amazed

j'demande juste la vérité

la vie, ces derniers temps, ne paraissait plus si compliquée. tay pensait s’être emmêlée dans une tragédie malgré elle, à l’image de ces personnages anciens choisis par le destin qui se battaient pour rien. tay n’a jamais trop pensé au principe de destinée. à vrai dire, elle ne faisait que vivre au jour le jour, incapable de se projeter dans un avenir qui lui paraissait jusqu’à peu obligatoirement métallique.
la machine, elle, pensait à l’avenir comme des suites de probabilité. elle avait encore du mal à jauger les réactions humaines, même celles venant pourtant de son propre processeur. l'impatience de tay était connue, mais sa profondeur avait été mal analysée ; bientôt, cela faisait trop longtemps, et elle se mua en des interrogations accusatrices et justifiantes en même temps. elle se disait alors : il n'y avait pas eu d'annonce pour austin -ah, il fallait juste attendre un jour de plus, voilà tout ! il n'y a pas eu d'annonce encore -le Père doit choisir la punition juste, cela prend du temps. il n'y a pas eu d'annonce -est-ce qu'il a nié ? remet-on en question la vérité ? pas d'annonce -pas d'annonce ! non, c'est impossible qu'il ne perde rien de ce qu'il a. l'enclave n'est pas comme ça. l'enclave est juste.
mais sohan lui a dit : austin restera petit roi. austin ne sera pas puni. austin continuera de vivre comme si de rien n'était.
une puce désactivée pour un mois, c'est cela : rien.
tay se dit que sohan peut mentir. il a déjà fait pire. à vrai dire, les grand-es adelphes ont toustes déjà fait pire sous ses yeux -robin et le chat, robin et le culte, paris et castor, sohan et rex, austin et tay.
avec cette pensée-là, tay se place devant le tableau et refuse de le regarder.
elles viennent alors te voir, toquent à la porte avec une délicatesse obligatoire lorsque l'on est faites de fer. quand tu ouvres, le désagréable son de leurs doigts qui s'entrechoquent nerveusement t'accompagne. bonjour père. je me permets de vous déranger, nous avons une question, si vous avez du temps.
elles te regardent de leur tête d'android et de leurs yeux caméléon ; il y en a un qui dérive parce que l'étalonnage bug : c'est la faute de tay et de ses satanées émotions. quand elles regardent rapidement dans le couloir, l'erreur est réparée. est-ce que c'est vrai qu'austin ne perdra pas d'étoile ? et qu'il restera grand frère ? elles ne peuvent pas sourire pour montrer qu'elles n'y croient pas, mais elles ne le feraient pas de toutes manières.

l’enclave est agacée, ces derniers temps. il ne cesse de se produire des bizarreries dans tous les coins, c’est à se demander si les enfants ici ne sont pas menés plus en bateau qu’il n’y paraît.

pourquoi autant de raffut ? de ton temps il ne se passait rien, que des trahisons sans revanches. enfin, c’est ce que la nostalgie s’acharne à te faire croire — comment aurais-tu pu regarder ce monde ? tu étais déjà enfermé dans le tien.

on toque à la porte. tu te lèves, pas curieux de qui t’importune mais déjà anxieux de pourquoi cela arrive. sous tes yeux, tay. ce n’est pas un visage que tu croises beaucoup, ni une silhouette que tu t’épuises à surveiller d’ordinaire.

« bonjour tay, tu ne me déranges jamais. qu’est-ce qui t’amène ? »

du temps ce n’est pas ce qu’il manque quand on a floué le paradis. tu fermes la porte derrière toi, prêt à écouter la source de son questionnement en te demandant déjà comment il faudrait broder pour y répondre.

« oh... ça. »

tu entames le pas pour t’éloigner du bureau et de ses oreilles. austin... son destin te concerne peu, mais ton avis sur son sort rejoindrait probablement celui de tay — toutefois il te faut le contenir. « ça ne t’embête pas d’en parler en marchant ? je dois aller ailleurs. pourquoi le sort d’austin te préoccupe tant ? » tu jettes un coup d’oeil curieux sur elle. « tu penses donc qu’il aurait dû perdre une étoile et son rôle ? » le couloir silencieux accueillent la formulation de ses désirs avec un léger écho qui rend ces propos effrontés. des fois entendre de la bouche d'un autre suffit à étouffer les questions honteuses. mais tay comprend-t-elle le poids de ce sentiment ? « ce n’est pas bien de souhaiter malheur à autrui. » quand bien même il a tenté le pire — tu sais de quoi tu parles. ici la justice n'existe que pour séduire les blocards les plus téméraires ; quelle belle illusion ! il ne faut pas que la rancœur l'envahisse, tu ne voudrais pas la voir devenir aussi amère et vide que toi.

