amazed

and after all, you're my wonderwall

je ferme un instant les yeux. je sens la brise encore légère passer sur mon visage et ébouriffer mes cheveux. elle me ramène l’odeur de l’herbe encore humide, ces brins que je sens contre ma peau et qui me chatouillent les chevilles. j’aime cette fraîcheur propre au matin, où l’air est encore doux comme niché par la nuit et où le soleil est encore timide. il fait bon.

la matinée est entamée, mais il est encore tôt. je suis lovée contre felix, encore un peu endormie. j’ai des cernes sous les yeux, le café du ptit dej n’a pas suffit à me réveiller. j’ai pas non plus super envie d’être aux aguets, j’aime bien cet état de mi-sommeil. c’est planant, ça me plaît. on a séché les cours - à ma demande - pour venir profiter d’un peu de calme et de détente. si un parent ou un surveillant passe par là, on se fera attraper et engueuler. je m’en moque. je pense que felix aussi. lui comme moi, on en a ni grand chose à faire, ni grand chose à perdre.

“j’suis trop bien là…  on devrait faire ça toute notre vie.”

ça serait chouette, non ? de flâner jusqu'au paradis. je ris, c’est vrai, je pourrai passer toute ma journée ici, à somnoler sous les rayons du soleil jusqu’à ce que quelqu’un - argo, tay, jim ou un parent - vienne me récupérer.  mais je sais que felix n’est pas comme moi: lui, il a besoin d’agir, de bouger. alors je me redresse parce qu’il faut bien et je plonge la main dans ma poche à la recherche de mon vieux briquet. je fais jouer de la molette pour allumer enfin une petite flamme - le gaz commence à être faiblard, il faudra que j’en achète un nouveau avec mes tickets promo - et je viens allumer le bout de ce que j’ai entre les doigts.

“tiens, j'ai un truc pour toi. goûte ça.” je tends le cône à felix, un sourire sur le visage. “c’est nouveau.” ça vient tout droit d’argo. "normalement j’ai pas trop le droit d’y toucher, je dois garder ça pour la soirée mais… j’avais envie d’en profiter avec toi.”

c’est ma petite surprise, je ne l’ai pas fait venir pour rien. dans le joint, j’y ai glissé un peu de tabac et d’herbe qu’on a  préalablement fait sécher et broyer. c’est du cannabis. on a - argo surtout - enfin réussi à en créer. plus besoin de se limiter à de la valériane ou de la damiana. on a enfin un vrai truc planant.

“tu vas voir, ça calme plus que ce que je te file de base. et en plus c’est mille fois plus fun.” je ris. “alors ? normalement ça met un peu de temps à monter... en attendant, dis-moi, à quoi tu penses en ce moment ?”

je ne parle pas que du joint, mais aussi de sa vie en général. j’veux savoir comment il va, si tout va bien en ce moment. et puis, j’aime toujours bien parler avec felix. c’est pas comme avec les autres, on parle de trucs profonds. c’est cool.

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je suis pas la sœur de felix et lui n'est pas mon frère. bien sûr, pères et mères nous répètent qu'on est tous adelphes. à douze ans on m'a collé une maison et on m'a dit que les psy était ma famille, que j'avais un grand frère et une grande sœur à qui je devais obéir. je n'y crois pas et je n'y ai jamais cru. ils ne sont pas ma famille

ainsi felix n'est pas plus mon frère que robin et lucien ne sont mes aînés, et pourtant mon cœur vibre quand il m'appelle sis. j'ai envie d'y croire un peu. de me dire que dans notre maison, j'ai au moins quelqu'un: lui. de tous ceux qui partagent ma vie, si j'avais un frère, je voudrai que ce soit lui.

