amazed

Un copain, un ami, un roux, mais sans teinture, carotte sans la fane, avec un rire de bariton comme lui. Ils ont marché sur le chemin étroit de la fête guidés par les lampions roses et jaunes qui illuminaient l’horizon. Ils arriveront en retard. Peut-être parce qu’ils se sont roulés dans l’herbe pour rire, Faïr adore quand les muscles du roux l’écrasent, pourtant cette fois il s’est écrié et scandalisé de son t-shirt blanc et repassé. Et les filles du club de théâtre alors ! Comment tu veux que je leur plaise avec ce haillon dégueu ! Mais les rires ont repris, et l’indignation s’est tarie à l’intérieur de ce cœur-soleil.

Il ne se rappelle jamais son nom alors il l’appelle Le Chat. Le Chat Roux. Le Chat Potelé quand il veut sentir les phalanges croutées de combat se rabattre à l’arrière de son crâne. Sur place, Faïr a un sifflement approbateur pour la quantité d barbaque disposé en chipolatas et en brochettes qui grésillent sur l’huile. « Mate moi ça. J’ai jamais vu autant de viande de ma vie ! » Et l’estomac approuve d’un gargouillement guerrier. Il touche la panse, se met à rire, encore, les odeurs frottent à son nez. « Un coup à boire ? » De la flasque, il vient se rincer l’œsophage et essuie ses mains sur sa bouche brûlée par l’alcool avant de la tendre au Chat. Il achève les préparations en se frottant les paumes et bouscule, par erreur, quelques badauds mieux vêtus pour trouver le chemin des planches.

Verbeux. Rien que lui mot fait froncer son nez. Pas assez, oui, mais son exotisme le démarque, il veut rétorquer. Avant que les bracelets de chair l’entraînent vers la terre, lui, qui rit, qui ne se rappelle pas pourquoi il est ce qu’il est. Assez naïvement, il n’a pas souffert les années, il en garde des bribes minuscules, tout attaché, il est encore à l’âge d’or des châteaux de sable. Le Chat a plein de conseils que Faïr écoute avec une attention plus amusée que mesurée, c’est écrit en tout petit sous les canines pointues qu’il prend tout pour argent comptant.  

« Et si moi je les aime verbeuses. Hein. D’ailleurs je chante très bien. Il suffirait que ¬— » il n’a pas le temps d’inventer un scénario alambiqué pour se donner raison, il y a la paume brûlante du Chat à sa taille qui veut jouer un air. Il s’imagine surtout danser le collé-serré avec lui qui récite les pas du bal musette comme s’il les avait appris avant de savoir marcher. Les pommettes se rougissent parce que Faïr est obligé de se tenir très proche pour ne pas risquer de s’écraser. Ses sens qui boivent toujours trop et le parfum du Chat, et la forme de sa musculature. « C’est une dinguerie mec. Tu sais danser comme ça et on lave des putains de vitre ? » Il éclate d’un rire grave. Le bonheur est couleur miel et sa tête renversée.

Il imite le sifflement les sifflements du roux, brun, châtain, parce qu’il aime la tonalité appréciatrice. Faïr est assez fier. D’être avec Felix ce soir et de sentir comme une jeune fille avec un videur à son bras. Il aurait honte de lui avouer. Il y a assez de nourriture pour que les mots soient inutiles, l’écume à leurs lèvres trahis leur foyer d’appartenance. « Meilleur que le sexe... » Il dit méditatif, les yeux totalement absorbés par le couleur rose d’une entrecôte saignantes. Ses sourcils se froncent ce qui donnent une inclination tendre à son visage, il lève sur Le Chat un regard interrogateur. « Et si c’est le sexe avec la copine d’un premium ? c’est aussi meilleur ? » La moue sérieuse et tordue par l’hilarité qui menace, se retenir, se retenir douloureusement pour avoir le plaisir de découvrir la réaction de l’autre.

