amazed

La lumière est belle et Max aussi. Le soleil n'est pas encore couché et rend à l'atmosphère une ambiance cramoisi ; le rouge solaire vient alors mourir au sein des hibiscus ornant les cheveux d'Argo. Elles marchent toutes les deux, le long de la rivière, on peut les entendre rire parfois.

Argo n'a pas les mains moites mais son myocarde est bien actif ; elle regarde droit devant elle, n'osant trop zieuter Max à côté d'elle. Elles s'étaient machinalement éloigné de toutes les festivités, cherchant à glaner le peu d'intimité que le huis-clos constant de l'Enclave pouvait bien leur offrir.
Argo n'avait aucun réel attrait pour la fête de l'été : certes l'ambiance plus légère laissait fleurir tous les bourgeons d'amour que les uns portaient aux autres mais ce n'était qu'un prétexte — à ses yeux, pour brider l'amusement. La fête était conditionnée à s'arrêter à minuit, pourquoi ne pas la prolonger encore ? S'il y avait bien un soir où les règles devaient brûler au sein des flammes, c'était ce soir.

« C'est la saison des glaïeuls. Ils fleurissent chaque année en août. Tu le savais ? » Argo cherche la main de Max. « Ils ont ce nom parce qu'ils ressemblent à des épées, qu'on appelait glaive avant. Mais- je radote, pardon.

Tu ... tu es magnifique, ce soir. » Argo trouve la main de Max.

Elle laisse les mots glisser sur leur épiderme tandis qu'elle esquisse un sourire coupable. Argo aimait bien, comme ça, parfois, donner des leçons. Elle aimait bien se dire qu'elle existait, comme ça : prouver qu'elle avait bien sa place autour de la table, qu'elle ne mettait pas les coudes et qu'elle n'haussait pas la voix pour rien — Argo aimait se dire qu'elle avait raison de parler et que sa voix ne se noierait pas dans le torrent des brouhaha.

« Tu sais très bien ce que je voulais dire ! » Elle prend une moue faussement embêtée. Argo aime quand Max dit son nom, elle aime quand elle l'appelle et aime quand elle lui parle. C'est comme un courant d'air frais en canicule ou comme un brasier en pleine avalanche. À côté, le monde lui paraitrait fade si Max venait à s'en aller, s'éloigner d'elle. La mer ne serait plus aussi jolie : le sel marin aurait goût de farine. « Oui, les asters représentent l'amour fidèle. » Et la fin de vie, aussi. Argo ne le dit pas.

« Je- ... hum, je veux dire, il faudrait qu'on parle.
Rien de grave ! Enfin, non, ce n'est pas grave grave, il faudrait juste en parler.

Je pensais que ça serait plus facile. » C'est un gloussement gêné qui sort d'entre ses lèvres, qui avait remonté tout le chemin de sa trachée. Elle avait les papillons dans le ventre mais elle en était sûre, il n'y avait aucune fleur à polliniser dans ses viscères. « Pff c'est ridicule de perdre mes mots, comme ça ... Non, Max, ce que je voulais te dire c'est qu'il faut qu'on parle de nous.
Tu ne crois pas ? »

Argo n'aimait pas verser dans le sentimentalisme mielleux et capiteux, elle était femme de sciences ; tout n'était que chimie pour elle. Max, elle, était un paradoxe dans ses équations et un brutal changement de ses paradigmes : Argo rebutait l'amour mais s'amputer de Max reviendrait à s'arracher et piétiner ses cardiomyocytes.

Argo a ce sentiment désagréable d'être à nue. Ses sentiments sont à portée de tous, il suffirait de s'y pencher pour les cueillir. C'est une floraison qu'elle ne contrôle pas et qu'elle ne pourrait par conséquent pas arrêter. Le printemps d'émotions qu'elle offre à Max la gêne autant qu'elle s'en sent exaltée : l'amour c'est magnifique et s'offrir entière à l'Autre est un interdit qu'Argo transgresse sans regretter.

« On le refera devant les vagues et les houles, ne t'en fais pas. » Argo regarde Max et aimerait s'enraciner en elle. Dans une fantaisie étrange, elle se dit qu'elles pourraient toujours être relié par quelque racine ou quelque graine, une liane qui les connecterait pour toujours et qu'elles alimenteraient toutes deux toujours. « Oui. Je serai là. »

« Moi je t'aime. Mais ça me fait peur parce que ça veut dire que je ne peux pas te perdre.
J'en mourrais, tu comprends ? Tu ne peux plus partir maintenant. » Elle aimerait rajouter tu n'as jamais pu, je ne l'aurais jamais supporté, mais les syllabes s'avortent entre ses cordes vocales. Argo est submergé par l'amour et c'est comme une vague dont elle cherche à se relever — dès qu'elle semble retrouvée un brin d'équilibre, elle rebascule encore et encore.

