amazed

Les révérences sont la seule danse que tous les comédiens partagent à égalité, peut-être aux extrémités de la scène, ils se sentent plus effacés, oubliés. C’est toujours le marteau de Pygmalion qui ceint sa taille, lui rentre dans les côtes mêmes, lorsqu’elle se penche bien bas. Les bravos, les hooras, descendent bas dans son âme avide de gloire. Les paumes chaudes de Vadim et Aurora sont les seuls bijoux autorisés sur ce costume de créateur. Eden partage son sourire enchanté cousu aux lèvres, la rançon du succès, et presse un peu leurs phalanges pour y témoigner l’étroite reconnaissance. L’Enclave regorge d’enfants à chérir et elle possède déjà ses poupées préférées. Dans les acclamations, la blonde laisse s’évanouir les efforts transpirés et les conspirations taquines pour se glisser dans les chausses de la renommée.

L’excitation du triomphe gonfle sa poitrine. C’est un sang bouillant qui rend chaque geste plus léger et les idées plus lumineuses. Elle observe les trépignements malicieux des jambes de danseuses qui l’attirent à l’écart, les doigts restent entrecroisés, pour y goûter la fortune naïve. Aurora n’a rien des souillons ordinaires, sa silhouette est emballée comme un heureux présent et son attitude ne transpire pas la méfiance de sa classe. Elle veut aligner vos regards, pour y lire ces crépitements identiques et acides, et fanfaronner à loisir au sujet de son larcin immatériel.

Eden ouvre les bras, la même posture qu’avant les valses, et soulève la silhouette sertie de textile parfumée par la taille. Quelle merveilleuse amie tu fais ! tu t’es vue dans cette robe de vestale ! prête à allumer les feux sacrés qui verront l’éternité s’éteindre avant eux, et, sans effort, gorgée par les passions qu’elle inspire, Eden la fait tourner comme une voltigeuse ou un poupon de la Nurserie. Il n’y a aucun bonheur que nos Parents veulent te voler trésor. Ils doivent se réjouir, peut-être sont-ils même touchés par la grâce de tes regards et le chaloupé de tes hanches. Ils doivent cacher les petites larmes d’émotion eux aussi tu sais. L’illusion de la beauté tourmente à tous les âges, Eden en est certaine, et celle d’Aurora se déploie entre les ronces de sa condition sans effort. En la déposant au sol, elle s’imagine être sans doute la centième personne à se sentir spéciale d’étreindre l’unique gemme d'une mine de charbon. Son propre rire se tapisse dans le sien, un écho discret conscient qu’il ne ferait que ternir la mélodie cristalline des lèvres gourmandes de la balayeuse.

Voyons. Nous savons toutes les deux que c’est le spectacle qui était grandiose. On devrait donner toutes nos fleurs aux techniciens et aux couturiers. Je devrais même te donner toutes les miennes si je veux être sincère. Elle ne l’est pas. S’invente de la modestie pour la couvrir de ces mots sucrés qu’elle dévorera comme si elle n’avait pas grandi. Sous les traits de l’actrice adulée, Eden s’invente beaucoup de générosité, et pose son index sur les lèvres d’Aurora pour la retenir. Elle ne le connaît pas le père Remy, ou juste mal, il suffirait qu’il décide de la détester parce que son mascara a bavé sur la paupière droite et tout serait gâché. Laissons les Parents en-dehors de ça comme tu as dit. Quand tu me flattes comme ça, j’ai envie de rougir et je ne trouve plus mes mots. Ce qui est faux aussi, mais qui n’a jamais eu besoin d’être vrai. Sur le front d’Aurora, Eden dépose un baiser tendre et maternel et saisit une fleur d’un des bouquets qui s’entassent déjà près des coulisses des acteurs.  Elle glisse la belle de jour à la couronne indigo au-dessus de l’oreille de la jeune femme.

Charmante ! Ils vont tomber à tes pieds, tu sais, quand tu vas quitter les coulisses. Dis mon sucre, est-ce que ton cœur à toi est déjà pris ? tu as déjà pensé à quelqu’un en soupirant le soir ? je veux dire… tu es si jolie, si épanouie, j’ai toujours du mal à croire que tu ne te sois pas laissée tenter. Avec l’index, Eden tapote le centre du thorax d’Aurora pour imiter les battements désordonnée des jeunes épris.