"c'est de l'herbe." comme tout ce que je lui propose. j'ai que ça à donné de toute manière. ça et la musique. le son et les plantes composent mon monde. "mais c'est du sérieux cette fois." parce que ce n'est pas n'importe quelle herbe. felix peut oublier la valériane et la damiana. "herbe, chanvre, beuh… appelle-ça comme tu veux. tout ce que je peux te dire c'est que c'est génial."

il y a un éclat dans ma voix, de la lumière dans mon sérieux. c'est pas de mon fait mais je suis hyper fière d'avoir les feuilles de cannabis en poche. le mérite revient surtout à argo, alors je suis surtout fière d'elle.

"merci bro !"

je récupère le bâton magique entre mes doigts. j'ai humé la fumée que felix a fait ressortir de ses poumons. ça sent différemment de ce qu'on fume et le changement me fait du bien. c'est mon tour alors j'inspire une belle latte et je laisse la fumée se propager dans ma trachée avant de l'expirer. pour jouer, je souffle sur le visage de felix en un éclat de rire. mon corps frémit. je croirai sentir les premiers effets.

"je te jure, je me lance pas sûr ça. on en parlait y'a deux semaines avec ena. moi je pense que tout le monde est fou là-bas."

je tais l'histoire de pickle mais ça bout dans le creux de mon cœur. je reprend un peu de joint pour calmer la fureur la tuer dans l'œuf.

"ouais. je vois…"

je marque une pause, je contemple un peu les paysages. j'essaye de pas trop prendre de place pour lui en laisser. c'est important d'écouter quand quelqu'un se confie.

"tu sais felix, moi je pense que t'es comme tu es. je t'aime comme ça, en tout cas." avec ses lèvres qui tressautent à force de sourire, ses jambes qui aiment courir, ses gestes quand il parle d'un sujet qui le passionne, son rythme quand il frappe les tambours et les cymbales, sa voix qui montent dans les aigues de temps en temps et qui se refait plus grave le temps d'après. "l'important, je pense, c'est de trouver l'équilibre."

ça semble hyper sage comme parole mais je sais plus trop ce que je raconte. mes yeux se plissent sous la fumée, je commence à être défoncée.

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je réfléchis aux mots de felix et je me demande si j'ai pitié des premium et des trois étoiles; de ceux qui eux, ont pitié de moi. est-ce que je partage ce sentiment ? est-ce que ça nous fait ça en commun ? je n'en sais rien. je crois que je ne ressens rien.

"tu es désespéré, toi ?"

je suis d'accord que ceux de notre rang le sont, si l'on regarde le groupe superficiellement. affamés, révoltés, désespérés, ravagés… on appelle ça comme on veut, ce qui compte c'est l'éclat dans le regard. on est beaucoup à l'avoir: kiki, nine, pablo, ena, dani… je me demande si je l'ai aussi, moi. je me suis toujours senti un peu au dessus de ça. et felix alors ? je n'avais jamais remarqué ce qui bouillonne et rugit dans ses veines.

"je suis d'accord sur le dernier point. beaucoup dans l'enclave pensent avoir tout compris, sur la vie, sur les gens… alors ils se sentent pousser des ailes et ils se sentent au-dessus de tout…  pourtant…" mon regard part dans le vide. je contemple le monde. "pourtant eux aussi se réveillent tous les matins à la même heure. eux aussi ont des obligations. eux aussi on les forces à rentrer dans le rang et comblés les attentes. eux aussi... sont coincés entre ses murs." finalement on fait tous partie de cette même cage. "en fait, je crois que ce qu'ils ont en plus, c'est l'illusion du choix."

nous on a pas le choix du tout. en un sens, ça rends la vie un peu plus facile.

"oui dis-moi ?"

je tourne la tête attentive. la brise matinale souffle sur nous. les herbes me caresses les chevilles. je me sens un peu bénie.

"wow." je me redresse pour regarder felix. j'avoue que je ne sais pas quoi dire. "ok, promis."

j'ai dis ça par réflexe car j'ai senti son ton sérieux. je suis pas hyper douée pour réconforter ni pour comprendre les sentiments des autres, mais le regard de felix est spécial. je sens que je dois m'en montrer digne.

