amazed

La saison estivale touche à sa fin tandis que le mois de septembre a avalé les blocards comme pour les ramener à la réalité. Août s’est achevé, emportant avec lui les rêves de la soirée et les brises chaudes de l’été. C’est l’ordre des choses: le temps est maître de tout. Pourtant, L'Enclave se soustrait de cette immuable vérité. Ici, par le génie de Wicked, le climat est maîtrisé et le cycle des récoltes régulé. Sohan trouve cela aussi brillant que décevant. Il aime observer les changements des paysages, de la couleur auburn des feuilles aux nouvelles forment de fleurs. La flore de l’Enclave recèle de détails qu’il aime admirer, qu'ils soient artificiels ou réels. Sohan y voit un rappel que même si l’homme a la capacité de tout contrôler, la vie n’a jamais eu besoin de lui pour prospérer.

“Merci de m’accompagner.”

Sohan est venu cueillir Leon après l’heure du déjeuner. Il lui a demandé de venir avec lui plutôt que de partir au club. En bon responsable, il est rare que Sohan s’absente. Mais son titre de grand-frère est plus fort que celui de gérant et les responsabilités induites dominent. Ce n’est pas grave s’ils sont absents ou en retard. Les blocards savent se gérer et les débats n’ont pas besoin de la présence de Sohan pour animer les discussions du club. Ni lui ni Leon ne sont nécessaires, le monde tourne très bien tout seul.

“Les mères m’ont prévenu ce matin. Une partie des récoltes semée en mai n’a pas poussé correctement. Elles sont inquiètes. La régulation ne suffit pas et si l'on veut avoir de belles courges, il faut qu’elles poussent.”

Sohan s’accroupi, sa main vient caresser les feuilles timides des petites pousses à l’allure déprimée comme pour les encourager.

“Je me suis dis que tu pourrais nous aider !”

Il relève la tête en direction de Leon et lui offre un sourire doux. Il jauge la réaction de son cadet. Sohan est à moitié honnête dans sa démarche. Il aurait très bien pu se passer de sa fertilité, se contenter de redoubler d’effort, de changer le terreau et de les arroser de ce qu’il faut pour s’en sortir seul. Il aurait également pu simplement les abandonner avec froideur et pragmatisme en prétextant la sélection naturelle. Mais Sohan, en réfléchissant, a trouvé une solution plus intéressante qui viendrait également plâtrer une autre plaie béante.

Leon.

Leon est un spécimen étrange et Sohan ne sait pas bien dans quelle catégorie de blocards il doit le placer. Sur le fil, c’est sans doute le mot. Trop ou pas assez, lumineux ou nuageuse, dans cette joie triste de ne pas savoir comment exister. Sohan a du mal à appréhender Leon mais ellui-même ne sait pas le faire. Qui pourrait, alors ? Peut-être le Père. Sohan n’est pas le Père alors il doit observer pour comprendre. La curiosité le pousse à s’approcher de l'énigme que représente ce petit être aux cheveux de jais.

Il a eu des échos sur le pouvoir de Leon, sur la distance qu’iel prend vis-à-vis de celui-ci. Sohan n’en connaît pas la source, il ne peut qu’émettre des hypothèses, mais il n’aime pas cette fuite en avant cachée sous un sourire. Il veut montrer, aujourd’hui, que le pouvoir de Leon peut-être utile à la société, comme un cadeau que l’on offre pour rassurer les enfants qui pleurent. Iel est son adelphe. Sohan veut prendre soin des siens.

“Leon, dis-moi. Du soleil, de l’étoile ou de la lune, qui serais-tu ?”

Le sujet est vite changé. C’est encore un artifice discret de la part du grand-frère pour offrir à Léon des espaces pour fuir. Il aurait pu simplement lui demander comme iel va Sohan n’éprouve pas d’intérêt pour les conversations dont il connaît les lignes en avance, comme une pièce de théâtre bien apprise. Non, Sohan se veut poète alors il tourne et virevolte pour offrir a Leon de nouvelles saveurs. Il faut apprivoiser la fleur pour qu’elle offre tout son parfum.

L'œil attentif du grand frère à glissé sur Leon et son essence. Dans leurs pas silencieux, parce que Sohan n'aime pas parler quand il n'a rien à dire, il a remarqué la nervosité et le poids des non-dits se répondre en poison dans le cœur de saon cadet.te. Alors, il esquisse un sourire en lea voyant se détendre.

"Bien sûr que non."

Leon ? Faire quelque chose de mal ? Voyons ! Quelle idée.

"Parfait. Si on a une invasion et  bien, j'organiserai un atelier avec les petits. On découpera les citrouilles pour les sculpter et décorer la nurserie et on leur fera une ribambelle de cake à la citrouille !" Sohan rit. "Et si ça ne fonctionne pas, et bien tant pis. On attendra la prochaine récolte et on s'en remettra à la Terre." Le ton est devenu plus cérémonieux. "Fort bien ! Faisons comme ça."

