amazed

l’heure des repas est toujours un mauvais moment à passer - il y a trop de monde, trop de bruit, les plats ne sont même pas spécialement bons et il ne sait jamais où s'asseoir car aucun de ses amis ne peut le guider ; tous les jours il se retrouve seul, poireautant quelques minutes avant de se décider d’avancer entre les tables, cherchant du regard une place qui évitera de le mettre dans l’embarras.
il faut trouver une table assez reculée pour qu’on ne le regarde pas. il faut aussi qu’elle ne soit pas déjà alpagué par tous ces groupes de personnes qui mangent en groupe car ce serait terrible qu’on refuse sa présence avant même qu’il pose son plateau. mais il ne peut pas être seul ! la honte lui rongerait la peau jusqu’au os - tout lui donne déjà trop le tournis. il aimerait parfois perdre son étoile. il n’aurait pas besoin d’attendre pablo, et les choses seraient plus simple !

alors en voyant abyss, son cœur se soulage un petit peu. il se précipite pour la rejoindre. et dans son élan, son genou se cogne contre la chaise inoccupée “ah-” son plateau s’est posé un peu trop fort par maladresse. angel se fige une seconde le temps que tu remarques sa présence. il a peur que tu lui demandes de s’installer ailleurs - mais tu le salue ! il soupire et s’assoit enfin (il avait retenu sa respiration).

“... coucou,” il reprend les mêmes mots pour faire comme les autres (comme toi). mais il n’a pas la même aisance pour imiter à la perfection alors il ajoute un rapide : “désolé.” sans raison précise, pour tout et rien, comme sa présence. “hm.” ses deux mains sont sagement posées contre ses genoux “... ca va-” il n’a pas eu de problème ce matin - ça devrait aller - encore une fois il n’a pas de raison. mais son cœur est trop lourd, même pour rien. inconsciemment ses doigts s’accrochent au tissu de son pantalon. “et- hm. et toi ?” il te retourne la question car c’est de cette manière qu’on apprend à parler aux autres. pourtant ça ne l’intéresse pas plus que ça. puis il a déjà remarqué qu’abyss avait un regard très sombre - elle aurait tendance à répondre les mêmes tout va bien ! - il peut comprendre.

ses yeux se tournent vers le morceau de pain que tu attrapes. “ah- euh.” il baisse aussitôt le regard pour revenir à son propre plateau “... non t’inquiètes, je vais attendre mes amis.” ça sonne moins ringard qu’un seul ami - il a l’habitude de manger ses repas tièdes, quasiment froid, car il les attend tout le temps “j’ai pas très faim non plus.” puis il a encore un peu la nausée causé par les angoisses irrationnelles.

en réalité il s’est assis à côté d’abyss juste parce qu’il la connaît.
mais il ne sait pas faire la conversation - il est terriblement ennuyant !
et surtout il ne sait pas quoi trop penser de sa camarade. elle est gentille, même à l’écoute quand il le faut. et il apprécie ces attentions, cela rend les adolescents perdus comme lui un peu moins maussades. mais il la trouve parfois un peu étouffante.
angel n’est pas encore sûr s’il aime suffoquer - des fois ça lui fait du bien.

voilà il le savait - tout va bien - c’est la bonne réponse, qu’on annonce avec logique, sans jamais remettre en question les propos. abyss à l’habitude, cela se remarque dans ces sourires inconsolables qu’ils en perdent leur étincelle.
angel ne ment pas aussi bien qu’abyss mais les réflexes sont les mêmes -
lorsque le cœur est vide c’est comme si on ne pouvait ni se sentir bien, ni mal.

