amazed

quel piètre exercice. tu as observé la scène, entendu les mensonges, perçu les réactions. la perfection de la repentance que tu avais imaginée pour eux n’avait ni fond ni forme entre les mains de deux garçons en colère.

de toute évidence tu avais encore beaucoup à apprendre, pour être un bon père.

qu’aurais-tu pu faire de mieux ?
ton visage se tourne, c’est ton obéissance qui l’emporte sur la réflexion. robin avait appelé ton nom. tu la regardes de bas en haut, cesse de marcher.

« bonjour robin, oui. »

tu crois qu’il suffit de ça pour reprendre ton chemin. tes pieds veulent t’éloigner mais sa voix encore te suit, tu la regardes à nouveau, convaincu que tu pourras répondre rapidement à sa question mais voilà qu’elle vomit des mots sans que tu ne saches quand tu es supposé répondre.

un silence de sa part et tu commences à détendre ton visage crispé — c’est que tu n’as pas l’habitude que l’on veuille savoir ce qui te passe par la tête.

« eh bien ? » tu inspires, observe les alentours. à quoi cela rime t-il ? se livre-t-elle à l’écriture de tes mémoires ou recense-t-elle en secret toutes les tentatives ratées des parents ?

tu croises les bras sur ta poitrine, grattes par dessus un sourcil et frotte l’oeil qui se trouve en dessous. tu n’apprécies pas particulièrement l’initiative. mais tu ne sais pas te dérober.

« l’idée m’est venue naturellement, je pensais que les confronter dans leur acte et leur repentance suffirait à apaiser les tensions. mais ils ont manifestement un problème plus profond à résoudre. quant à moi, je n’ai… jamais eu à faire cela. » tu inspires, contrarié en songeant aux punitions qui toi t'avaient humiliées cent fois plus que celle ci. tu ne veux plus parler de toi. « mais tu tombes bien. tu as du temps pour discuter ? j’aimerai ton avis sur la question. qu’en as tu pensé ? comment aurais-tu réagi ? t’en veux tu d’avoir dénoncé tes camarades, maintenant que tu en connais les conséquences ? »

ses lèvres ne s’ouvrent que pour laisser s'échapper les mots d’un tyran, et tu es incapable de lui commander de se taire.

il y a dans cette humiliation silencieuse, un arrière goût de jeunesse violente — et les souvenirs n’ont besoin que de ça pour parasiter le présent. alors tu observes robin, de tes yeux morts qui ne savent plus pleurer mais tu te rappelles de cette sensation quand les larmes montaient, de cette impuissance à rétorquer, de cette situation, où ton corps, immobile, faisait face à plus déshumanisé que toi encore.

comment robin pouvait-elle incarner tout un mal dont elle ignore le portrait ?

elle n’a rien de lui mais tu as l’impression d’avoir douze ans à nouveau.

« je suis fier de toi. »

ça t’arrache le coeur de le dire. tu racles ta gorge, lui refuse ton regard, respirer près d’elle devient doucement une torture car tu l’avoues ; tu détestes sa présence

mais comment partir ! tu te sens vivant. fragile, peiné, flirtant avec la colère, dans un mélange d’excitation à l’idée de la punir elle aussi pour sa condescendance et pourtant incapable de l'arrêter dans ses accusations oui tu es

coupable, et ça tu aimes le ressentir
plus que d’être victime

tu l’as sûrement été trop longtemps.

« tu es si... pertinente, robin. tu observes avec détail et songe à ce qui doit être changé pour être meilleur, sans aucune pudeur… peut-être pourrais-je te consulter la prochaine fois que me vient une idée de correction ? peut-être même que je devrais essayer mes idées sur toi en premier.

qu’en penses tu, d’être enfermée dans une pièce sans lumière ni son, pour les deux prochaines années ? »

tu inspires, trahi un tremblement dans ton souffle. il faudrait que tu saches sourire, pour rendre sucré cette volonté de tout détruire.

« je rigole bien sûr. je ne suis pas ce genre de parent. je vais donc me référer à quelqu'un de plus compétent à l’avenir, je ne voudrais pas décevoir plus d’une fois la merveilleuse enfant que tu es. »

tu lèves une main. elle a la volonté d’effleurer le visage de la jeune fille, mais ne parvient qu’à dessiner, sans la toucher, le contour de sa mâchoire. tu as peur de la sensation que cela peut être de toucher quelqu'un sans le demander.

« je fais du mieux que je peux, j’espère au moins que tu le sais. »

jamais.

tu penses qu’elle ment. huit ans que tu la regardes grandir, huit ans que tu détestes son regard amer, huit ans que tu la fuis comme la peste cette robin dont le verbe est une arme et dont l’innocence t’enferme dans le silence.

et en huit ans jamais n’avait-elle eu la sensation d’être déçue du parent qui à trop vouloir bien faire ne faisait rien de bien ? après tout elle n’avait pas attendu la fin de la journée pour venir t’accuser d’être médiocre dans tes fonctions ; c’est que cela devait bien la travailler depuis des années !

