amazed

the stereo sounds strange

la soirée n’a pas encore commencé, il reste moins d’une bonne heure avant le début des hostilités. love à précisé qu’il fallait qu’on soit là en avance pour les derniers réglages et les dernières répétitions. je lui ai dit de ne pas s’en faire, que j’y serai.  je suis sérieuse, sur la musique je déconne pas. mais pour l’instant, y’a le temps. il est même pas 18h30 et y’a encore personne à la source si ce n’est ceux des clubs qui doivent tout gérer. je suis bien contente d'échapper aux tâches collectives. faut dire qu’être la guitariste des rising racoons me prend tout mon temps.

c’est le moment parfait pour les affaires. avec argo et faïr on a prévu le coup. quoi de mieux qu’une soirée estivale pour doubler nos chiffres de ventes ? quoi de mieux qu’un rassemblement de blocards déchaînés pour écouler nos stocks ? je connais ma clientèle. je sais précisément qui aime quoi et qui veut quoi, surtout parmi les une étoile et les sans-étoiles. c’est clair que c’est pas chez les petits bourges de premium qu’on va vendre. et encore ! les parents seraient surpris.  

“yo.”

j’suis calée contre le mur froid du bâtiment. j’vois les gens sortir du bâtiment d’études. ils quittent leur club pour se rendre soit dans leur chambre - pour les derniers préparatifs - soit directement à la source pour le début de la soirée.

“ça fait une paye.”

hein, nine ? ça fait un bail qu’on a pas traîné ensemble. j’te regarde avec un sourire faible.  presque nostalgique. le temps où on était inséparable me semble bien lointain. mon regard pivote sur les murs grisâtres, ces mêmes murs qu’on a tagué un nombre incalculable de fois avant de se faire choper. tu t’en souviens, nine ? moi oui.

“qu'est-ce que tu veux pour ce soir, chef ?” le passé est révolu mais le surnom est resté. “évidemment fait gaffe, te fais pas choper. et si jamais ça arrive, tu ne m’as jamais croisé, n'est-ce pas ?” je ris, mais j’suis à moitié sérieuse. “quoi de prévu ce soir ?”

parce que je te connais nine. je sais que tu vas pas rester sagement devant la scène à te mélanger avec les autres blocards. je sais que t’as des plans. notre simple présence dans l’ombre de ces murs le démontre.

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nine demande de la damania. ça détend, ce genre de plante, mais pas que. c’est un bon stimulant si bien utilisé. tant pour l’esprit que pour le corps. je ne sais pas ce que nine compte en faire et à vrai dire… je m’en fiche. je ne suis que fournisseuse, pas fouineuse. j’hoche la tête avant de fouiller dans mes poches pour sentir sous mes doigts le petit pochon plastique qui contient ce qu’il veut.

“tiens, ça t’ira ?” je glisse dans la main de nine la dose demandée. “il y en a de quoi faire plaisir à deux personnes, ce soir. j’imagine que tu ne seras pas seul à consommer.”

je le connais, nine. ce n’est pas comme si on avait passé notre adolescence ensemble. je ris à sa remarque, je ne le prends pas comme une moquerie. je n’en ai pas l’énergie et je préfère prendre les choses avec légèreté aujourd’hui.

“peut-être bien…” je taquine. “nan, juste comme ça. et oui, t’inquiète, évidemment que je ne dirai rien, tu me connais.”

j’suis pas du genre à balancer. si c’était le cas, je ne serais pas coincée au rang de sans étoile comme ça. non. plutôt croupir au sous-sol que de trahir les miens. j’trouve ça débile ce système qui pousse à défoncer les autres pour se valoriser. j’suis pas comme ça, moi.

“sérieux…? nine ?”

je m’étrangle à moitié devant la révélation. je cligne des yeux, une fois, deux fois. je ne sais pas si je dois rire ou si je dois m’inquiéter pour lui et kiki. la castor d’avant aurait sûrement explosé de rire, les applaudissant et ne demandant qu’à se joindre à eux. mais la castor d’avant n’est plus. j’ai changé. ça ne m’intéresse plus trop, tous ces trucs.