Fille chérie, fille solaire, aimer n’est pas inné, pourtant le son de ses petons qui chuintent en gagnant le sol rappelle celui des petits que le sommeil fuit dans les couloirs. L’existence d’Aurora lui souffle d’être une mère plus mère, de s’affranchir des années pour prendre soin d’elle d’une manière doucereuse. Elle a parfois envié la taille fine et les cheveux que les bas-fonds n’ont pas rendu ternes ou cassants. Ce soir, Eden les célèbres, ces artifices qui trompent les sens et questionnent la moralité d’une Enclave qui envoie des jolies filles dans ces cachots.

Bien sûr ! Bien sûr qu’elle pense qu’ils sont meilleurs que les blocards, que le sacrifice de leur Paradis trahis la hauteur de leur vertue. Eden sait que les Mères abîme leur jeunesse sur les tables de langes et s’interdisent d’avoir les ongles pour ne pas blesser les poupons. C’est cette abnégation de martyr qui l’attire, un rôle sur mesure à l’imposture de son talent.

Le sourire d’Aurora est une prière optimiste aux attentes d’Eden. C’est réconfortant à regarder. Ça lui rappelle les gazouillis et la simplicité. Elle ressemble à une enfant à se laisser habiller par les phalanges gantées de son aînée. Il faut lui pardonner pour cette fleur qui sera piétinée ailleurs, ce n’est pas de le porter qui compte, c’est de la suspendre maintenant comme un photographe avant la photo de famille. L’index moralisateur saisi est ôté du coffre au secret et Eden, yeux vert brillant, observe autant la composition florale que les répliques qui suggèrent. Qu’aimer c’est trahir. Que les mots sont réservés aux sentiments factices et ingénues des personnages de fiction.

Quel adorable bouquet. Eden le tient, il est léger, il y a une épine qui vient déranger sa peau mais la douleur est plus agréable quand elle n’a pas besoin d’être partagée. Il n’y a pas besoin de le nommer si tu comprends tout, tout de suite. Lucien est un garçon difficile. Aimer et souffrir ça se ressemble, il ne faut pas te sentir spéciale. Ca commence toujours par la tendresse, ça finit par les mots méchants. Garce garce garce. Elle pense à Alfie. Elle pense à Abyss qui se noie, tombe, et jette aux vent la main tendue comme un nuisible. Elle pense si mal et si durement que son sourire s’agrandit de manière excessivement prononcée. Je ne pense pas que l’amour soit une question de mérite. Sinon vous seriez bénies toutes le deux des sentiments les plus purs ? L’amour c’est quelque chose qu’on prend ou qu’on donne. Et si tu ne sais pas le donner tu n’as qu’à le prendre. Elle s’est approché du cartilage des oreilles pour donner son secret. La sensation tiède et poisseuse sous les gants la rassure et Eden serre plus étroitement pour ne éveiller les soupçons d’Aurora.

Bien sûr. Je l’ai dit à Alfie, il y a longtemps. Aujourd’hui je le dis à Vadim. Avec le cœur, c’est questionnable, mais cette machine plastique est étonnamment docile depuis qu’Eden évite d’y jeter autre que son ambition de plaire. Il est beau Vadim n’est-ce-pas ? Tu l’as vu sur la scène quand il hurlait qu’il m’aimait ? Et ses mains quand elles ont touché mon visage, tu as senti que je tremblais ? Ca faisait vrai non ? C’était sûrement plus beau que la réalité parce que ça n’avait pas la maladresse de la sincérité. Ils avaient le droit de choisir comment ça commence et ils auront toute la liberté d’inventer la fin en partageant le court de tennis ou la relecture de leur script.

Elle ne veut pas que tu vois.
Elle veut que tu crois.
Elle est déçue que ta langue ne soit pas plus pendue. Il faut que tu rêves sa composition parfaite. Tu comprends. Elle veut être ce livre langoureux par-dessus lequel tu soupires. Eden ne tient pas rigueur à tes mots prudents. Il lui semble que s’irriter serait jouer l’enfant, avec toi, toi qui l’as traité comme une mère, ce serait vulgaire. Il y a tellement d’amour dans ton vocabulaire, Eden compte les images au lieu de les imaginer. Elle a peur de céder à la jalousie facile de son cœur stérile. Les mots qu’on tait par amour, les remords par amour, les soupirs par amour, le soleil par amour.

