amazed

Assise sur la table de la serre, Argo fait rebondir son regard sur toutes les entrées et sorties de la serre. À côté d'elle, il y a plusieurs bouteilles aux liquides clairs, des petits sachets remplis chacun de poudre ou de fleurs séchés. Elle ne se souvient plus vraiment depuis quand elle avait commencé à produire ainsi, comme ça, des ambroisies et des nectar ou bien des poussières et pollens psychotropes. Elle regardait s'écouler doucement ses pipettes dans des petits flacons et s'évader les effluves de chanvre. Pour faire passer le temps, elle regarde par les fenêtres, toujours assise sur la table. Castor arrive.

« C'est pas trop tôt ! Je croyais que tu finirais par me poser un lap- c'est quoi cette attelle ?! » Elle saute de la table d'un bond sec et s'approche de Castor, l'air courroucée. Argo soupire.

« Je ne peux pas te laisser cinq secondes toute seule, Castor ! Qu'est-ce qui- ...
Non, je crois que je ne préfère pas savoir ... Non, si, dis-moi- Non, ne me dis pas ! » Argo se retourne, zieute rapidement Castor. Elle a envie de rire — Castor avait une démarche de canard, maintenant, et de crier tout en même temps. Bien sûr, sa colère était factice, Argo avait souvent repensé à toutes les fois où elle s'était réellement fâché contre Castor et elles n'existaient pas. Ce n'était jamais de la colère, encore moins de la déception ; non, c'était l'inquiétude des plus grandes pour les plus petites, le genre d'affection dure que les aînées devaient montrer aux benjamines. « Ça ne te fait pas mal, j'espère ? Ça te lance ? Tu as mis de la glace ? Pire : est ce que c'est cassé ?! » Elle soupire et l'invite à la rejoindre sur la table où Argo prenait racine. Elle avait semé des pétales partout dans la serre, pour effacer les traces de leur effraction, Argo se rappellera de passer le balai pour évacuer tous les symptômes de son angoisse. « Un jour, Castor, tu me feras faire une crise cardiaque. Tu le sais, ça ?
Bon, raconte moi, qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

jolies garces gang

je suis en retard. plus que d’habitude, j’entends, la ponctualité n’a jamais été mon fort, j’ai toujours eu tendance à prendre mon temps. mais aujourd’hui, ce n’est pas ma faute, on ne peut pas (trop) me blâmer ! je suis une grande blessée, il faut me prendre en pitié.

“heyyyy… salut argo…!”

j’affiche un sourire franc, jouant avec les mèches de mes cheveux en un tic nerveux. j’affiche un air un peu navré tandis que je me faufile dans la serre. j’espère être discrète, me faire suffisamment petite pour m’épargner les reproches et les remontrances. je tente, mais pourtant, je le sais d’avance: argo n’aura aucune pitié.

“moi aussi ça me fait super plaisir de te voir !”

je ris. je joue la carte de la plaisanterie car je ne peux rien faire d’autre. je n’ai pas d’autre défense à proposer, et je sais de toute manière que ce serait vain: je suis condamnée à attendre que argo ait fini de me tirer les oreilles. devant sa colère et son indignation - que je sais factice mais il faut jouer le jeu - je ne peux m’empêcher un sourire amusé en la voyant si théâtrale. si argo est obligée de jouer la grande sœur moralisatrice et indignée, il va de soit que je suis obligée de jouer la petite sœur espiègle et insouciante.

“t’en fais pas va, tout va bien.” je viens m’installer à côté d’elle, posant délicatement ma tête contre son épaule. je ferme les yeux un instant, hume son parfum. je me sens bien. comme à la maison. “j’ai juste une entorse. l’infirmière a dit que c’était béguin… bé…bénin. un truc comme ça.” j’ai oublié le terme exact. “ça prendra entre une semaine si tout va bien, deux semaines si j’abuse.”

et ce n’est pas dans mes plans d’abuser. argo me pose la question que tout le monde demande: comment je me suis fais ça. je pousse un soupir. je ne sais pas vraiment quoi lui raconter. je n’ai ni envie de trahir max, ni envie de mentir à argo.