“si vous y arrivez, prenez des photos par pitié. j’ai besoin de voir ça. vous comptez vous y prendre comment ?”

je ris finalement. j’ai changé, certes, mais le terreau dans lequel j’ai poussé est toujours le même. je ne participerai pas à l’escapade dans le quartier des parents mais je ne peux cacher ma curiosité et mon enthousiasme. ce n’est plus ma guerre, mais je soutiens nine et kiki.

“merci. et vous, ne vous faites pas prendre, ok ?” ça serait dommage. “t’as ce que je t’ai demandé ? en monnaie d’échange.”

les tickets promotions étant personnels et sur le nexus de chacun, ils sont difficilement échangeables. alors pour mes affaires, le troc s’est imposé naturellement comme monnaie. j’ai demandé à nine un bouquin, un livre de poche, d’une valeur d’un ticket promo environ, ce qui vaut largement le prix des grammes de damania que je lui ai refilé.

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j'hausse les épaules. bien sûr que ça m'intéresse. je sais que je parais nonchalante, déconnectée, mais le terreau sur lequel j'ai poussé, lui, reste inchangé. nine à éveillé ma curiosité: ce n'est pas tous les jours que des blocards s'infiltrent dans le quartier des parents, encore moins dans la chambre de joji. alors oui, même de loin, ça m'intéresse.

"eh ben ! bon courage !" je ris. tout le monde sait très bien comment ça va finir. mais nine le sait: ils n'ont rien à perdre alors autant rire du danger. "compte sur moi pour jouer à fond et faire diversion. et marrez vous bien avec kiki."

au moins ça. je n'élabore pas plus car il n'y a rien à ajouter. c'est bien nine qui décide, de toute façon. il me tends le livre. je l'attrape, mais il le reprend. je fronce légèrement les sourcils mais je ne dis rien: j'ai l'habitude.

"c'est… les fleurs du mal." de baudelaire. je suis tout à coup un peu gênée. je trouve la question intrusive. comme si mes lectures était quelque chose d'intime. je ressens le besoin de me justifier: "j'ai jamais trop lu de poésie alors j'voulais essayer… bref."

n'en parlons plus. j'attrape le livre comme pour clore la discussion.

"ah ouais ?" mon sourire narquois revient. "bah, écoute, j'm'en cogne. les gens peuvent bien penser ce qu'ils veulent."

les autres ou lui.
car sous ses mots, j'entends les reproches sous-jacents. je sais encore lire entre les mots de nine. cependant, aujourd'hui, je décide de ne pas les comprendre.

"disciplinée ou pas, c'est pareil: je lirai ce bouquin."

disciplinée ou pas,
je reste toujours castor.

"j'te le prêterai, quand j'aurai fini, s'tu veux." pa ssûre que ça l'intéresse, mais je comble la gêne par la parole. rétorquer me permet de regagner ma contenance. "enfin, si t'es toujours vivant demain.."

après tout,
joji mord.

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je souris. je sais que c’est vieux et que c’est un classique. pour autant, j’m’y étais jamais vraiment intéressé. j’avais tenté de lire du théâtre pour attirer l’attention de paris mais ça s’était soldé sur un cuisant échec  - tant pour l’attention que pour la lecture en elle-même. je sais pas trop ce que je pense accomplir avec ce recueil mais j’me dis qu’au moins la poésie, ça pourrait alimenter notre inspi’ pour nos chansons.

“pour feur.” j’lui tire la langue. “nan, tu m’connais nine. j’aime juste pas parler de moi, c’est tout.”

de c’que j’ai dedans, de c’que j’ai en vrai. je ricane encore, mais le ton est moins sarcastique, plus nostalgique. je toise nine et je me rends compte que j’ai aucune idée de ce qu’il aime lire - ni même s’il lit. on a traîné ensemble quasiment toute notre adolescence, pourtant. au final, on parlait quasiment jamais de truc un peu profond. on était sûrement trop occupés à faire les quatre cent coups.

au final, nine est chaud à ce que j’lui file quand j’aurai fini. comme quoi, même le grand nine est intéressé par la poésie. je réplique: “tu sais lire, toi ?” d’un air narquois. “si c’est pour te donner un air aussi, ça marchera encore moins bien qu’moi.” je me marre. si moi j’ai pas l’air d’aimer ça, nine, avec son air moqueur, et ses yeux toujours rieurs, encore moins ! “mais ok, j’te le filerai.” j’abdique enfin.

