amazed

Le terrain de volleyball n'est jamais le plus animé, mais cet après-midi là, il y plane un silence anormal. Bien sûr, ça échange des ordres durant le match d'entraînement et les exclamations habituelles fusent de chaque côté, mais il manque les commentaires habituels de Sam.

Son expression blasée est toujours la même, mais le froncement de sourcils est plus prononcé. Il a l'air plus concentré. À moins que ce ne soit un signe de fatigue. Il faut dire qu'il passe son temps à se planter, même sur des passes pourtant faciles à rattraper. Il ne parvient qu'à marquer qu'un seul point, sur un coup de chance. On pourrait dire que ce n'est pas son jour, mais cela fait un petit moment que ça dure. Sam le sait, ses coéquipiers le savent, n'importe quelle personne qui auraient vu ne serait-ce que dix minutes du match le saurait aussi et Sam n'a rien à dire pour sa défense.

Il se met en retrait avant même la fin du match, laissant les autres le remplacer entre deux sets. Sam ne leur prête aucune attention. Ça non plus, ce n'est pas habituel. Mais il n'a rien à leur dire pour sa piètre performance, et il n'a pas l'énergie de faire autre chose que s'asseoir et ruminer. Il a un clone quelque part dans le Bloc, qui doit probablement être allongé dans l'herbe à l'heure qu'il est, aussi réactif qu'un cadavre – c'est toujours comme ça quand Sam n'a plus d'énergie – et il devra passer le récupérer plus tard. Il n'aime pas abandonner ses doubles dans la nature. C'est ce clone qu'il aurait dû envoyer au club de volley, se dit Sam. Il aurait pu le laisser jouer pendant qu'il se couchait quelque part à l'ombre, ça lui aurait permis de se reposer au moins physiquement. Quelle idée de venir transpirer…

Quelle idée de venir tout court.

Sam observe le terrain d'un air absent tout en considérant sa mauvaise humeur avec fatalité. Il ne compte pas bouger tant qu'elle ne sera pas passée – et tant que ses muscles continueront de brûler – ce qui ne devrait pas prendre trop de temps. Après tout, ce n'est pas la première fois qu'il galère au volley. Son manque de motivation ne surprendra personne, ses résultats actuels non plus. Sam n'a pas de problème à être un loser, et tant pis si perdre match sur match n'est pas exactement ce qu'on attend de lui ici. Le volley, c'est fait pour s'amuser, non ?

Tant qu'à être assis là à ne rien faire, Sam pourrait au moins faire des étirements pour détendre ses muscles, mais il a juste... la flemme. Ce n'est pas très surprenant. Il attend que ça passe, en se disant que ce n'est pas si grave. C'est juste un entraînement. Puis la silhouette de Judith se découpe contre le soleil brûlant et il relève le nez, clignant brièvement des yeux. Il était tellement absorbé dans sa réflexion qu'il ne l'a pas entendue arriver.

Quoi ?

C'est plus une exclamation surprise qu'agacée. Il a presque envie de demander Ça ne se voit pas ? mais il se retient. Il penche la tête sur le côté et met une main par-dessus ses yeux en visière, aveuglé par la lumière. Il ne voit pas bien quelle expression elle affiche, mais si elle est aussi brutale que ses mots, alors elle ne doit pas être contente. Sam, lui, a toujours son air blasé. Judith a quand même visé juste, alors il hausse une épaule :

C'est ça, ouais. J'suis fatigué. Tu peux me remplacer si tu veux, je vais rester là un moment.

Il énonce ça calmement, pas vraiment inquiet de la tournure que prendra le match sans lui, mais conscient qu'il occupe une place pour rien sur le terrain. Judith a dû voir sa performance lamentable. Sam ne doute pas un seul instant qu'elle pourra faire bien mieux que lui. Il espère que ça suffira à l'éloigner. Il a envie d'être tranquille et il n'aime pas trop l'idée de la contrarier.

Sam se retient de grimacer ouvertement. Ça l'embête que Judith insiste. Il a envie de répéter "oui je reste là", bêtement, comme un enfant. Il se retient. Il voit bien que Judith ne fait pas ça pour l'agacer. C'est juste son rôle de Grande Soeur.

Je suis nul aujourd'hui, vous vous en sortirez mieux sans moi.

Il hausse les épaules pour appuyer son affirmation. Le ton n'est pas plaintif, Sam essaye juste d'être réaliste. Il a la flemme. Il est fatigué. Il joue mal aujourd'hui (pas qu'aujourd'hui) alors il vaut mieux qu'il reste là un moment, le temps de se reposer. Il sera plus efficace quand il aura retrouvé son énergie, non ?

Le problème, c'est que ça peut durer un moment. Tant que l'autre clone est là dehors, il tire inconsciemment sur le fil invisible qui les relie. Même immobile, même inutile, il pompe son attention et son énergie. Sam doit se concentrer pour recentrer sa perception du monde sur Judith. Il remarque enfin sa main tendue, qu'il fixe sans savoir quoi en faire.

Allez, c'est juste un entraînement ! C'est pas la fin du monde, non ? Pas la peine d'en faire tout un fromage.

Il essaye de sourire pour avoir l'air moins apathique, mais il a juste l'air provocant. Sam n'est pas très doué pour éviter les responsabilités, et ça se sent.