Sur les planches, Eden s’assoit à côté de toi, vos regards ne se croisent plus et c’est plus intime ainsi. Les confidences lui semblent toujours sucrées et amères. Eden soit se réjouir d’en être l’oreille sans pouvoir s’empêcher de les trouver embarrassantes. Du bout des doigts, elle caresse ton dos, songeuse.

Tu l’as déjà dit toute seule ? Chuchotée en remontant l’édredon au-dessus des lèvres ? Si c’est juste le mot qui te déchire, tu vas en inventer d’autres. Et puis, l’amour, tout le monde veut le vivre, le faire, l’entendre c’est le lot de consolation de ceux qui n’ont rien du reste. Tu devrais savoir Aurora que si ça se déclame en vers, en note, dans les méandres de l’art, c’est de la poudre aux yeux. Eden embrasse ta tempe de manière maternelle. C’est l’endroit qu’elle préfère. Parfois, elle touche les siennes pour sortir les idées lugubres qui la rongent. Tout ce qui brille n’est pas or. A ta place, je me méfierais. C’est peut-être juste une métaphore pour toi mais les garçons n’ont pas ta poésie. Ils se plient bien comme on veut et le jour où eux ils sont repus, il n’y a plus ni soleil, ni rien à admirer. Penser à Alfie à cet instant l’agace au point que son nez en trompette se retrousse. Dans cette histoire, elle a toute son immaturité à se reprocher, et se rappeler de la fille timorée de l’époque lui donne une nausée méchante.

Tu as des idées plus belles que le moyenne Aurora. C’est peut-être comme ça chez toi. Tout est toujours légèrement plus beau si c’est sur l’ourlet de tes lèvres. Eden, qui ne connaît pas la pudeur, les tâte avec son index. Même moi, je me demande si je suis inquiète parce que je dois l’être ou si c’est juste parce que tu es belle. Pas vrai ? Si une serpillère lui annoncer être amoureuse du soleil, Eden se féliciterait sûrement qu’elle est trouvée quelqu’un sur qui séchait.

pas de parapet sur scène, et si on tombe,
il restera les autres pour crier, nous implorer de respirer et sourire, pas vrai.
ses pieds balancent dans le vide, la font se sentir petite, assez petite pour vouloir tout entendre et tout comprendre. de tes mots très doux que le silence même articule. minuscule. tes baisers. tes je t’aime. asphyxier d’une pudeur sincère. Eden veut le croire en laissant ses épaules ployées lentement contre les tiennes. il faut croire un peu, un tout petit peu, pour annuler tout le reste. peut-être qu’en additionnant vos lâchetés vous seriez presque courageuses.

je ne m’inquiète pas trop non. j’espère vraiment que c’est un gentil garçon tu sais. parce qu’après tout, tu es bien trop têtue pour que tu changes d’avis quoique je dise. Pas vrai ?

tu parles de ces amitiés stellaires et la mélancolie s’infiltre sous les rognures de ses ongles. elle est brune. ses yeux se froncent sur les casse-tête mais s’ouvrent pour n’importe quelle preuve de décence humaine. elle est mature mais candide. elle connaît tout mais elle désespère de la seule chose qui lui échappe. et Eden aurait voulu exister dans tous ses mais. ne dit rien. ne montre pas. hoche la tête avec un sourire timide. ses cheveux blonds se secouent, des boucles chatouilleuses aux épaules, et elle inspire de cet air chargé de fards à plein poumon, jeunes et jolies.

tu ne penses pas aux langes salies. tu ne voies pas les plaques d’exémas affreuses. tu ne traînes pas dans la nurserie une tache de lait restée au col, les yeux enfoncés et noirs.  quand ils disent non avec l’aplomb de la curiosité. ou quand ils se mordent entre eux à se laisser des tâches violines aux mollets. il faut les aimer alors. les aimer même si. Eden regarde vos mains que tu tricotes comme si c’était ce bel avenir que tu étais en train de tisser. sa langue tapote l’arrière de ses incisives mi espiègle mi pensive.