j'demande juste la vérité

puisqu'elles ne dérangent pas, elles s'affirment, s'installent, s'imposent, le mètre quatre-vingt seize de métal aidant probablement à la tâche. les couloirs n'ont probablement rien d'assez solide pour leur poids ; elles restent debout, pièce de fourniture immanquable de ce bout de l'Enclave et d'ailleurs, exotisme depuis quelques jours pour lequel on accourt -il ne faudrait pas la rater tant qu'elle est encore là.
le ça siffle à leurs oreilles ; était-ce bien malin que de commencer de manière si légère ? elles viennent le cœur débordant ; la mort, pour l'une, la vie, pour l'autre, et dans aucun des cas ça ne saurait être réduit à un ça désobligeant, presque insultant, si tay n'était pas venue ici les crucifix déjà dans les mains.
elle écoute plus que l'autre en son sein, puisque se tirent d'elle des fils coupants d'incompréhension ; la machine trouve cela bien juste, de ne pas punir celui qui lui a permis de venir, de conquérir la chaire, de briser l'humaine. non, bien sûr -- l'acquiescement est coupé par le reste des paroles, il n'y a pas d'espace entre tes mots pour les siens ou pour tout ce qui la concerne, à vrai dire. il n'y a que le bruit du métal qui grince et du sol qui tremble à chaque pas. quand les questions s'abattent, elles restent silencieuses. le visage par défaut ne permet pas beaucoup de devinette quant à ce qu'il se passe en-dedans, et pourtant, si tu savais ! c'est une guerre d'un nouveau genre. inimaginable. non pas sanglante, mais apocalyptique. la fin des femmes !
tay, ainsi, n'a plus mal aux paumes percées ; c'est que le bois n'est rien face au métal, et que la corde sensible ne fonctionne que peu face aux machines. malgré cela, elles baissent encore la tête, vestiges d'un souvenir lointain, ou peut-être d'un sentiment subsistant à la colère. non, non, son sort nous préoccupe parce que j’ai foi en l’enclave et qu’il a essayé de me tuer en la créant. ce sont des choses simples qu’elles disent ici : les faits, et la menace -même si elles ne s’en rendent pas compte !- de sortir du rang pour l’une, de suivre la logique illogique pour l’autre. elles ne réalisent pas la difficulté de lecture de leurs paroles -tout est clair, pour elles : austin a complété le programme, et tay se débat entre les lignes de code qui prennent doucement la priorité sur les pensées dans l’exécution par le corps.
Nous ne souhaitons pas le malheur. Nous cherchons ... la logique. Comment quelqu’un qui met en danger la vie d’autrui peut rester grand frère ? Comment est-ce un modèle ? La machine a de cela d'intéressant qu'elle se doit d'analyser. C'est un instinct d'un nouveau type. Nous ne comprenons pas. Tay a failli mourir et elle va s’asphyxier dans mon corps bientôt, grâce à lui. Alors, qu’elle soit morte là-bas ou là-dedans, c’est du pareil au même, non ? Cela est une bonne chose pour moi. Il devrait même être récompensé, je pense. Mais c'est une très mauvaise nouvelle pour elle. La main est remontée sur le torse, là où devrait se trouver un cœur, qui pourtant ne contient que la routine d'un rythme barbant et stable. C'est performatif. C'est un langage qui devrait être compris par les Parents.
Les doigts vacillent, se contractent et se relâchent, tremblent ! le regard glisse ailleurs, dans l'ordinaire du couloir, où il n'y a jamais rien à voir, puis revient vers le Père -pas celui à qui elles auraient aimé parler, mais celui qu'elles ont pu trouver. elle a raison ! la voix a grimpé de quelques hertz et l'enchaînement des mots se fait plus rythmé. elles s'arrêtent de marcher, se tournent vers toi. et, donc, à votre formulation … c’est vrai … ça n’arrivera pas … tay n'a jamais été très intelligente ; il y a au moins eu un avantage à remplacer son cerveau par une intelligence artificielle : les règles de l'enclave sont analysées non pas comme évidences, et les discours ne sont plus crédulement acceptés.
vivement qu'on lui enlève la carcasse de métal, qu'elle redevienne stupide et candide.