“... non” il secoue légèrement la tête “je suis resté dans ma chambre…” et sa voix s’affaisse en fin de phrase, se perdant dans la cacophonie joviale du réfectoire. puisqu’il a n’a rien à raconter, c’est comme si sa présence n’avait pas lieu d’être - alors les conversations voisines prennent facilement le dessus.
puis mécaniquement, il hoche la tête à ta proposition.
et ainsi les discussions se terminent.
laissant place aux silences lourds.

en réalité, s’il n’est pas seul, angel préfère être en petit comité. de cette façon, il peut s’effacer des échanges et suivre simplement les mouvements de groupe. c’est sa manière de s’intégrer sans qu’il ai besoin de parler - sans jamais qu’il ne devienne important.
alors ce silence le gêne un peu. il ne sait pas de quoi parler avec abyss.
il a commencé à se triturer les doigts sous la table. et il ne touche toujours pas à son repas. il aimerait que ses amis arrivent.

finalement le silence se rompt et il relève la tête “ah-” de cette manière maladroite, qui lui donne cet air médusé - un peu bête “pardon…” que cela se remarque si facilement. qu’il te l’impose et te les partage sans même qu’il en prenne conscience lui-même. mais cela lui fait plaisir - rien qu’un peu - qu’on lui tende la main, qu’on le remarque. c’est presque égoïste. “... je suis juste un peu stressé.” sa tête retombe, il observe bas “... par le réfectoire. c’est bruyant. et il y a du monde.” ses doigts s’entremêlent pour éviter de se les arracher “mes amis n’ont pas d’étoiles, je dois les attendre à chaque fois.” il grimace “mais j’aime pas être seul- ici…” devant tous les autres “et- aujourd’hui tu es là-” alors il n’y a pas de raison que les choses aillent mal “sauf que je sais pas- quoi dire…” peut-être que le problème est angel lui-même : aucune situation ne le met à l’aise.

il y a une simplicité qu’il n’explique pas vraiment lorsqu’il s’agit de se confier à abyss - cela rend sa vulnérabilité plus sincère, plus tranquille, plus facile à encaisser. angel pense que c’est grâce à l’empathie qu’elle peut lui offrir, car l’intensité de ses propres émotions qu’il a du mal à conscientiser par le bruit constant dans sa tête - elle les comprend pour lui.
ainsi elle peut lui dire - nous somme pareils ! dans nos peines et nos angoisses, on se ressemble - et cela le rassure un peu, qu’on soit comme lui ! il fait souvent des efforts pour suivre et faire comme les autres - pour qu’on ne le déteste pas plus que lui-même - mais le contraire n’arrive jamais.
enfin, cela peut arriver lorsqu’il discute avec abyss - à force de ne penser qu’à ses propres tourments et s’y noyer seul, il à cette fâcheuse tendance à oublier les autres.

il oublie souvent abyss alors qu'elle est gentille avec lui.
(il devrait avoir honte !)

angel acquiesce timidement “de pas parler beaucoup- oui.” on lui reproche toujours beaucoup de choses - il ne sera jamais assez bien pour les autres et il le sait. “... tu fais quoi quand on te reproche des trucs ?” il aimerait savoir comment tu fais pour mieux mentir que lui “moi, je m’excuse et- c’est tout...” parce que si vous êtes les mêmes, il doit se voir comme toi - dans dix ans, comme toi, son coeur sera toujours aussi putride mais personne ne le saura ! car il pourra partager des sourires mécaniques sans vie. il pourra peut-être même aider ceux aussi tristes que lui, continuant à mentir - tout ira bien ! “j’arrive pas à faire mieux- tu fais comment ?”

angel entend les conseils d’abyss mais il n’est pas bien sûr de lui.
d’ailleurs en y repensant, il ne comprend même pas pourquoi abyss fait tout ceci pour lui - lui qui ne l’a jamais, absolument jamais, aidé en retour. et cette impression d’importance non réciproque donne légèrement le tournis - n’est-ce pas une perte de temps injuste ?