“pfahaha ! j’y penserai ! j’irai creuser une tombe devant les quartiers des parents à ton effigie, si jamais tu ne reviens pas de cette terrible épopée.” un clin d'œil. ”bon allez, file.”

le deal est passé, on a plus aucune raison de rester là à discuter, hein ? et puis, faudrait pas qu’on se fasse choper non plus, à trop traîner dans l’ombre et à raser les murs… alors j’dis au revoir à nine, mais mon coeur se sert un peu. y’a un silence gênant mais je fini par me faire une raison.
c’est pas comme si on avait des trucs à dire, de toute façon, hein ?
mais c’est bizarre. c’est bizarre parce quand je le vois pivoter pour disparaître, j’ai le cœur qui se sert. quand il part j’ai l’impression qu’il s’en va avec une partie de mon enfance, j’ai la nostalgie qui me prend au cœur et ça me met super mal à l’aise. j’aime pas ça. je me demande soudainement si je suis nostalgique. pire.
est-ce que nine me manque ?

je secoue la tête pour chasser ses pensées. ça me ressemble pas d’avoir le vague à l’âme - en fait, ça me ressemble pas de me prendre autant la tête. moi, j’suis pas une fille compliquée:  j’aime pas réfléchir, j’aime pas tergiverser. j’aime juste quand…
quand c’est simple.

“eh, nine.” je l’interpelle tandis qu’il s’éloigne. “prends soin d’toi.”

pour leur soirée avec kiki, pour joji,
et puis pour sa vie, aussi.

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nine est parti et moi je soupire. délaissée contre le mur, je me sens stupide. je sais pas ce qui m'a prit à m'accrocher comme ça. c'était ni le moment, ni l'endroit. je suis là pour les affaires, pas pour regretter une relation qui appartient au passé.

l'air renfrogné, je fixe le sol quelques instants le temps de reprendre mes esprits. j'ai envie de shooter dans les graviers sous mes pieds je me retiens - je vaux mieux que ça.

yo.

une voix grave retentit dans mon dos et je sursaute avant de faire volte-face pour dévisager la personne qui me surplombe. mon visage s'empourpre d'un coup, intimidée par celle en face de moi.
c'est lise.
la grande et belle lise, tatoueuse de l'enclave et chanteuse à ses heures perdues.

lise et moi, on a rien en commun. dix ans d'écart, pas le même monde ni le même rang - bien que depuis la perte de sa seconde étoile on n'y soit plus très loin. lise elle dégage quelque chose, une aura charismatique du haut de sa silhouette longiligne. je me sens ridicule à côté d'elle, comme une toute petite souris qui se retrouverait entre les griffes d'un chat.

"ah ! euh, oui, salut."

je fini par reprendre mes esprits et me ressaisir, le rouge ne quitte pas mes joues mais je lutte pour garder mon calme et rester professionnelle.
Le fait que lise s'intéresse à nos affaires est une aubaine que je ne dois surtout pas gâcher. allez, courage castor, haut les cœurs !

"moi, j'ai surtout de l'herbe. si tu cherches de l'alcool, c'est quelqu'un d'autre qu'il faut aller voir. tu me diras." j'en dis pas plus pour le moment, juste au cas où. "il me reste pas mal en stock. pour tout ce qui est relaxant je peux te proposer: camomille, passiflore ou damiana." j'ai écoulé tout le stock de verveine. "si au contraire tu cherches des plantes euphorisantes j'ai de la sauge et des queues de lion, sachant que la damiana fonctionne aussi."

je baisse le ton instinctivement, en réflexe fasse à ce genre d'échange pas très légal.

