amazed

Leurs chambres sont dans le même couloir depuis quelques temps, mais c'est la première fois que Sam ose aller chez elle. Il sait que Lise doit être disponible, si elle n'est pas en train de tatouer, c'est en tous cas une heure décente pour la déranger. Sam frappe avant d'entrer. Il apparaît dans l'embrasure de la porte avec un salut de la main presque assuré :

Heeey, Lise, ça va ?

Sam est toujours un peu nerveux quand il croise son aînée. Dans les films qui passent au cinéma, les ados ont souvent des posters de leurs stars préférées collés aux murs de leurs chambres, avec des photos instantanées, des cartes postales et des guirlandes illuminées, n'est-ce pas ?

Si Sam avait été le héros de ce genre de films, il aurait eu sur son mur un poster de Lise, dès ses 5 ans et probablement jusqu'à un âge trop avancé pour l'avouer. Lise a le charisme des rock stars dans les films, le genre d'aura que Sam ne pourrait que rêver égaler. Quand il la voit, il ne sait pas s'il veut être son ami ou lui ressembler (ou être carrément elle). Alors qu'on lui pardonne si en entrant dans cette chambre, il se sent un peu comme un enfant.

Heureusement, sa nervosité ne doit pas transparaître dans son expression toujours aussi blasée. La seule chose qui pourrait le trahir est son approche moins envahissante  qu'à son habitude.

Tu travailles ? J'te dérange pas ?

Sam est un adepte des questions, il passe son temps à enquiquiner les gens de sa présence suffocante, mais dès lorsqu'il s'agit de demander quelque chose, quelque chose d'important, bizarrement, il ne sait plus où se mettre.

C'est bizarre, même pour Sam, de se retrouver dans le rôle du cadet intimidé empli de questions et de curiosité. Pourtant ça ne le gêne pas de parler, habituellement. Même trop parler. Tout le temps. Si ses clones avaient une conscience, et s'ils le voyaient à présent, ils le jugeraient intensément. Comme il est un peu tendu, il essaye de plaisanter :

Ça va. J'ai pas pris rendez-vous, désolé !

(les clones imaginaires le jugent encore plus)

J'vais pas t'embêter longtemps. J'avais une question à te poser.

Il s'installe sur le siège qu'elle lui présente, toujours nerveux mais reconnaissant qu'elle l'invite à s'asseoir et pas à prendre la porte. Sam tapote nerveusement sur l'assise, jette un coup d'oeil autour de lui. C'est moins rangé que dans sa chambre, mais elle a plus d'affaires que lui. Surtout niveau vêtements. En même temps, Sam pourrait porter tous les jours la même chose. Lise a plus de style. (Elle a même un style incroyable mais il n'ose pas le dire.) C'est sans compter le matériel nécessaire à son travail, évidemment ! Sam pose un regard clairement intrigué dessus, mais il n'ose pas aborder la question tout de suite.

S'il ne lui parle pas maintenant de la raison qui l'a poussé à venir ici, il va imploser.

J'voulais savoir si tu voulais... Enfin, je sais qu'on est pas potes ou quoi, mais ça fait longtemps qu'on se connaît et je sais que tu es douée en musique, en plus de savoir super bien dessiner ! Il s'emballe un peu, son rythme s'accélère, alors il se force à ralentir pour ne pas faire de faute de prononciation. Pas le moment de se ridiculiser. Le club de musique. C'est pour ça que je suis là. Je suis pas horriblement nul, mais avec tous mes clones, j'arrive pas à gérer. Pardon. C'est pas du tout clair. En fait j'essaye de monter un groupe avec mes clones. Tu sais ? Genre, 4 ou 5 doubles. Six avec moi, peut-être ? Bref. C'est pas facile. Il faut que j'apprenne à tout gérer. Je voulais savoir si tu voulais bien me rejoindre.

C'est pas forcément plus clair, mais au moins là, on arrive au coeur du problème. Sam est sur le point de reprendre la parole, mais il se coupe en plein élan, pour se laisser le temps de respirer, et à Lise d'en placer une. Il meurt d'envie d'ajouter qu'elle est TROP COOL et qu'il rêve de l'avoir dans son groupe même si lui, il est VRAIMENT beaucoup MOINS COOL. Ce n'est pas très vendeur. Qui voudrait entrer dans le groupe d'un type naze ? Voilà. Personne. Même les clones ne voudraient pas, s'ils avaient le choix.

Sam voit son hésitation, mais il remarque aussi son honnêteté, dans ses paroles comme dans sa réaction. Il pensait s'être préparé à tout entendre, mais non. Ce n'est pas un oui, pourtant il n'est pas mécontent de sa réaction. Il apprécie qu'elle dise franchement ce qu'elle pense.

Non qu'il ait imaginé l'inverse venant de Lise.