Il frappe dans ses mains comme applaudir son idée ou pour marquer le point final à l'argumentaire. Comme le carré noir que l'on met en bas de paragraphe d'une démonstration mathématiques et qui signifie cqdf. Sohan a exploré toutes les possibilités pour prouver par a+b que quoiqu'il se passe, rien ne sera un problème. Leon n'échouera pas puisque l'échec n'a pas de raison d'exister dans cette interaction. Sohan n'a aucune attente et ce n'est pas sur ellui que reposent la moindre responsabilité. Au contraire. Si celle-ci doit se poser sur une paire d'épaules, ce sera sur celle du grand frère. C'est son rôle de veiller sur les Créa et d'exploiter leurs qualités sans jamais en abuser. Si Sohan ordonnait à Leon de s'envoler d'une fleur à l'autre à la façon d'un papillon, à Phil d'écrire une tragédie, à Ziggy de se changer en oiseau de mer; et si ses frères et sœurs n'exécutaient pas l'ordre reçu, qui serait dans son tort ?

Lui, bien sûr.
Un monarque se doit de connaître respecter ses sujets. Il veille à l'équilibre de ce qu'il peut demander et de ce qu'eux peuvent offrir. L'autorité repose d'abord sur la raison.

Les courges n'intéressent plus Sohan. Il fut revenir au soleil, à la lune et aux étoiles.

Son regard brille instantanément à la réponse de Leon. Le visage de l'aîné se targue d'un sourire rayonnant. Il est content. Il est content car c'est exactement la réponse qu'il attendait. C'est injuste de sa part, bien sûr. La question n'était pas un piège et Leon a tout à fait le droit de choisir le Soleil ou la Lune. Mais s'iel avait fait ce choix, Sohan lui aurait retorqué qu'iel avait tort et qu'iel était bel et bien une nova.

"Hahaha ! Pourquoi pas ? Tu préfères que je te demande si tu as passé une bonne matinée ? Si les cours se sont bien passés et si tu as passé un bel été ? Je peux, si tu veux. Mais je crois qu'il est plus intéressant d'apprendre à connaître quelqu'un en lui demandant quelle est sa couleur préférée, les accords de musique qui le font pleurer ou s'il collectionne les papillons."

Il se redresse d'un bon pour venir s'étirer de tout son long. Son torse ouvert vers le monde, Sohan prend une grande inspiration. La vie semble se propager dans ses poumons.

"Quelle est ta couleur préférée, Leon ?"

Il pivote vers ellui, tout sourire, pour l'irradier de sa chaleur. Leon lui retourne la question. Sohan ne s'arrête pas de sourire.

"Moi ?" Il réfléchit. Son regard brille. Sohan a une idée. "D'abord, toi, tu en penses quoi ? Suis-je le soleil, la lune, ou l'étoile ?" Il n'y a pas de mauvaise réponse. Il est juste curieux de savoir ce que Leon pense. Il ne veut pas l'influencer. Il répondra après. "Ce n'est pas un piège."

Ajoute-t-il, pour lea rassurer. Ici encore il n'a aucune attente, il exige de Leon la sincérité seulement. Il avait posé la question a Paris, sans lui offrir la possibilité stellaire. Elle avait choisit la Lune pour laisser à Sohan le soin d'être le Soleil. Il se demande alors si la réponse de Leon sera différente.

L'enfant est rassuré et Sohan achève l'échange par un sourire plein de douceur. Il a rempli son rôle de grand frère. Ses adelphes sont tous différents c'est de la responsabilité de Sohan de s'adapter à eux. Ce n'est jamais l'inverse et c'est en cela qu'on reconnaît un bon monarque. Bien sûr, il y a des attentes à respecter et des objectifs à atteindre, mais comme un bon professeur, Sohan sait qu'il ne peut pas demander à chacun la même chose ni d'emprunter le même chemin. Alors il bâtira les sentiers pour que quiconque le suive vers le destin qu'il leur a tous tracé.

"Super ! Merci Leon. Tu es génial-e."

Il le pense sincèrement. Le pouvoir de Leon est une bénédiction, un don de la nature, une ode à la vie. Bien sûr, la prolifération terrifie et après la vie vient la mort. Sohan lui, n'a pas peur de la mort puisqu'il ira au Paradis.

"Hahaha ! Toutes les couleurs sont belles. Je comprends l'hésitation."

Il ne revient pas sur les questions classiques de la politesse induite. Si Leon trouve cela intéressant, grand bien lui face. Sohan ne lui posera pas car il connaît déjà la réponse. Il y a des gens comme ça, qui ne savent dire que "oh, tout va bien !" Sohan lui, veut des récits et de la poésie.