« Je sais plus. C’est sûrement pour ça qu’on me l’a filé d’ailleurs. » Il ricane. C’est bon ne pas sentir le poids d’allégations ou de questions. C’est pour ça qu’ils peuvent profiter parce qu’il n’y a pas besoin de passer à la loupe les pourquoi. Les brochettes ravissent ses papilles, en glouton, il suit les traces du complice et essaye lui aussi d’empiler des assiettes entre ses mains pour plus tard.

Les choses vont trop vite. Faïr a le temps de se retourner sur le gamin avec une raie que Le Chat est sur ses côtes. C’est un dessin familier que celui des bastons initiées au hasard pour un regard de travers. Si loin des lèvres de Faïr qui gémissent des oui oui oui ennuyés avant d’oublier. Avec désinvolture, il tapote l’avant-bras de son ami pour l’inviter au calme.

« C’est bon Le Chat. Il veut peut-être s’amuser avec nous hein ? » Pas de réponse. Bonne réponse. « Tu connais la danse du sans étoile ? C’est facile il faut faire comme la chanson dit. Je chante et tu te déshabilles. » Ce nouveau t-shirt plus blanc que le sien lui plaît beaucoup. « C’est la danse du sans étoile ! Le sang étoile a dit enlève ton t-shirt (…). » Il a la voix juste et forte, la voix des commentateurs de ring qui attirent les passants en cercle. Les assiettes posées, à ses pieds, Faïr peut taper le rythme dans ses mains, bientôt rejoint pas l’enthousiasme empoisonné des autres. Un clin d’œil à Felix. « Tu fais ce que tu veux moi j’me refais une beauté. » Faïr tire sur le t-shirt du malheureux encouragé par les clameurs.

Une « robin des bois », un voyou pour la bonne cause, et aussi la cruauté la plus adorable qu’on est vu enfiévrer des garçons de vingt ans amaigris de misère. Le Chat est beau. Il a un corps toute en puissance qui fait qu’on est systématiquement dans son ombre quand on lui parle. Ce n’est pas désagréable si, comme Faïr, on aime les après-midis de soleil au pied d’arbustes vigoureux. Il serait charmant. Il irait à leur rencontre habillée du t-shirt d’un de ses gars qui a le loisir de choisir le matin face à la penderie et, sans doute, elles se pâmeraient, ou feraient quelques simagrées avant qu’il n’enlace le bas de leur rein pour danser. Faïr espère qu’il lui racontera, qu’ils auront encore de la picole et des flammes pour lécher leurs jambes, un autre soir comme celui-ci mais pas vraiment.

Faïr était une de ses victimes bécasses qui trempent leurs bobos dans le cours d’eau, l’air de se retenir de nettoyer avec leurs larmes, et oublient la rancune le jour d’après. Aujourd’hui, il enseigne l’humiliation en chantant, s’arrange des fausses notes en frappant dans ses mains le refrain des stigmates du pouvoir du Chat. L’idée, une graine minuscule, grossit, ses racines ternissent les yeux de la victime, et bientôt un hoquet joyeux l’anime en tirant sur l’encolure du t-shirt. Il est heureux. Que ce soit un jeu stupide et pas des rivières grenat en dessous de son nez. Que Le Chat lui prenne les mains pour signer méfaits accomplis, une jolie paire de basket en rançon. Que son chant soit repris en cœur, pour qu’il puisse se laisser rire et entraîner par ses quilles maigres loin devant.

« Capiche Le Chat. Je me taille. Reste pas trop longtemps, y a les molosses qui s’agitent. » il ricane, jette un coup d’œil à l’angle où les tenues austères de traits tirés par l’âge frémissent, s’ils doivent encore s’expliquer, la malice de leurs yeux les trahira. Ils danseront plus tard. Peut-être. Eux aussi. Et les autres seront jaloux, non, de cette brutalité rythmée, fiévreuse. Pas vrai. Il se demande, dans une main les victuailles pleines de sang rose, dans l’autre les larcins qui sentent la lessive. Il aime cette odeur maternelle de linge et de propreté.

