amazed

— Tu sais que ta vie, c'est ici

ces temps-ci il saisit les boutons d'or à mains nues. lui qui ne craint guère les poisons que l'on prête aux fleurs jaunes — plonge ses paumes sans trembler au milieu cuivre des parterres. les pollens brodent la lisière de ses manches et reproduisent en forme de sillon le lever miniaturisé d'un lointain réduit à son essence.
il regrette de n'avoir jamais eu peur des piqures d'insectes ; cela lui aurait fait de beaux souvenirs.

il s'est tu rituellement ; mais cette nuit, une autre reine est morte. curieusement kafka a trouvé son cadavre au fond d'une de ses chaussures.

les abeilles s'affairent. dans treize jours on rouvrira la crypte.
il a enveloppé le corps de l'insecte dans un mouchoir. personne ne pleure sa dépouille réduite à l'échelle friable de son linceul. ces restes ressemblent à tous les reliefs des charniers. kafka se demande où l'on enterre les reines ; sans doute loin du lit des rivières.
— il présentera la dépouille à Robin en guise d'offrande, car la vie des créatures en dépend.

il ne parle jamais de l'intimité des mouches. la vermine a ses secrets. mais il n'y a rien à cacher à Robin, qui sait déjà tout du cycle des alvéoles et de l'infimité des spasmes limités aux bestioles.
— à vrai dire, il ignore comment ne pas évoquer les diptères. robin le corrigera sans doute. il ne sait pas bien évoquer ces nouveaux essaims. robin le guidera. robin anéantira pour lui les possibilités sensibles d'une rédemption éventuelle. robin le réconfortera dans l'illégitimité des nuées. robin lui en voudra beaucoup — il espère.

— Robin,
je dois te dire... quelques chose... sur...
les abeilles.

— Tu sais que ta vie, c'est ici

on aura bien du mal à se départir de la tristesse des nuées. une larve qui meurt à l'affleurement inverse du tissu, cela veut dire une marque lisible, un éclat de nid en devenir, et la soie dégrade vite.
en tant que profane kafka s'imagine aisément que robin peut seconder magda ; qu'elle saura s'amuser des abeilles ; que les ouvrières se contenteront consciencieusement des simulacres du faste. il conçoit tout cela — car il estime sa sœur de la mauvaise façon, et s'il concède à la prophétesse son droit de régence insectival, c'est encore avec cette sorte de déférence pieuse qui ne cesse de redéfinir les limites de son obéissance à robin.

le statut de voyant propre à robin ne fait aucun doute. c'est pour cela qu'il s'imagine pouvoir rester modestement auprès d'elle, sans que l'anabase de magda et la suite nécessaires aux ruches ne remettent jamais en cause sa position de vermine intermédiaire. il tient aux remontrances alertes de robin et à l'invariabilité — paradoxe futile par son acharnement même, et qui ne lui ressemble d'ailleurs pas tellement ; car l'on sait, une fois de plus, que la vie des petites bêtes est déterminée.

kafka ouvre la paume et présente les résultats de son propre sacrifice.  — je... l'ai trouvé dans ma chaussure.
...

je comprends les abeilles maintenant
je peux leur parler
et elles m'écoutent.

— bien sûr il n'envisage même pas la possibilité de se comparer avec magda. cela relèverait de l'autoflagellation inglorieuse.

— Robin.
quand Magda sera au Paradis...

je te promets
que je m'occuperai bien d'elles.

— Tu sais que ta vie, c'est ici

mais oui ; les abeilles fondent un ensemble régi en son sein mordoré par la tierce présence d'un instinct de saison.
les mouches font communauté autrement. elles se rassemblent salement et n'ont pas d'intérêt. l'absence de curiosité qui guide les abeilles a quelque chose de digne. chez les mouches c'est une tare et un prétexte à l'écrasement.

— les... laisser tranquille ?

kafka recule d'un pas.
— les prophètes suscitent un respect terrifié qui n'a rien à voir avec leur statut. robin est une voix ; sa guidance est inquestionnable. elle dit, et ce qu'elle énonce, c'est la vérité naturelle du monde.
— c'est pour cette raison que kafka se découvre l'envie subite de rejeter les enseignements présents de sa grande sœur.
il ne remet pas en cause ses oracles. pire, il les accepte désormais tels quels. les abeilles ne sont-elles pas allées vers lui ?
ne préparent-elles pas l'anabase de magda aux dépends de robin ?
et elle qui n'a jamais prétendu que subalternement au sceptre — jamais à la couronne, comme si cela la rendait plus noble —pourquoi le réduire au seuil des champs ?

— robin sait mieux. elle connaît le comportement des abeilles et sait les différencier d'un coup d'œil. la pensée très prosaïque qu'elle puisse être envieuse ou désespérée ne lui effleure pas même l'esprit. c'eut été tout mélanger. de toute façon — cela fait bien longtemps qu'il ne la considère plus vraiment comme une humaine.

— pourquoi est-ce que tu me dis ça, robin ?...

je... ne veux pas prendre la place de magda.
personne ne pourra jamais prendre sa place.
— je sais que je ne suis pas... comme elle.

magda ne m'a rien demandé...

ce n'est pas tout-à-fait vrai. les commandements ne se formulent pas.

— robin...

tu as peur que je la remplace ? ainsi pèche-t-il par manque d'orgueil, en ne considérant pas son propre égoïsme à travers les manières de sa sœur.