« j’aurai aimé que tu parles moins... » alors tu aurais pu l’apprécier simplement. « tu ne me déçois pas, tu es juste… » tu frottes tes yeux, t’éloigne d’un pas. tout te fatigue à cet instant. les mains sur tes hanches tu la dévisages, contrarié. il ne faut pas qu’elle creuse. tu as envie qu’elle creuse. tu ne veux pas lui dire tout ce qui fais de toi un piètre homme. tu veux qu’elle le trouve. qu’elle nomme tout ce qui te fait mal ; qu’elle te pardonne.

et si cela pouvait bien être le rôle de n’importe qui dans cette enclave tu te détestes de l’avoir donné à robin, aujourd’hui. tu sais alors

que ta soirée sera, couverte de bleus
car il faudra oublier que ce rôle peut être donné

car de saveur, remy
il n’y en a point.

mais le feu qu’elle incarne, ce feu qui appelle à tes doigts fins, tu dois le fuir, le diriger ailleurs. il ne faut pas que tu te brûles avec elle, car elle te consumera tout entier. et il y a bien assez de petits brasiers entre ces murs pour en trouver un, cette nuit, qui ne fera que te brûler les doigts.

« tu vises plus haut, robin ? trois étoiles, tu estimes que c’est ta limite ? » il faut parler d’autre chose, il faut parler d’elle — l’écarter de toi.

tu sais qu’elle voit ta contrariété. peut-être s’en nourrit-elle, même. sait-elle ? le voit-elle, dans tes yeux morts, que tu es en plein naufrage et que tu étouffes les appels à l’aide ?

« as tu une idée de ce que tu peux faire pour rejoindre les preniums ? »

robin qui est si perspicace. quand elle saura (si un jour elle sait)
comment la feras-tu taire ?

dans ses frêles mains tu espères déposer assez de poussière de mots pour éteindre les braises, vainement. il y a dans le regard de cette imprudente assez d’essence pour que l’enclave toute entière ne brûle jusqu’à la fin des temps. tu déglutis, mécontent. tu as assez danser avec le feu pour savoir que tu ne t’amuses qu’avec de pauvres étincelles.

tu ranges tes mains qui ne savent plus si elles veulent étrangler ou caresser, calme ta voix, expire la frustration.

« et si tu commençais enfin à te concentrer sur toi-même, robin ? » il faut plus de poussière de mots. « je trouve que tu es juste… immature. » tu l’observes, étrangement curieux d’apperçevoir la moindre réaction.

plus tes yeux se fatiguent à détailler son visage plus tu penses
peut-on toucher quelqu’un, si innocemment ?

ranger ses cheveux ébènes derrière ses oreilles, pour qu’elle t’entende mieux.

est-ce, bien ?

tu coiffes quelques mèches par dessus ton oreille, incapable de projeter ce mouvement sur autrui.

« je suis l’autorité, comme tu dis. mais tu ne me donne pas l’impression de penser ce que tu dis. ce serait peut-être un bon début, n'est-ce pas ? d’apaiser cette arrogance qui t’empêche de t’élever plus haut encore. donne toi les moyens, plutôt que d’attendre l’erreur d’untel pour mettre en valeur ton obéissance. »

sa voix mielleuse fait sonner des excuses mais tout sonne amer quand ce sont ses lèvres de princesse chût.

ah, remy. dieu que c’est laid. la jalousie.

« robin… » tu soupires.

ton envie d'étouffer son corps dans une étreinte chaleureuse te rappelle tout l’amour et toute la haine que tu portes à chacun de ces êtres perdus. robin te parait fade, pourtant toxique. quand tu regardes sa silhouette, quand tu détailles l’harmonie de son visage, quand ses yeux reflètent ton âme qui se noie… quand elle existe, simplement, devant toi, et qu’elle t’aspire dans sa coquille vide qui empeste la mort, tu ne comprends plus si tu veux la sauver ou la voir périr. c’est pour cela que tu tais les conseils.

car c’est vrai. tu es jaloux.

de cette obéissance naïve qui n’a pour moteur, aucune peur. aucune violence. non robin n’a pas au dessus de la tête le poids des mains qui forcent à consentir aux horreurs… elle n’a que l’idéologie que c’est ainsi.

« serais-tu heureuse que je me joigne à l’une de vos séances de méditation ? ou préfères-tu que je reste à l’écart ? il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, dis moi ce que tu en penses. je suis curieux d’atteindre une béatitude comme la tienne, mais je peux aussi bien m'entraîner seul, dans ma chambre. » elle dira sûrement oui — ses lèvres sont faites pour dire oui à l’autorité. Alors tu pourras la fuir en la laissant satisfaite d’avoir pu apprivoiser le parent maladroit qui ne sait comment bien éduquer ses enfants.

tu entrevois la liberté, et il te faut la féliciter — tu as pour coutume d’être aussi généreux que maladroit dans le processus de ton éducation, et robin avait sûrement déjà dû le remarquer. qu’importe.

« dans le club. » le ton est grave mais il se dissipe assez vite. tu reprends, plus tendre, pourtant pas plus sincère ; « dis moi ce qui te ferait plaisir en retour, j’essayerai de te le dégoter. c’est pour te remercier. » mais elle ne voudra surement pas être plus remerciée que par la réussite de cette expérience avec laquelle tu as envie de composer. tu n’es pas déçu qu’elle puisse dire non, et tu n’insisteras pas plus qu’avec ces quelques mots : « réfléchi avant de me dire rien. »

tu frottes finalement tes mains entre elles, entremêlant tes dix doigts. c’est le signe d’un travail accompli. tes épaules se haussent, tu te détends enfin. tu n’imagines pas robin étendre cette conversation.

« je te rejoindrai la semaine prochaine, en fin d’après midi. d’ici là pense à ce qui te ferait plaisir. je te remercie pour l’intérêt que tu m’as porté aujourd'hui, robin ; et si tu n’as plus rien à ajouter, je te souhaite une bonne journée. »