“... d’accord.” cela le fait réfléchir longuement - il doute terriblement qu’il en ressent un petit pincement derrière sa cage thoracique. à part pablo, il n’arrive pas à faire une liste claire des personnes qu’il doit estimer dans son cœur. puis, est-il lui-même avec pablo ? comment savoir quel type de personne on est - angel se demande sans cesse qui est angel - car avant il était quelqu’un d’autre - avant tout ça - mais même ça il ne sait pas -

son regard se perd dans le vide pendant quelques secondes (il croit que c’était seulement des petites secondes) puis ses sourcils se froncent - il sent qu’il grimace et cela le répugne - il pense que le vide au fond de lui est béant et pourtant - pourtant il se sent terriblement frustré ! ou en colère - quelque chose qui s’en rapproche et qui crée des maux de cœur.

“c’est- trop dur...!” de faire ça - trouver ceux qui sont tolérants, bienveillants, qui savent aimer sincèrement sans attente - même angel à des attente pour les autres ! tout le temps ! “comment tu peux savoir - si ce sont les bonnes personnes ? et si jamais- ils changent d'avis...!” ça ne fait pas sens pour lui - les autres sont toujours si abstraits, ils changent sans cesse, les expressions et les émotions instables - il faut s’adapter chaque seconde pour éviter le pire - le pire ce serait qu’il se retrouve seul, haï de tous - “c’est-” impossible même ! mais angel se tait. ses lèvres se pincent car il se rend compte de sa bêtise (dire tout haut ce qu’il pense).

il sent que ses joues chauffent de honte. il aimerait pleurer mais préfère serrer ses poings pour ressentir ses ongles plutôt. “désolé.” d’avoir douté de toi “... je m’entends bien avec pablo.” c’est lui qu’il l’attend chaque midi. des fois ils vont même plutôt au social club. des fois juste à deux, des fois à trois, des fois à plus - tant que pablo est là, angel s’en fiche.

il s’attendait au pire - il s’attendait à ce qu’Abyss se mette en colère en suivant la sienne, qu’elle le trouve défaitiste, terriblement peureux et lâche ; simplement quelqu’un qui n’en vaut pas la peine ! angel aurait pleuré, mais il aurait compris - il n’aurait rien dit si tu étais parti fâchée.
alors lorsqu’il sent ta main sur son épaule, il a d’abord un léger sursaut - mais l’emprise est douce, et sa chaleur se veut rassurante. même les mots qui se déferlent n’ont aucune agressivité - abyss est patiente.
angel ne l’est pas.
peut-être qu’il ne pourra jamais être comme toi.

il finit par te jeter un regard désolé.
il s’excuse pour son tempérament qu’il ne comprend pas. il se sent navré aussi pour tes discours empli de bonne volonté qu’il ne comprend pas. et surtout il s’en veut terriblement de ne pas savoir quoi répondre face à ton altruisme - même ça, il ne le comprend pas.
il ne mérite pas tant - et le pire c’est de ne pas savoir si c’est envers toi ou envers lui même qu’il manque tant de confiance pour comprendre toutes ces paroles.

“... merci abyss.” alors il répond machinalement par politesse. il se sent ingrat alors qu’elle lui montre tant de gentillesse et d’espoir ; il vient à se demander si c’est cette lumière à laquelle tu tente de t’accrocher qu’il faudrait suivre. n’est-ce pas plus simple de se laisser tomber dans les tréfonds du mal-être ? il en est persuadé qu’il est préférable d’abandonner - au moins à même le sol, il peut se reposer, recroquevillé, à l'abri du reste.

(et ce qui le rend encore plus détestable à ses yeux, c’est qu’il sera toujours rien qu’un tout petit peu heureux de te retrouver à ses côtés car, par défaut, tu le comprends mieux que quiconque ici.)

il tourne la tête vers la nouvelle agitation à l’entrée du réfectoire. alors il se redresse légèrement en cherchant ses amis (pablo!) du regard ! les (la!) voilà !
angel revient à toi en attendant qu’ils arrivent “hm- tu veux… rester avec- nous…?” il fronce immédiatement des sourcils à sa propre question car il se rend compte que c'est tout de même ringard de manger avec des ados qui en plus ne brillent par aucune étoile. “... fin- comme tu veux.”