"si t'as besoin d'informations sur les effets, hésite pas."

je ne mentionne pas le tout dernier sachet que j'ai, le plus précieux de tous: celui de cannabis. comme argo vient à peine de réussir à en créer grâce à sa capacité, c'est une denrée rare que j'écoule précieusement. alors pour l'instant je le garde bien caché dans les plis de mes vêtements.

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je fais ce que j'peux pour garder une contenance et une apparence professionnelle malgré la présence intimidante de lise. je me demande si elle voudra bien me faire un tatouage, quand j'aurai vingt ans.

"les queues de lion sont puissantes, il ne faut pas s'y méprendre. elles ont en plus un effet aphrodisiaque qui renforce, de fait, l'extase."

je rougis en parlant des effets de cette plantes là. c'est toujours un peu bizarre de proposer des herbes avec de tels effets au blocard.

"après..." j'hésite. j'essaye de me remémorer ce que argo m'avait dit par rapport au cannabis. si elle avait des instructions précises sur ce que je devais vendre et à qui. face à lise, impossible de m'en souvenir. tant pis. "j'ai peut-être autre chose. un truc spécial. un truc qu'on a que pour les grandes occasions, tu vois ?"

mon sourire perle au bord de mes lèvres. je me fais mystérieuse et espiègle.

"c'est plus cher par contre. ça te tente ? et hmm... je dirai que ça fait environ deux ans. au début c'était pas grand chose, mais ça a prit de l'ampleur."

bien loin est le temps où j'échangeais des sachets de tisanes au blocard contre deux ou trois cafés. peut-être que c'est ça, grandir. on troque les épices et herbes aromatisées contre du chanvre et des graines qui font planer.

"ah ouais ? c'est vrai ?" mon œil brille. j'ai jamais pu venir aux soirées de lise. pas assez grande et pas assez cool pour ça. "ok ! cool ! j'en parlerai à mes collègues." je cite pas de nom car personne ne doit savoir qui est la tête pensante de notre petite entreprise. "d'ailleurs, lise..."

je troque mon visage de vendeuse pour la sincérité du castor. je redeviens moi-même le temps d'un instant. je baisse un peu le regard, intimidée. j'ai une question à lui poser mais j'ose pas trop.

"tu viendras me v... voir le concert ?"

je me suis repris au dernier moment parce que j'ai pas assez d'égo pour croire que sur la scène, quand la musique, c'est moi qu'on voit.

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lise veut mon truc spécial et je ne peux m'empêcher de sourire. c'est pas mal pour commencer à écouler les stocks, surtout si elle organise vraiment des soirées avec les blocards. j'aime bien quand elle m'appelle gamine aussi.

"ok. on fait ça alors !"

ma main plonge dans les larges poches de mon jean. je fouille à la recherche des sachets demandés. je lui en file un bon paquet queues de lion, largement assez pour une personne. ça lui fera un stock comme ça. je suis plus radin sur le cannabis puisqu'on en a pas une grande quantité limité. je lui file le pochon d'une gramme comme argo l'a ordonné.

"tiens. avec ça, tu peux te faire facile trois joints, quatre si tu coupes bien avec du tabac. fais-en bon usage !"

je ricane doucement. j'aime bien dealer. on découvre des facettes à des personnalités qu'on ne soupçonne pas.

"et ouais, tant que tu restes discrète…"

j'ai pas hyper envie de me faire chopper. moi, en soit, je ne crains pas grand chose. mais j'ai pas envie que argo ne prenne à cause de moi alors je me dois d'être incognito.

"cool alors ! et bien on s'verra au concert."

ça me fait plaisir de voir comment ma musique touche autant de gens différents. comme la drogue, finalement. l'idée me fait rire.

"bon... ça fera l'équivalent de douze tickets-promo."

quatre pour les queues de lions et huit pour le chanvre. en vrai, j'aurai pu demander dix pour l'herbe mais comme c'est la première fois, autant faire une ristourne. ça permet de fidélisé la clientèle, tout ça tout ça.

"sur ce… j'dois filer."

tay m'attends et à trop rester à frôler les murs, c'est un coup à se faire chopper.