Elle ne la laisse pas répondre. Argo met ses deux mains d'une part et d'autre du visage de Max et, sans mot dire, y appose ses lèvres sur celle de Max. C'est doux et sucré —

l'amour est miel.

when they love each over i cover it up

j’ai shooté dans mon verre et il a éclaté en vol. les éclats éparpillés sur le sol m’ont foutu un électrochoc. qu’est-ce que je branle ? qu’est-ce que je fout ? qu’est-ce qu’il se passe dans mon foutu crâne putain ?

je suis ridicule et ça va pas. ça va putain de pas parce que paris est partie avec un bout de moi. lequel ? mon orgueil, mon ego, mes sentiments, mes espoirs ? j’en sais rien. j’aurai dû m’en douter, pourtant. que ce soit ce soir, il y a deux ans ou il y a cinq ans, paris à toujours piétiner mon orgueil, mon égo, mes sentiments, mes espoirs. pourquoi je continue à m’accrocher ? pourquoi je continue à espérer ? et j’espère quoi, même ? elle ne m’aime pas et je ne l’aime plus. je n’en suis pas amoureuse alors qu’est-ce que je cherche dans le fond de ses yeux ? du respect ? de l’admiration ? de l’affection ? de la reconnaissance ?  j’en sais foutre rien mais ça va pas.  j’ai le sang qui boue dans mes artères et ça me démange alors il faut pas que je reste là. il faut pas que je reste sinon je vais encore casser un truc et pire - je risque de me briser moi-même.

alors je cours. je me suis mise à courir, à faire ce que je sais faire de mieux: fuir. je cavale dans la forêt, j’ai dépassé la scène en poussant les yeux, on a tenté de me retenir mais ma colère est un bruit blanc: je ne les ai pas entendu. j’ai mal à la cheville, la douleur apparaît parfois, sur une ou deux foulées que je fais mal, les restes de mon entorse. je le payerai demain, je le sais, mais ce soir, je m’en moque: je veux m’enfuir. je dois m’enfuir.

je cherche tay. je cherche argo. je cherche max. je cherche quelqu’un qui m’aime, quelqu’un qui m’aime vraiment pour ce que je suis. j’ai besoin de réconfort. je les ai vu partir vers la rivière, argo et max, juste après le concert. juste avant que moi, je ne parte avec paris.
je me mord la lèvre. j’aurai dû aller avec elles.

je cours encore, le plus vite possible, je manque de me casser la gueule contre une racine et de m’écraser au sol mais par réflexe ou par mon pouvoir je reste debout de je continue de courir. j’arrive à la hauteur d’un buisson, sur les flancs de la rivière, j’halète à cause de ma course saccade et j'aperçois leur silhouette. max ! argo ! elles sont là ! enfin !
j’ai envie de pleurer de soulagement et je m’apprête à bondir, sortir de mon buisson pour venir me réfugier dans les bras et pleurer comme une gamine sans trop savoir pourquoi mais je sais juste que j’en ai besoin. j’ai besoin de soutien.

ah.

je les vois juste là, à 5 ou 10 mètres de moi. elles sont main dans la main.
argo embrasse max.
max embrasse argo.
elles doivent se dire je t’aime.

je n’entends pas mais je devine. c’est ce qu’on se dit, dans ces moments là, non ? à vrai dire, moi je n’en sais rien.
personne ne m’aime.

j’ai un haut le cœur. je sens ma poitrine qui se gonfle et les larmes qui montent. j’étouffe. mes sentiments sont une tempête, je ne sais plus ce que je pense. la colère et la frustration que paris m’a laissé se mélange à la joie sincère de voir argo et max s’aimer. mais au milieu de tout ça, sur le bout de la langue, j’ai un goût amer. mon coeur se met à battre plus fort, l’angoisse perle. je crois que je suis  aussi jalouse, envieuse. je les vois là, toutes les deux, à se prendre dans les bras et à s’embrasser.