“je suis tombée… j’étais avec max et… j’sais pas, j’ai perdu le contrôle de mon pouvoir… du coup je me suis cassée la figure, et la cheville avec. enfin, juste foulée, mais voilà, t’as compris.” dans les grandes lignes, c’est l’exacte vérité. “mais heureusement max était là ! elle m’a emmenée à l’infirmerie comme si je ne pesais rien, c’était super impressionnant ! en vrai, heureusement qu’elle était là parce qu’on a pu aller vite à l’infirmerie comme ça… sans elle j’aurai dû traîner ma carcasse et ça aurait peut-être été plus grave…”

sans max, je ne serai peut-être pas tombée du haut de la colline. mais ça, c’est un détail. je vante ses louanges auprès d’argo, observant du coin de l'œil sa réaction. j’suis une vraie pote: moi. on trahit pas maximax, et en plus de ça, on lui arrange un coup avec la belle argo ! moove de fou. appelez-moi castor le génie.

“et toi argo, quoi de neuf ? à part toutes les crises cardiaques que je te fais faire…”

mon regard brille d'espièglerie. je viens doucement bousculer son épaule pour plaisanter, mais surtout chercher le contact. je fini par observer les sachets sur la table, curieuse, devant ce que argo a concocté pour aujourd’hui.

« Avec Max, hein ? Pourquoi je ne suis pas surprise ... Enfin, je suis contente que tu ailles bien. C'est l'essentiel, finalement.
Si tu t'étais cassé un truc par contre je t'aurais probablement bousillé de plus. » Argo écarte son bras et cale Castor dans son étreinte. Elles restent comme ça, un moment, assises sur la table. Argo remonte alors doucement ses doigts pour les mêler aux cheveux de Castor et juste avant que le silence retombe avec la poussière, elle se racle la gorge en synonyme d'une future explication bien trop savante sur ses agissements dans le noir vespéral de la nuit.
Les pétales sur le sol s'agitent avec le courant d'air et Argo les laisse voleter comme ça, au gré du vent : ils sont libres.

« Un truc un peu spécial. C'est pour la soirée de l'été. Qui dit grand rassemblement implique forcément mouvement et foule. foule implique discrétion et clientèle. » Il y a des plants de cannabis sur la table, tout séchés. Il y a aussi des carpophores de toutes sortes et formes. Entre les bouteilles trônent des pavots roses. « Tiens, étends le bras et attrape une des bouteilles, tu veux ? La petite, là, la plus à gauche. Goûte, mais fais gaffe ça risque de t'arracher un peu la gorge. » La nuit appartient aux jeunes, ça a toujours été une vérité immuable. C'est durant le soir que les crimes sont commis et que le monde perd la tête. Argo, pour tout ça, aime bien le soir.

Pour elle, la nuit est toujours calme. C'est le moment où la terre dort, où les fleurs ne demandent rien, si ce n'est se reposer de tous les charmes qu'elles ont usé pour attirer les abeilles et les amants prêts à les cueillir. C'est le moment où Argo ne se sent plus si oppressée par les enceintes de ces quatre murs qui appauvrisse sa terre et ses engrais. « Passe moi la bouteille, quand tu as fini. C'est que pour nous deux, ce soir. On appellera ça ton automédication. » Argo dans le noir a les traits apaisés et c'est grâce à Castor. Argo est heureuse et elle en remercie Castor.
« Hormis ta connerie avec Max, qu'est-ce que tu me racontes en ce moment ? » La nuit est propre aux confessions, aussi. Argo se livrera plus tard, il faut garder ses secrets encore un peu macérer.

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la mention de max m'arrache un sourire. je sais que argo n'est pas dupe. elle nous connaît trop bien pour ça. je me demande si je dois insister et continuer de vanter les louanges de max, mais pas bien sûre que ce soit malin de trop en faire. je me contente alors de sourire en prenant l'air bête.

