amazed

je l’ai vu.

il est là, tapi dans l’ombre comme une culpabilité qui toise, inconfortable sans ses remords et confessions.

j’essaye d’ignorer sa silhouette, vainement. grâce à lui je joue sur scène une juliette qui craint, dont la peine est latente, et dont la peur la dévore. c’est divinement bien, impeccablement juste — je suis une femme qui ne veut pas voir le lendemain arriver, capable de mentir au monde et de me jouer de leur confiance pour grignoter cette liberté chérie dont on me prive, injustement !

et quand cesar annonce la fin de la répétition, quand je souris, le regard fuyant, quand mes pas me guident ailleurs finalement ils me guident à lui,

car on évite jamais son destin, aurora.

« arrête, » je le supplie, d’une petite voix qui craint alors qu’il râle qu’on puisse répéter mon nom. je n’écoute pas tant sa peine car celle qu’il m’inflige, j’en suis sûre, est plus vilaine que la sienne. « je n’ai rien fait, lucien, arrête, » quelles mauvaises actions mon frère ! veut-on sincèrement me punir d’aimer ! j’ai été coquine, j’ai filouté, mais je n’ai tué ni respect ni confiance ! mon travail est fait, mon corps vous appartient toujours ! alors quoi ! ma patience se perd, il m’est insupportable d’être une marionnette, « laisse moi me relever, j’suis ta sœur pas un chien ! » comment peut-on se moquer de son sang ! mon regard, tu l’as, non pas car tu l’obliges mais car je sais que tu y trouveras mon amour et mon chagrin. je lutte contre toi pour que mes doigts s'agrippent à tes jambes mais qui suis-je, pauvre enfant malingre, pour rivaliser avec toi ? il n’existe que ma volonté dont tu te moques et mes mains tremblantes qui ne sont pas libres. « j’ai rien fait je te dis ! »

j’écoute, malgré moi, car tu m’y contraint mais lucien oh comme tu aurais voulu que je n’entende pas la bassesse de tes mots, la saleté de ta colère, l’horreur de ta leçon.

si tu me pensais insolente aujourd’hui c’est que tu n’imagines pas comme je peux désobéir un peu plus quand tu insultes l’étoile la plus précieuse de mon univers.

« je t’interdis de mal parler de lui ! » il ne me faut pas plus d’une seconde pour bondir sous ton menton et te donner cet ordre solennel.

comme il ne fallait pas plus d’une seconde pour que me viennent les larmes, quand je te regarde, petit monstre qui ne sait ni donner l’amour ni apprécier celui que j’ose m’offrir. tu es infect, imbu, égocentrique et tu veux me noyer dans ton enfer ; vainement !

« tu t’ennuyais dans ton joli monde alors tu as décidé de venir souiller le mien ? disparais si c’est pour être odieux ! qu’ai-je bien pu faire pour que tu me traites comme ça ! j’ai oublié de dire bonjour à père jim ? je n’ai pas bien passé le balais ? je suis rentrée trop tard après le couvre feu ? » des futilités qu’il nous arrive à tous de faire ! rien qui ne mérite que mon propre frère me traîne au sol comme un insecte ! ah j'ai la voix qui tremble, le corps qui se raidit mais je refuse la dureté de tes mots non tu pouvais te moquer de moi mais pas de faïr, il est tout ce que tu ne saurais jamais être, « t’en as marre de moi ? je t’abdique ! va ! tu n’es plus mon frère ! »

folle ! ose-t-il ! moi, plus saine que jamais ! moi qui vois le monde, moi qui lui pardonne ses horreurs ! moi qui reste douce et câline avec la vie, qui elle, ne cesse de se moquer de moi ! croit-il vraiment que l’on puisse être folle, quand on a rien ! c’est encore un luxe qu’ont les gâtés, c’est lui le fou !

« arrête ! » réclamais-je encore quand il ose salir la réputation du plus grand bonheur de ma misérable vie.

et le voilà qui avoue, la raison de sa venue. mes yeux deviennent ronds, mes sourcils s’arquent pour suivre leur courbe oblique. l’histoire est saugrenue, trop pour être fausse. je recule d’un pas, subit ce secret qu’il libère avec haine. pourquoi moi ? pourquoi faut-il toujours que ce soit moi …?