A l’ombre de la foule, il coule sa silhouette dans le nouveau haut, belle toile blanche, il faudra peut-être trois ou six mois avant qu’il soit criblé des trous de sa condition. Le Chat revient près de lui, Faïr le hèle, le poignet brisé comme s’il secouait un mouchoir invisible. « Par ici. Elles sont canons tes nouvelles pompes. Tu me laisses faire les lacets ? Je les attaches pas entre eux, ok. »  Il a déjà sur les genoux, le matelas de verdure est indolore, en train de faire des rosettes où il coince de minuscule pâquerettes enfantines pour qu’elles soient un peu moins comme le gars à poil, un peu plus comme eux.

« Et moi je suis beau ? comme un prince ? hein, il paraît que les princes ont une couronne. Il faut peut-être qu’on continue à déshabiller tout le monde. Je suis curieux du résultat… » il se marre, un bras par-dessus tes épaules de l’autre il mord dans la chair des brochettes, le goût salé et tendre se répand dans sa bouche. L’anonymat les enlace, et si les vêtements ne sont plus exactement comme avant, leurs goules tachées de sauce racontent les appétits voraces des jeunes crèves la faim. « Du côté des cuisines, c’est sûr, ils ont encore des tas de barbaques et même, sûrement, une pièce montée avec des bougies. » Avec l’index, il montre l’appentis où on aligner des glacières et des congélateurs d’appoint, parfois un gars avec une toque passe.

Faïr tire sur la main du Chat. « La couronne et le gâteau. C’est notre prochaine destination j’espère. »

tu lui dis pour de rire. ça compte deux fois.
ce sourire qui est le tien mange ton visage, vient déborder dans les pommettes, chatouiller les oreilles même. tes dents sont restées bien alignées, bien blanches, malgré le mauvais café, tu es charmant et, sans doute, tu le sais. le rose est content de ne plus te connaître que derrière le plexiglas, de savoir tes coudes cruelles et tes mains gourmandes. Luke Luke Luke... c’est qui ? on s’en fout. on le porte pas dans notre cœur visiblement. pas vrai. hein. Le Chat. on s’en fout. Faïr ricane à l’abri de ton rire. avec ses mains, il serre les tiennes de peur que tu le chatouilles, là, en bas des côtes où c’est aussi irrépressible qu’irréversible.

blotti contre toi, vous êtes une figure branlante, il a l’impression d’être ce duo passablement éméché qui enfoncent la vie dans le réel. ses yeux hazel enveloppe le visage en lignes raides et mâle avec une affection complice, là, ton menton creuse un sourire sur sa chair.

c’est le coup d’envoie. il faut te voir enfiler tout à tout le masque d’un voyou, d’un frère, d’un voleur. tu n’as jamais peur. il pense. il se marre, il a du mal à ne pas alerter tous les convives, il écrase sa bouche sur tes omoplates pour suffoquer ces éclats. les airs sérieux que tu te donnes finissent pas le convaincre, son sourire encore tordu d’hilarité contenue.

le plus con c’est moi. c’est pas monsieur Papa qui dira le contraire. il veut dire des bêtises énormes jusqu’à ce que tu craques et te tiennes les côtes de rire en roulant par terre. ses yeux s’agrandissent. sans hésitation, Faïr pince ta taille entre son pouce et son index. tu vas me pécho sans m’avoir fait danser ? je suis scandalisé Le Chat. il faudra pas pleurer quand tu seras amoureux parce que j’embrasse divinement bien. il accentue les derniers mots avec le même ton obséquieux que tu as employé pour parler de son t-shirt.

sur la plateau de fortune, Faïr appartient certainement à la population qui nettoie les assiette en carton, il obéit au commandement du Chat. il faut être vif quand lui est maladroit. il a de la peine quand les miniatures de délices tombent sous ses pieds et même, par moment, peur, que dans la précipitation il te perde de vue.