"tu l'as perdu quand déjà, ta dernière étoile ?" moi c'était il y a deux ans. "moi c'était il y a deux ans. je me pose les mêmes questions que toi tu sais. ça me manque quand j'ai encore faim après le repas ou quand je dors mal à cause de mon lit qui grince…" je grimace en riant. c'est clair que quand on y pense, c'est loin d'être la belle vie. "mais au final... je crois que je suis plus heureuse aujourd'hui."

je sais pas ce qui a changé mais je me sens… tellement plus libre.

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deux ans aussi. je lui souris. c'était peut-être écrit qu'on finirai ami. je trouve ça intéressant ce que souligne felix. que la chute de rang ne fait que mettre en lumière des choses déjà présentes, mais qu'on encourageait avant alors que maintenant, on nous punit pour ça. je crois que ça ne fait que renforcer mon aversion pour le système et cette certitude que tout est absurde.

"de toute façon, on aurait pu s'en douter. un système qui préfère prôner l'individualité à l'entraide.. ça ne pouvait que mal se passer."

je suis un animal solitaire, et pourtant je fais partie d'une meute. à force de manger la poussière et d'être maintenue à terre, j'ai gagné quelques compagnons d'infortune qui comme moi, ont la colère qui brillent dans leurs yeux et qui sont prêts à faire corps, tous ensembles, pour ne jamais abandonner personne. c'est plus forts que tous les privilèges des rangs premiums.

"felix." je me redresse, un peu plus sérieuse. il m'a fait réfléchir. "moi aussi, si un jour je veux regagner mon étoile, si je me met à oublier d'où je viens et qui je suis… colle en moi une, ok ?"

parce que je sais que je peux être faible parfois. mais je ne veux jamais, jamais, jamais vous oublier. toi, ena, dani, faïr; nous autres les gosses belliqueux et intrépides. je ne veux pas devenir ce qu'on méprise.

"je suis d'accord avec toi. comme dit, j'ai jamais été aussi heureuse depuis que je suis là. je pense que c'est une forme de super pouvoir qu'on a. même dans les pires situations, on a assez de résilience pour savoir s'en sortir et compter sur les autres. je crois que c'est le plus important."

je murmure doucement. je fini le joint sur ces mots, ça donne comme un discours philosophique un peu underground. j'aime bien. j'éteins le mégot que je rappe contre un galet et je l'enfourne dans ma poche pour ne pas polluer. je reviens me blottir contre felix tandis qu'il ferme les yeux. il parle d'un couple hypothétique, je ne peux pas m'empêcher de rire.

"j'aime les filles, felix." je glousse. "mais c'est sûr qu'on aurait du flow."

mon étoile ? j'arrête de rire. j'essaye de réfléchir. je repense à nine. lui, je l'ai abandonné. lui, je l'ai oublié. je ne veux pas recommencer, c'est pour ça que c'est important que felix me promette de me toujours me rappeler.

"rien de spécial." j'hausse un peu les épaules. c'est une accumulation de plein de petites choses. "quand j'étais adolescente, je faisais vraiment n'importe quoi… je passais mon temps à sécher les cours, à sécher les clubs, et faire des conneries. une fois, j'ai tagué les murs du campus. visiblement ma fibre artistique n'a pas plu aux parents."

ils n'ont ni goût ni humour.

"on a fini par me balancer, c'était la fois de trop. comme je suis mauvaise en cours, il n'y avait rien à sauver. et voilà, rétrogradée." ma main se lève, indexe et auriculaire levé dans un signe rebelle, celui du rock. "en vrai, ça m'a calmé. c'est pas une époque dont je suis fière. j'étais en colère contre tout et surtout moi-même, alors tout était prétexte à créer des emmerdes. mais tu vois, je pense que j'étais surtout conne chiante. je me préfère maintenant. c'est toujours la misère mais je suis plus posée."

la tempête est passée.

"et toi ? si tu veux en parler."

parce que je le sens tout d'un coup, un peu plus las.