"eh bah super !" je fais la moue pour rigoler. "on t'a jamais dit qu'il fallait PAS frapper les gens blesser ? j'ai besoin de soin, de douceur et d'amour, argo !"

je mime mon désespoir. je ne suis qu'une pauvre âme en quête d'un peu de sympathie et d'affection. tay a dit que plein de gens aimaient prendre soin des blessés et que c'était le moment de jouer les princesses en détresses. ça ne tient pas. je fini par éclater de rire.

argo me prend dans ses bras. je me love contre elle. je profite de son odeur rassurante, un mélange de sel et de fleur. argo sent bon. je me sens à la maison.

"évidemment." l'énergie revient à la mention de la soirée. ça va être un grand moment, je le sais. "d'ailleurs, on donnera un concert avec le groupe. tu viendras nous voir hein ?" c'est important qu'elle soit dans la foule. important pour moi. "qu'est-ce que c'est ?"

j'ai la bouteille dans la main, je la fais rouler dans mes doigts. je ne vois pas bien ce qu'il y a à l'intérieur à cause du vert opaque, mais cela pique ma curiosité. je goûte avec prudence. je ne suis pas insouciante. ça brûle la gorge, c'est super fort. mais c'est aussi super bon. tout à coup, mes yeux brillent. me voilà très intéressée.

"merde, t'as réussi ?" il y a de l'éclat dans ma voix. ça fait un petit moment qu'on tente de distiller des trucs, avec faïr, mais c'était toujours atrocement dégueulasse. la boisson d'argo sent fort les plantes et l'alcool. et c'est surtout vachement bon. "t'es trop forte argo !!!" je jappe, évident tout de même de crier trop fort. personne ne doit nous trouver là. argo l'a dit maintes fois: la discrétion est de mise. "c'est la meilleure prescription possible pour ma cheville."

j'éclate de rire. je suis contente.

"hmmm... c'est tranquille. on répète pas mal pour la soirée avec love et dani. tay s'est foutue de ma gueule pour mon pied. sinon ça va, j'ai pas grand chose à raconter. et toi ?" je réfléchis un peu. je repense à la discussion avec max. j'observe argo du coin de l'œil. "j'ai peut-être un truc à te demander quand même… juste pour avoir ton avis, tu vois ?"

mon air s'est un peu renfrogné. mes joues se réchauffe et je me dandine sur le banc en bois, soudainement mal à l'aise.

Argo maudit tous ceux qui ont répété à Castor qu'elle poussait de travers. Elle n'a pas vraiment besoin de tuteur, c'est un plant spécial. Argo maudit ceux qui veulent la faire rentrer dans le cadre ; tout simplement, Argo maudit le cadre. Elle ne l'a jamais aimé, n'a jamais aimé pousser dedans et se rend bien compte, maintenant, qu'il est trop étriqué pour voir s'y fleurir les plus tiges.

Pour Castor, Argo brûlera détruira saccagera et enterrera le cadre.

« Bien sûr que je viendrais te voir. J'espère juste que de la scène tu ne verras pas mes bouchons d'oreilles. Il faut faire attention à ses tympans, tu sais ! Ça ne se régénère pas et une fois qu'ils sont abîmés, t'auras des acouphènes pour le restant de tes jours ! » Elle lui concède un sourire moqueur.

Sur son visage il y a une fierté assumée. Elle travaillait sur une distillation efficace et discrète depuis longtemps déjà et ne se savait pas seule sur la mission ; mais Argo est un esprit fin — elle connaît les secrets de la chimie et salut toutes les fleurs et les racines qu'elle croise sur son chemin. Elle connaît la terre et ses habitantes : elle les aime et sait les chérir ; elle a appris à les exploiter, chaque cellule après chaque pistil et pétale. « On pourrait croire que douter de moi, à t'entendre.
C'est la première bouteille des caves Argo, tu devrais la savourer ! »