derrière y a un type qui sursaute, là, les mains calés sur les hanches. il a pas l’air sympa, patibulaire même, c’est les sourcils froncés qui font ça. Faïr sent son cœur de vermisseaux se mettre à taper, c’est excitant, le flagrant délit, surtout quand on est habitué.

eh les clampins. vous foutez quoi. vous voulez une torgnogle ou l’isoloir ? on est généreux en cuisine… on vous file les deux.

et Faïr il tire sur ta ceinture, tout son poids, toute sons adrénaline. les plateaux s’envolent, il pleut des chouquettes au lardons, et il faut s’appliquer pour respirer sous ta carcasse de spartiate. en travers de la table, la nappe en papier semble s’insurger contre votre manque de respect quand Faïr, les yeux grands ouverts, pince ses lèvres pour ne pas juste éclater de rire.

tu peux le faire danser. quel rêve idiot à se partager pas vrai ? grouiller grouiller grouiller, en gestes rudes et ronds, l’échine impeccablement rompu, c’est encore ce qu’il y a de plus beau et de plus gratuit. il faut une certaine assurance en sa bonne fortune pour se déhancher le ventre vide. de l’aplomb. en grandes doses. monté sur tes essieux en plastique neuf, tu sembles n’entrevoir de l’avenir qu’une fente mince et lumineuse, vous partagez peut-être le même dédain pour ce qui est sombre et occulté.

la faim rend tout vivide. vous ne remplissez pas vos appétits mais les douleurs comprimées la nuit sous l’édredon léger. la matière blanche et neuve où sont juxtaposée des saveurs de la taille d’une bouchée est meurtrie par vos mains emmêlés. Il y a dans ce jour finissant une sauvagerie maligne. même la main dans le sac, les corps écrasés entre eux comme des sacs de boxe, tu parles avec effronterie. il n’y a pas de plan, il n’y en avait pas. finalement, tu n’aimes pas les mascarades Le Chat, tu préfères toujours la provocation gratuite et vulgaire suivie de ces grandes débandades hurlées comme un étendard par-dessus l’épaule.

faïr, péniblement, tes lèvres ont le goût de la pâte trop salée, se ramasse sur les genoux, écorchés, en tapant sa nuque au rebord de la table dans la précipitation. il est assailli de sensations ce qui rend son esprit, grumeleux et gourd, plus lent que d’accoutumé, presque poussif. mais il faut suivre le coup de canon de ta voix, la cordelette de tes doigts sur son bras. a deux reprises, il sent sont pied glisser et la terre devenir toute proche, au point de se demander si le gazon va le chatouiller avant de lui éclater le pif. plus fort, tu tires sur le traineau capricieux de son corps trop mince pour le redresser le manœuvrer près des taillis où quelques troncs suffiront à faner vos silhouettes. la rivière y coule, argenté, avec ces sons qui rappellent les rires ou la petite enfance.

….toi….peur….j’y….crois….pas…. il rêve d’une sensation d’eau de synthèse pour atténuer l’enfer des brûlures dans sa gorge, la respiration qui siffle en hachant syllabe après syllabe, le crâne renversé et il pense à vomir entre les grosses racines du cèdre où tu as choisi de faire halte. hum ? ses yeux se lèvent sur les choux gourmands qui ressemble à un bolet tout juste arraché du lichen dans cet état. apufaim avec le dos de la main, il refuse, son métabolisme est trop affairé avec les canaux sanguins dézingués, visage livide, et la grosse soufflerie de ses bronches. bravo… le chat… ça mérite… un bon bain ! et avec les maigres forces, Faïr encercle ton bassin, la joue appuyé à ton nombril pour te pousser vers le bras d’eau. il articule un râle de guerre, ultime cri de bataille, pour prouver rien si ce n’est qu’il n’est pas mort, que tu n'est pas mort. peut-être, il espère dans son intention brutale, comprendre un peu de la violence gutturale de tes manières.