« mais — » je n’ai pas le temps d’être surprise, tu attaques à nouveau, et c’est malgré moi que je laisse un murmure briser la colère qui m’animait ; « comme si tu l’aimais vraiment… »

car si l’on me privait de faïr je n’irai pas m’en prendre à quiconque, lucien, je serai trop abattu pour tenir sur mes jambes. quelle force as tu, mon frère, pour venir forcer sur mes épaules l’injustice qui t’incombe. mon seul crime, c’est d’exister. n’en as tu pas marre, de m’accuser de cela ?

« deux semaines pour des étoiles… il faudrait que je dénonce quelque chose d’horrible, lucien, c’est impossible, pourquoi te demander ça… » aucun parent n’ignore que jamais je n’accuserai mon prochain. je m’éloigne d’un pas à mon tour, regarde le sol pour y chercher une raison — non ! une logique ! mais la réalité de ce qui nous incombe me revient tristement, et je réalise, d’une voix qui se veut forte malgré les sanglots qu’elle couvre ; « ne fais plus jamais ça… ton pouvoir… pour que je t’écoute… »

lucien entend, ne prend que ce qui l’aide à argumenter, ignore ma complainte. il sait qu’il s’endormira avec la haine en tête car aujourd’hui encore je n’ai pas su être parfaite ; quand je m’endormirai en larmes car mon frère m’a forcée à genoux face à lui.

je te regarde, les yeux vitreux de dégoût. ai-je un jour été humaine pour toi ?

« tu n’as qu’à dire à prim que c’est une petite pause… et moi j'essaierai d’avoir une étoile en me comportant bien… » car pour toi je donnerai tant, malgré la haine de mon cœur et la poussière sur mes genoux.

je renifle en prenant appuie sur le siège en face de toi, consentant malgré moi à cette conversation où je dois disparaître pour que tu existes pleinement.

« je fais de mon mieux, lulu… c’est que des bêtises mineures que je fais… si j’avais su que père remy te ferai ce coup… » je regarde où tu te tiens mais n’ose plus tenir ton regard. cette crise de colère m’a épuisée un peu plus encore que le simple fait de n’être rien à tes yeux. « tu veux que je parle à saint…? »

là, enfin. ton regard rencontre le mien et tu concèdes à m’entendre, même s’il te faut toujours contester. mais je comprends. si mes idées étaient si lumineuse, je brillerai dans ton ciel, ou, peut être pas si loin.

quand tu oses me décrire amoureuse, je grimace malgré moi. ce n’est pas que l’idée me déplaît, non, le terme est le plus exact ! mais quand le mot flotte dans l’air j’ai l’horrible sensation qu’il s’envole aux oreilles du père suprême et qu’il n’attend que l’occasion de le saisir et l’étouffer. quelle idée saugrenue ! si de toute façon tout le monde est au courant… oh, je suis désolée mon faïr. il devait être trop bavard le sourire à mes lèvres quand mon regard trébuchait sur le tien.

je comptais ne plus répondre, de peur qu’éclate encore une bataille entre nous. et puis tu me demandes tu me trouves horrible et moi je crois qu’il ne faut jamais mentir. même si cela me détruira à jamais de ton cœur.

« tu es horrible. » ai-je murmuré avant que ma voix ne se déshabille doucement de sa peur. « égocentrique. tyrannique. égoïste. violent. mais tu es mon frère, et tout cela j’ai appris à vivre avec. te décevoir ne m’attriste plus, mais… la façon dont tu m’as traité… j’ai de la peine car tu n’aimeras jamais correctement. » je ne quitte ni le dos du siege contre lequel je me tiens ni ton regard noir. « il est bien triste ton paradis, lucien. et moi ? tu me trouves horrible ? »

les opinions s’entrechoquent, insensiblement. je t’annonce la couleur du désert que je vois à travers toi, tu me rétorque que le mien n’est pas plus garni.

mais t’entendre dire qu'un simple souvenir te rattache à moi, ah.

