yeux. Il accueille son pouce avec un certain dégoût de lui-même (?) ; incapable de réagir promptement. Sa langue s'enroule autour de son pouce, le cajole, ses dents se heurtent à ses phalanges. Il ne sait pas à quoi Kafka l'encourage - il a été habitué à la tendresse, à rien d'autre.

((il ne veut pas le mordre en retour))
La réciprocité de ses vices le validerait dans son délire.

Et pourtant ;
ses canines ont soif de violence ;
il suffirait de pincer, de lui arracher le doigt comme un chien blessé et privé de sa conscience.

Aah ! Arrête !

Il le pousse pour l'éloigner. Un filet de salive coule le long de son menton. La plaie, toujours à vif, le gratte intensément. Il baisse le brassard en mousse dessus pour la dissimuler.

Qu'est-ce que tu faisais, encore ? Pas de ça. Pas de ça ! Je veux juste t'aider... juste... t'aider....

Son coeur bat à tout rompre. Alfie plaque une main sur sa poitrine. Le corps est brûlant et la fièvre pourrait l'amener à délirer.

J'ai besoin d'air.

La négligence dont il a fait preuve avec Kafka le rattrape. Il s'est laissé dévorer, petit à petit, jusqu'à se retrouver enlisé sous une montagne de vers - qui le grignotent, encore et encore. Alfie mourrait que d'admettre qu'il prend du plaisir dans la décrépitude ; il déteste chaque instant mais s'y résout ; dans l'abnégation crasse qui le rassure.

Non ! Non... Je regrette pas. Arrête de me faire dire des choses ; arrête de penser à ma place.

Il s'agace de ce manque de communication entre eux ;
ils ne parlent qu'au travers de soupirs impurs et d'accusations dures.
Pourquoi est-ce qu'ils se croisent sans se trouver ?

Je t'aide, c'est vrai ? T'es sincère ? J'ai besoin de savoir que je fais pas tout ça pour rien.

Peu à peu, il reprend le contrôle de sa respiration. Il éponge les ardeurs qui chauffent ses joues et ses oreilles. Kafka lui attrape la main et la guide à son coeur. Alfie frissonne - son coeur vrombit, comme celui d'une souris.

Alfie se défait de sa prise et en profite pour attraper le poignet de Kafka, dans un mouvement douloureux. Sa plaie le pique encore.

Viens.

Il ouvre la porte et passe la tête pour vérifier que personne n'est dans le coin. Une fois la zone sécurisée, il libère Kafka de leur prison.

Retourne à ton club. Tu étais censé assister auquel ?