"Moi, j'aime le jaune et le violet. Mais j'aime le bleu aussi."

Celui des yeux de Saorsa.

Il fixe Leon. Il n'avait jamais fait le lien mais maintenant qu'il l'observe avec profondeur et intérêt, il est frappé par leur similarité. Leon est l'incarnation même de la vie et Saorsa était l'être humain le plus vivant que Sohan n'a jamais connu. Il était aérien, indéfinissable car profondément libre.
Abscons.

Saorsa n'est plus là mais Leon, lui est bien là, au bout de ses doigts. Il suffirai qu'il tende la main pour l'attraper et pourtant, iel lui semble si lointain. Insaisissable et flottant-e. Comme Saorsa.
Mais pas comme Saorsa.
C'est moins intense, moins brûlant, moins violent. Saorsa semblait vouloir soustraire du monde tandis que Leon semble vouloir s'y raccrocher.
Mais peut-être que Saorsa ne voulait pas partir au Paradis et que Leon si ?

"Je vois."

La lune. C'est amusant de voir combien la réponse à la question change selon les gens. Pour Paris, il est soleil et pour Leon, il est lune. Sohan rit devant la question candide de Leon.

"Il n'y a pas de bonne réponse. Tout comme celle-ci n'est pas immuable. Cela peut très bien changer. Nous sommes humains et en cela, chacun de nous est unique et pluriel. Aujourd'hui je te semble lune peut-être que demain, je serai soleil."

Leon a le droit de percevoir Sohan comme iel l'entends. Les rapports humains ne se contrôlent pas. Pas comme ça. Sohan ajoute doucement.

"Tu sais, on ne peut pas contrôler le regard des autres. Chacun est libre de nous voir comme il l'entends et nous ne pouvons jamais rien y faire si ce n'est être nous-même, et vivre. Ce qui compte, en réalité, c'est de se connaître soi-même et d'être en accord avec qui on est. J'appelle cela la congruence."

Dans le mysticisme qu'il emprunte bel et bien à la lune, Sohan distille dans ses mots quelques graines qui, il l'espère, prendrons souche en Leon. Il ne cerne pas encore tout à fait son adelphe et est incapable de savoir si, comme Saorsa, iel est fait-e de l'étoffe dont sont tissé les vents; mais il ressent en ellui quelque chose de profond et de manquant. Comme un appel à l'air.

Sohan est Sohan.
Ainsi, il est curieux.

"Une amie m'a dit que j'étais le soleil." Il rit. "Moi, cependant, je pense que je suis une étoile aussi."

C'était écrit dans son nom.

Au fond, Sohan est content. Content de savoir qu'il peut incarner tous les astres. Du soleil à la lune, en passant par les étoiles. Il y voit cela comme une réussite dans sa pluralité. Sohan peut être tout, partout, tout à la fois.

"Hahaha ! Alors très bien, je serai la lune pour toi."

Pour Leon, Sohan sera la lune. Pour Paris, Sohan sera le soleil. Pour lui-même, il sera l'étoile. Il ne réponds pas aux interrogations de Leon et se contente d'hausser les épaules et de sourire. Il juge que ce n'est pas nécessaire de se justifier, qu'il y a des choses qui n'ont pas besoin d'être mentionnées, des choses qu'il vaut laisser dans le secret.

"Pourquoi pas… Je te le dirai plus tard, peut-être !"

Ou peut-être pas. Car Sohan n'a pas envie d'en parler tout de suite. Il n'a pas envie de révéler à Leon que s'il est une étoile, c'est parce que comme celles qui brillent dans le firmarment et qui illuminent leur nuit, leur éclat ne leur arrivent que parce qu'elles n'existent déjà plus.
Si Sohan brille autant, c'est parce qu'il est mort il y a douze ans, avalé par le trou noir de Soarsa.

"Avec plaisir, Leon." Le ton redevient doux. Le visage de Sohan affiche un sourire, vraisemblablement touché la proposition. "Je veux bien un jaune et un violet. Et un bleu mais séparé, si tu as le temps bien sûr." Il ne voudrait pas lea surcharger. "Cela ne me dérange pas d'en porter, au contraire ! Ca me ferait plaisir d'avoir un cadeau de ta part."

Sohan rit. Il est content de voir Leon faire un pas vers lui. Il y voit le signe d'une petite victoire dans l'ambition des projets qu'il a pour ellui.

"Comment tu t'en sors avec les courges ?"

Il se relève pour s'approcher de son adelphe, veillant à garder une distance pour le laisser à l'aise. Il n'y a pas de pression dans sa voix, simplement de la curiosité. Il ajoute, doucement:

"Je suis content de passer un peu de temps avec toi."

Il faut veiller sur sa famille et entretenir les liens de sa maison.