tu ferais une bonne mère, je pense. ça serait une bonne formation pour toi. un peu plus ferme. un peu plus autoritaire.  je pense que sur la pointe des pieds et les deux poings sur les hanches, tu peux imposer… ou presque. elle rit. et avec ce travers qui est le sien, se lève et t’encourage à te lever en tirant sur tes aisselles. pour mieux te regarder, les coutures à ta robe époustouflante et celles à tes expressions. mais tu n’auras pas de peine à rester ici ? t’occuper des enfants des autres ? il paraît qu’on ne peut pas changer d’avis.

elle prend une de tes mains pour te faire tourner sur toi-même. et ton Soleil ? il ne te manquera pas ? moi, j’ai toujours préféré la pluie, alors je ne m’en soucie pas vraiment, mais toi… elle laisse sa phrase en suspens. maintenant, elle s’en veut, c’était trop, d’être allez aussi loin dans les tabous de l’Enclave, ce n’était pas mesquin et pourtant.

les yeux fermés et les épaules décollées vers le plafond, elle prend un bain des soleil imaginaire pour méditer tes gazouillis blonds. c’est simple et facile. il te suffit d’être amoureuse aujourd’hui, ((d’un paria)), à flotter dans les passions liquides à côté des gros pétales sucrés, encore quelques années. et après. après tu deviens mère, tu prends sa main gantée, et vous racontez l’amour sur un abécédaire à des visages ronds et gras, ensemble.

la naïveté te réussit. l’amour te réussit.
c’est écrit en tout petit dans les mimiques à tes lèvres et les mots que tu frottes à leur entrée. tu ressembles à un bourgeon de rose tardif en cette fin d’été. il n’y a pas de saison à l’Enclave. peu importe que tu fleurisses à l’automne ou en hiver. les moissons ici se fichent des calendriers.

les stigmates de la peur sur ton visage rende eden honteuse de ses questions. elle ignore pourquoi les grâces de tes amours ne lui apportent pas de sérénité mais des rides du lion. elle lâche un petit soupir blanc et se balance vers l’avant, muscles étirés, pour effacer son ombre de la tienne. elle ne devrait pas gommer ce bonheur qui ne lui appartient pas ; ce n’est pas son droit.

j’en sais rien. c’était pas sympa de poser la question. pardon. moi non plus je sais pas combien de temps ça va durer avec vadim. et s’il y a un petit compte à rebours dans chaque premier bisou. elle trouve romantique l’idée que comme dans les biscuits chinois on y trouve un petit papier à déplier pour être fixé. tu rayonnes d’espoir et c’est presque trop, trop, de te voir troquer une fatalité pour une autre avec enthousiasme. eden pince doucement ta joue entre le pouce et l’index dans un geste tendre. oui oui, je serai pas loin, il faudra bien se serrer les coudes dans la prochaine enclave si on rencontre des bébés à la peau bleue. elle colle un index pour sceller tes lippes gourmandes et fronce les sourcils. notre père te voit à chaque instant, il connaît tous tes mots, surveille ta langue, graine de rebelle. pour aplatir la menace sous-jacente, elle souffle fort et exaspérée, le plat de la main collée au front pour le drame. mon père… il a déjà une mauvaise influence sur toi.

depuis abyss, ces conversations pourtant coutumières sur ceux qui questionnent leur foi, le système et l’avenir promis troué de zones d’ombre lui sont insupportables. eden rêve fiévreusement de les dénoncer sans s’y résoudre. elle prend appuie avec les mains pour basculer son poids en avant, atterrir dans un son mat  dans la fosse à un bon mètre. tu m’as bien aidée aujourd’hui, alors je ne dirai rien. si tu étais sérieuse, pour devenir apprentie-mère je veux dire, je peux demander à Hadrian et Judith demain. peut-être que comme je le suis déjà, ils m’écouteront ? sa voix baisse à mesure qu’elle s’engage. s’ils disent non, elle n’aimera pas être celle qui rapporte la triste nouvelle.