« Love, hein ? Fais attention à lui. Je n'aime pas les gars comme lui. Mais soit.
Et bien, moi je travaille toujours autant au champs. La saison devient rude, il fait toujours aussi chaud et j'ai peur que les cassis ne souffrent d'une potentielle canicule. La serre risque de continuer à chauffer et si en temps normal ça aurait été une économie d'énergie, ça risque de demander encore plus d'eau. C'est de l'attention supplémentaire, tout ça. Les fleurs, les plants, la terre, c'est un micro-cosme fragile. Il faut faire attention à ce que la terre ne soit pas trop sèche et qu'elle ne s'appauvrisse pas trop vite. L'équilibre et le statu quo, c'est le b.a-ba de la nature. Ne l'oublie pas, c'est important. » Argo prend une gorgée. C'est vrai que son alcool est bon ; et ce n'est pas elle directement qu'elle consomme. Peut-être ses dons auront un effet sur elle cette fois-ci.

« Tu sais que tu peux tout me dire et me demander, hm ? Balance, on va voir si j'ai vraiment réponse à tout. »

jolies garces gang

le fait de savoir qu'elle sera là, à m'encourager depuis le public me rassure antan que ça me motive. tout d'un coup, j'ai hâte d'y être. il ne reste que neuf jours mais cela me semble être une éternité. je regarde ma jambe. j'espère de tout cœur que je pourrai enlever mon atèle pour le jour j.

"tu fais bien d'en mettre. ce n'est pas réservé qu'aux musiciens. profite en pour venir tout devant pour m'admirer !"

je ris, heureuse.

"je savoure madame, promis." c'est fort mais j'aime le goût des plantes macérées dans l'alcool. je crois avoir lu dans un livre ou entendu dans un film qu'à l'époque, les hommes produisaient beaucoup d'alcool de ce type. ils leur donnaient des noms étranges et parfois imprononçables comme génépi ou chartreuse. "je suis sûre que mélangée à de la menthe et un bon jus de fruit, on pourrait créé un cocktail qui dépote, non ?" j'ai soudainement la vision. "par exemple un truc un peu tropical… genre passion ou mangue ? je pense que ça pourrait vraiment être pas mal."

pour que le côté sucré du jus viennent relever avec celui de l'armoise. il faudrait lui trouver un nom stylé, parce que le cocktail de castor, c'est pas terrible en vrai de vrai.

"t'en fais pas pour love." j'hausse les épaules. "je sais qu'il peut-être difficile mais il se donne vraiment pour le groupe et sur la musique, je sais qu'il déconne pas. tout va bien entre nous."

je lui offre un sourire rassurant. je suis consciente de ce qu'on peut reprocher à love, mais il aime la musique autant que moi et pour ça, il a mon respect. et puis, je suis mal placée pour juger. j'ai moi-même mes défauts et mes failles. je suis loin d'être quelqu'un de bien. pour tout dire, je crois qu'on s'est bien trouvé tous les trois, avec dani: on est pas toujours facile à vivre mais nos entrailles sont faites d'octaves et d'accords. la musique fait vibrer nos cœurs et il n'y a que ça qui compte.

"hmm... d'accord cheffe !"

j'hoche la tête, pleine de bonne volonté mais je dois avouer que j'ai pas écouté le début de son monologue. j'étais perdue dans mes pensées car je réfléchissais à love et à notre groupe. de quelle argo parlait, déjà ?

"bon. tu me juges pas, ok ?"

je plisse les yeux, sceptique. je me tâte un peu et je finis par me lancer:

"il y a une… une fille qui me colle en ce moment. je comprends pas trop ce qu'elle me veut. elle est toujours là pour un oui ou pour un non. max m'a dit qu'elle devait m'apprécier mais… j'sais pas… j'ai du mal à comprendre." qu'on puisse m'apprécier sans raison. "t'en penses quoi toi ?"

c'est qu'on est quand même aller voir le coucher du soleil ensemble.

« Ouais, la recette est encore en construction. Avec du sirop ça peut être très bon, je suis d'accord.
Mais pur, comme ça, ça a un autre attrait. Je crois que je le préfère comme ça, pour le moment. » Les aigreurs et les courages sont plus honnêtes, sans édulcorant et sans contrefaçon. C'est un beau moment qu'Argo savoure avec Castor ; c'est un bon alcool qui se boit sans sucre et sans glaçon.