peut être aurais tu dû démentir. me rejeter dès l’enfance. peut être si tu savais à quel point ce qui diffère de toi te repousse, tu n’aurai jamais dû consentir à être mon frère. peut être alors les regards de haine que tu m’aurais porté à travers le couloir n'auraient pas eu l’effet d’une huile bouillante sur moi.

je pince mes lèvres, pour retenir les mots sauvages qui voudraient s'échapper et bondir, hargneux sur toi.
toutefois j’ai encore mes mains, et trop peu de force pour retenir les deux.

alors mes brindilles de bras mous ondulent pour venir te taper avec autant de nonchalance que d’épuisement. quand tu me repousses je deviens plus raide, et quand tu me retiens je deviens plus forte. j’essaye d'agripper tes cheveux noirs, j’essaye de plaquer ma paume sur ta bouche agitée, j’essaye de grimper sur toi pour t’enterrer sous moi. d’une petite voix qui grogne il en vient doucement de saumâtres complaintes.

« il faut que tu cesses, par pitié, il faut que tu cesses ! de détester tout ce que je suis ! je ne fais de mal à personne ! j’en ai marre que tu m’aimes pas ! ça suffit, lucien ! tu ne vas pas partir en me détestant, c'est pas possible ! je suis ta soeur, ton sang ! je suis la seule qui tient à toi ici ! y’aura que moi pour pleurer ton départ, y’aura que moi pour parler de toi, que moi pour être fière, que moi ! père suprême t’aimera jamais plus que moi ! »

je n’avais pas peur de te faire mal ; je me sais chétive et à peine dangereuse. je n’avais pas peur que tu t’énerves, j’avais déjà goûté à la pire de tes punitions. et je n’avais pas peur non plus de tes mots ; ils ne sauraient être plus tranchant que ton regard à travers les années.

tu me dis doucement ! mais lucien c’est de toute ma douceur dont j’use pour te faire comprendre l’état de mon cœur. ne comprends-tu pas ? là ! tu me retiens comme une feuille que l’on attrape en plein air ! si aisément ! tu vois bien qu’il n’y a aucune violence, que de la détresse, à la fin de l’automne.

tu me sermones avec moins de rancœur, et je sanglote en fondant contre toi car enfin il y fait chaud à ta poitrine, il se peut même que je l'entende battre et c’est pour cela que je me tais, bercée par ta voix.

au fond du théâtre tu t’es assis pour me brûler de ta colère et malgré tout j’ai trouvé le courage pour me reposer sur le brasier de tes maux, mais qui me croirais si j’avouais que c’est confortable ?

« je suis désolée, » mais je ne peux pas m’y soustraire, la misère est devenue mon oxygène. tu ne comprendrais pas. « bouge pas, attend, » encore quelques secondes, après tu pourras m’en vouloir à nouveau mais fais une trêve pour ta soeur qui t’aime, « je suis désolée lulu. » et il n’existera que cela. des pardons qui ne peuvent germer dans la terre de ta fureur. tant pis. j’y reviendrai après ton paradis, je n’abandonnerai pas. « là, ça va mieux. » je me redresse, manque de tomber en me relevant sur le côté. mes mains maladroites viennent débarbouiller mon visage puis je remarque que le tien saigne un peu ; quelle horrible chamaillerie ! je rigole, déboussolée, chouine encore un peu en suppliant, « ne dis pas à grell que je t’ai blessé par pitié, »

c’est ainsi. nous restons ignares sur nos vices, concédons à l’autre sa noirceur. je n’aime pas les tourments de ta colère et mon bonheur juvénile te donne la nausée. heureusement derrière la pression des étoiles tu as su garder un cœur (un peu faiblard, je l’admet), qui ne saurait être sourd au mien. c’est bien là l’avantage d’être frère et soeur !

« je vais m’améliorer. » ai-je répondu sans grande conviction mais avec la valeur sûre, au moins, que tu saches que jamais je ne mens. j’ignore encore quelles pompes cirer et de quelles petites bêtises je devrais me débarrasser mais si ce n’est que ça, lucien, pour que ta rancoeur s’apaise et que tes étoiles gardent leur pied d’estal, ah. je peux bien faire ça.