je me souviens des mots de max. “j’aime argo comme on aime une adelphe.” et d’un coup - alors que je savais très bien la vraie teneur de ses sentiments - je me sens comme trahie. je crois que je réalise à quel point je suis seule.
je n’ai plus le coeur à aller les voir. à aller les féliciter. je vois bien, c’est juste devant mes yeux, que ce soir, dans leur bras…
il n’y a pas de place pour moi.

alors je baisse la tête et je serre le poing. d’un coup sec, je fais volte-face en embarquant tout avec moi: ma joie, mes rires, ma rage, ma jalousie, ma tristesse, ma solitude. je ne leur offrirai pas ce soir, je ne gâcherai pas leur moment, ce sera pour plus tard (ou jamais).
je me tourne et sans un bruit, je me remet à courir pour disparaître dans la forêt, laissant argo et max à leur intimité.

moi, ce soir, je ne suis bonne qu’à m’enfuir.

Ses songes auront des couleurs plus vives, désormais. La mer, qui devenait terne et grise à force de rêves et d'usages recyclés, cessera très bientôt de se délaver ; maintenant dans les odyssées de ses songes, il n'y aura plus que le sable, les algues, le soleil et la houle : il y aura Max.

Son contact est abrasif et pourtant, Argo créature monstrueuse mi-fleur mi-humaine, aime la chaleur de ce petit feu quand ses doigts se mélangent à ceux de Max et quand sa sève est partagée à celle de celle qu'elle pourrait maintenant appeler celle que j'aime. C'est un feu de cheminée, c'est un foyer qui réchauffe les coeurs et qui agit en baume sur ses paumes usées par le travail — Max aime Argo et Argo aime Max. Des fois les choses sont si simples.

« Oh, pitié, Max ! Tout mais pas ça ! Pas les petits mots timides et les conversations niaises ... » Argo ricane pendant qu'elle tournoie sous l'impulsion de sa désormais 'copine'. « Tu m'appelles comme tu veux- quoique, non, pas amante, c'est horrible comme mot.
Oui, on est copines, amoureuses : on sort ensemble quoi ! » Elle n'est pas doué pour les amourettes mièvres et mielleuses ; bien sûr Argo aime Max mais elle a toujours eu quelque chose contre l'amour. « Tu sais, je crois que je t'ai toujours aimé. Aimé aimé, je veux dire. Mais tu sais bien que pendant longtemps ça me dégoûtait un peu, tu vois ... On a tous grandi ensemble et on se connait depuis toujours, je trouvais ça ... sale ? Quelque part, d'aimer quelqu'un que tu connais depuis qu'il sait marcher.

Mais pas pour toi, ça ne m'a jamais dérangé. Ça m'a fait peur, peut-être, un moment mai- » Elle aperçoit du mouvement au loin. C'est fugace mais brutal. « Tu as vu ? C'était quoi ? On -aurait dit Castor ... non ? »

Elle tire la langue amusée par les mièvreries de Max. Argo ne se voit pas inondée ou inonder de surnoms affectifs ; leur histoire n'appartient qu'à elles ; pour Argo il est inutile d'en oublier les noms — c'est important, pour elle, son prénom. Elle a parfois l'impression qu'il n'est pas complet. Elle se souvient parfois d'autres sonorités auxquels elle avait l'habitude de répondre. Elle n'y pense plus.

« Non, ce n'est pas tout à fait une justification ... Enfin, peut-être que si ? Je ne sais pas, je me sentais de te le partager, voilà. » Elle est cependant bien sûre de ne pas avoir rêvé. Tout est bien réel : elle et Max s'aiment, elles s'embrassent maintenant, et sont en couple. Il y avait quelqu'un, elle a entendu un bruit ; elle ne rêve pas. « Oui, j'ai- » Max l'interrompt et Argo ne retient pas son rire qui s'échappe — prise de court elle ne peut s'empêcher de sourire bêtement aux embrassades de Max.

« Non, tu n'as jamais demandé. Histoire de coeur, non, je n'ai jamais été amoureuse.
Mais si ta question c'est est-ce que j'ai déjà couché avec une autre, oui, c'est déjà arrivé. » Argo se sent gênée ; c'est pourtant avec Max qu'elle devrait en parler, si elle devait en parler. Peut-être y mettre de l'affect change la donne pour elle. « Quelques fois, j'ai pas couché avec toutes les filles de l'enclave, quand même. Mais oui, ça m'est déjà arrivé. Et toi ? »