Je sais que je débarque et que ça sort un peu de nulle part, désolé.

Non seulement ils ne sont pas amis, à peine des connaissances, mais en plus son projet n'a rien d'officiel. Pour être exact, personne n'en a jamais entendu parler. À part ses clones et lui. Mais ses clones ne comptent pas. Ils n'ont pas vraiment le choix. Peut-être que Sam a oublié ce que ça faisait, de proposer quelque chose à quelqu'un... et de s'attendre à un non.

T'es la première à qui je demande. En fait, j'en ai parlé à personne. Tu crois que j'aurais dû faire de la promo pour mon groupe ? Un petit rire nerveux lui échappe. C'est pas grave si jamais tu veux pas. Je suis content de t'avoir demandé. Je t'ai déjà entendue chanter.

Il marque une pause, pour ne pas s'essouffler. Sam est moitié embarrassé, moitié emballé, comme toujours quand il parle d'une chose qui lui tient à coeur.

Et ça tombe bien que tu saches chanter, parce que moi je chante comme un pied. J'ai besoin...

De conseils. D'un modèle. De quelqu'un derrière qui me ranger ? Me cacher ? Il ne parvient pas à aller au bout de sa pensée.

Enfin, j'm'en fiche si tu me voles la vedette. Je le fais pas pour la gloire. T'as plus de charisme que moi de toute façon !

Il sourit à cette dernière phrase, trop honnête pour son propre bien. Après tout, ce n'est qu'une activité de club, pas vrai ? On ne devrait pas prendre ces choses autant au sérieux. Sam n'a pas envie de le prendre aussi sérieusement. Et pourtant... Pourtant, il y a un gamin au fond de lui dont les yeux brillent en imaginant qu'un jour, peut-être, Lise pourrait dire oui. Et on se tiendrait derrière elle sur scène, éclairé par le halo de sa gloire, partageant toute la lumière qu'elle invoquerait par sa seule présence, car celle-ci brille plus fort que la nôtre, plus fort que le soleil lui-même.

Lise n'a pas à craindre de se démarquer entre Sam et ses clones, car ils ne sont rien de plus que des satellites à la recherche d'une étoile.

L'espoir, c'est un truc de gamin. Il n'y a qe les gamins comme Sam pour passer aussi rapidement d'une émotion à l'autre. Quelques secondes plus tôt, il était gêné et persuadé que Lise opposerait un refus poli à sa proposition. À présent, elle lui ouvre légèrement la porte. Et l'espoir gonfle dans le coeur de Sam. C'est idiot, il le sait, et il se sent un peu bête de s'emballer si vite pour une si petite idée. Mais l'espoir, n'est-ce pas la première chose qu'on leur apprend ici ?

Sois sage et tu iras au Paradis.

C'est vrai ?

Son regard s'est illuminé comme un sapin de Noël, mais c'est pas grave. Sam se fiche d'avoir l'air d'un gamin. Il vit pour l'espoir et pour les gamineries. De très sérieuses gamineries.

Je suis super sérieux, ça fait des années que j'ai ce projet en tête mais j'arrivais pas à me lancer. Si tu acceptes, je serai à fond ! T'imagine comme ce serait cool d'y arriver avant que tu partes ? Mais c'est vrai que ça serait bien d'avoir d'autres gens. Plus on est, plus on a de chance d'y arriver, non ? Tout le monde a des compétences différentes ici.

C'est la deuxième leçon qu'apprend l'Enclave à ses enfants. Chacun son travail. On n'arrive à rien seul. Mais il faut quand même marcher sur les autres pour s'élever plus haut, plus vite qu'eux.

Pour être vraiment sûr d'aller au Paradis.

Sauf que Sam se fiche du Paradis.

Il veut profiter au mieux du temps qui lui est imparti ici.

Je pensais demander à Ezio. Je le connais pas très bien mais je sais qu'il est bon aussi. Tu as des gens en tête, toi ?

Il marque une pause, perdu dans ses souvenirs, ses observations. C'est à Lise qu'il a demandé en premier. Pas parce qu'Ezio l'impressionne davantage, mais parce que Lise l'a touché. Il y a quelque chose dans ses chansons ou sa voix, il ne sait pas exactement quoi, mais quelque chose l'a touché.

Oh, mais j'voudrais pas qu'Ezio soit le leader. Si tu es partante, je préférerais que ce soit toi. J'aime beaucoup tes chansons. Il réalise ce qu'il dit au moment où les mots quittent sa bouche et pâlit légèrement. Ça fait peut-être un peu trop d'informations Sam, non ? Désolé, je sais pas m'arrêter. Faut me dire de la fermer, hein ? J'arrête pas de causer... On fera comme tu veux, pour les essais. Ce qui te met le plus à l'aise ! C'est pas à moi de décider.

Il ne va vraiment pas s'arrêter.