« Tant mieux, s'il est sérieux. Je le vois quelque fois en danse. Je ne le provoque pas mais des fois je me demande ce qu'il me retient de lui foutre mes branches dans la gorge. Ça l'empêcherait de tout le temps se la ramener, au moins. » La liqueur fait son chemin jusqu'au ventre d'Argo et réchauffe ses viscères : la soirée pourtant si teintée de bleu commence à prendre des teintes rosées ; c'est un joli dégradé de couleur.

Argo explose d'un rire sonore ; c'est inhabituel de la voir et l'entendre rire aussi ouvertement déjà — encore plus quand le soir est tombé et que le soleil n'illumine plus ses pétales. « Aahlaha, ma petite Castor ... Si tu n'existais pas, j'aurais trouvé un moyen de t'inventer. » Elle rigole encore doucement dans son coin.
« Qui c'est ? Enfin, peu importe de qui c'est, je suis juste curieuse.
Tu sais, on ne rôde qu'autour des gens qu'on aime bien ; regarde toi et moi. Mais oui, je pense que Max a raison. Enfin, cette gourde ne sait pas voir ce qui est en face d'elle, parfois ...
Bref ! Le mieux serait de lui poser la question, tu seras fixée, comme ça. Mais ce n'est pas ça que je veux savoir. Admettons qu'elle t'apprécie- qu'elle t'apprécie vraiment. Qu'est-ce que ça te ferait, à toi ? T'en penserais quoi ? »

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je ne suis pas sûre de préférer l'alcool sans sirop, parce que ça m'arrache quand même un peu la gorge et que je ne suis pas habituée. mais je te trouve cool, argo, à parler de boisson pure, à savourer la gorgée sans sourciller. alors je me donne une contenance et j'hoche la tête. "oui t'as raison, pur, c'est mieux." bien sûr, je mens. j'aurai préféré du sucre parce que je ne suis encore qu'une enfant. mais je veux jouer dans la cours des grands, avec toi, sur cette table en bois. je veux avoir le droit de me tenir près de toi et si pour ça, il faut goûter à l'amertume des herbes liquéfiée, je suis prête à me sacrifier.

"hahaha ! tu pourras après le concert si tu veux, mais pas avant s'il te plaît, on a besoin de sa voix."

c'est vrai que love se la ramène un peu mais il a le mérite d'être loyal et droit avec ses amis. je dis peut-être ça parce que j'ai le privilège d'en faire partie, mais au moins, y'a un aspect franc que j'apprécie. quant au chant, je peux me vanter de chanter bien, je l'admet. j'ai toujours préféré la folie de mes doigts qui frappent la corde de mon instrument mais je sais aussi jouer de mes cordes vocales. cependant, sur scène, cela ne m'a jamais intéressée: je n'ai pas les épaules d'une meneuse et je n'y aspire pas. je préfère la liberté que me procure ma guitare et non pas la notoriété que pourrait me donner ma voix.

tu éclate de rire devant moi. ".... eh !!!" je fronce les sourcils en faisant faussement la tête, parce que je sais que c'est affectueux quand tu ris de moi, que tu me taquines et que dans un sens, j'aime ça, parce que ça veut dire que j'existe pour toi. l'alcool monte un peu alors je me sens assez forte pour répliquer. "j'espère bien que je manquerai à ta vie si je n'étais pas là. comment tu ferais ? hein ?" l'air effrontée, je viens frôler tes épaules pour pester, histoire que la moquerie ne soit pas gratuite: je peux encore japper.

"j'te dirai pas." pour t'emmerder. je craquerai dans cinq minutes quand t'aura insisté mais pour l'instant je tiens. "et... je sais pas. je m'en fiche un peu je crois. tu sais... je n'aime pas trop les gens. ça peut sonner étrange mais j'ai mon cercle et ça me suffit. j'ai pas spécialement envie de rencontrer de nouvelles personnes ou de bousculer ces habitudes. j'aime bien ma vie comme elle est et j'ai tendance à pas trop vouloir que ça change. alors c'est un peu plus simple de faire comme si de rien n'était, tu vois ?" j'hausse les épaules. "vu que je ne veux rien de spécial."

en fait je ne sais pas si tu sais vraiment parce que toi tu m'as apprivoisés si facilement. mais quand t'es pas là, quand je suis loin des serres, de la ferme et des champs; quand je suis de retour en ville et que l'air me manque, je ne suis pas aussi rayonnante.

Castor est belle quand elle parle ; la commissure de ses lèvres rendent le monde moins gris et les petites pliures de ses yeux rieurs donnent aux sons une harmonie plus douce. Elle est tellement en vie qu'elle pourrait probablement remplacer le soleil. Bien sûr, Castor étant Castor, elle ne se lèverait pas forcément tous les jours mais ça serait encore une plue-value : Castor est un soleil capricieux. Argo sourit à cette idée — la nuit est moins sombre, d'un seul coup, à côté du soleil.

« Tu n'as l'air de t'en foutre, si tu m'en parles. » Elle reprend la bouteille et laisse l'ichor s'écouler dans ses veines.
« Oui, je crois que je peux imaginer ce que tu veux dire. Mais laisse moi y rajouter une nuance.
Ça serait idiot de fermer la porte à quelque chose de beau, sous prétexte qu'il ne fait pas partie de tes habitudes.
Le changement c'est dangereux mais la routine peut être le pire des poisons. Tu t'imagines ? Prendre la poussière jusqu'à trente ans ? Faire les mêmes choses, avoir les mêmes discussions, comme un automate ? Moi je trouve que ça serait la pire des vies à mener. D'ailleurs, pitié, achève moi si je commence à m'enrayer comme un vieux disque. » Elle laisse s'échapper un râle amer de sa trachée.

« Fais toi confiance. Tu es grande, capable et intelligente.
Ne te discrédite jamais, Castor. C'est important ce que je te dis, tu sais ? »

jolies garces gang

je réfléchis aux paroles de Argo. je ne dis rien d'abord, car je veux m'en imprégner, car je veux y réfléchir. j'ai toujours dit que je me fichais de tout car c'était plus facile ainsi: l'indifférence met une distance entre moi et le monde et alors, m'y soustraire n'est plus bien compliqué. mais si j'y pense autant, à Pollux, c'est bien que j'y accorde de l'importance. je sais pourquoi, bien sûr. mais je ne veux pas en parler. je ne peux pas en parler.

"ouais... je vois."  cette fois, je ne ment pas. je crois comprendre ce que veut me dire Argo. plus que ça, je crois qu'elle a raison. "je verrai bien, alors. il y a la soirée bientôt, ce sera l'occasion. si elle aime la musique… alors je suppose que je peux faire un effort."  

tout est plus facile sous la mélodie. on a tous un truc qui nous fait un peu vibrer, qu'on aime partager. pour moi, c'est les notes sur une partitions qui composent une chanson. pour Argo, c'est les fleurs qui éclosent et qu'on arrose avec attention.

"hahaha ! promis je viendrai te le dire si tu te met à radoter ou à devenir aigri !"

je ne suis pas sûre que ça arrive un jour. Argo est bien trop cool pour finir comme ça. mais je viendrai décrocher son micro s'il le faut, c'est promis.

les dernières paroles me touchent. on ne me dit pas souvent que je suis capable, ou peut-être que je refuse toujours de l'entendre, allez savoir. une pointe de chaleur naît dans mon cœur, je baisse un peu la tête et mes joues s'empourprent. pour ma conscience, je dirai que c'est l'alcool.

"merci, Argo…"  je murmure doucement, venant coller mon corps contre le sien, enfouissant mon museau contre sa peau. "je suis contente de te connaître."

je souris doucement tandis que le parfum des fleurs me montent à la tête. j'ai de la chance d'avoir quelqu'un comme elle dans ma vie. j'y pense, car c'est bientôt mon anniversaire, mais j'espère que Argo voudra bien que je travaille avec elle, dans la serre.