amazed

Il y a des rituels plus crasseux que d'autres. Si Cesar devait classer, il rangerait Judas entre les visites au corps comateux de son frère et les rumeurs qu'il prend plaisir à répéter.

Dans les coulisses, Cesar savoure. Il n'a jamais eu un tel rôle, il revit pour la lumière dont il se gorge à chaque pas sur scène, se damne pour chaque réplique qu'il sort avec prestance et naturel. Pourquoi ne lui avait-on jamais donné sa chance avant ? Cesar étire un sourire mauvais dans le miroir. Ah, comme il trouve doucement risible, jouissif et amère, qu'on le trouve nettement moins moyen maintenant qu'on ne pouvait plus le comparer à son reflet plus doué.

Derrière lui, la porte s'ouvre. Cesar se retourne, les sourcils froncés. Dieu qu'il déteste le manque politesse ! Seulement c'est Judas qui rentre. Ah. Oui. Il y a des rituels plus crasseux que d'autres.

Tu étais donc là depuis le début ?

Cesar lève des yeux innocents.

Ça me touche.

Pourtant, Cesar ne l'avait pas vu.
Quand il observe Judas, il n'a ni remord, ni pitié. Pour lui tout est clair. Judas est un bonbon délicieux dont le goût ne se fane pas. Il ne lui doit rien, goûtera tant qu'il veut bien se faire goûter. Parce qu'il ne voit pas, Cesar, où est le mal à mêler l'utile à l'agréable. Et si la présence plus que marquée de Judas l'agace, il n'en dit rien. Parce que Judas à poser la bonne question. Parce que Cesar crève d'être regardé.

Avec ce que je donne, j'espère avoir un premier rôle ! Ne penses-tu pas que j'en ai la capacité ?

Il appuie ses deux mains contre le bureau où est entassé maquillage et autres accessoires. Cesar lève joliment le menton. Il glisse un sourire, avant de détourner le regard.

Si seulement ils pouvaient me regarder pour ce que je suis et pas pour qui je ressemble. J'ai encore l'impression qu'on me donne les choses par égard pour Celine.

Il secoue la tête, ses mèches roses dansant avec lui.

Bref. Je ne voulais pas te réveiller tout à l'heure. Tu dormais si bien.

Il hausse les épaules, sans éviter la réalité plus crue derrière ses mots.

Puis, tu ronfles un peu.

Évidemment qu'il vient toujours le voir, Judas. Son premier fan. Le plus fidèle et le plus loyal. Ô, comme il aime se gorger de son amour, Cesar. Comme c'est rassurant. Il avait besoin d'être vu et Judas ne regardait que lui. Il n'y avait pas partenariat plus lucratif.

Il ne se demande pas s'il veut l'aimer ou non comme on aime ses amoureux. Cesar sait ne pas poser de question lorsqu'il le faut. C'est un cœur avide et gourmand qu'il possède. Constamment affamé. Peut-être le problème est-il justement qu'on l'aime trop, qu'on l'idéalise. Allez savoir, Cesar, comme dit, sait ne pas se poser de question.

Maddie a dit ça ? Son regard s'éclaire, il lève le menton, avide de réponse que Judas lui a pourtant donné. Cesar décolle ses fesses du bureau, joint les mains. C'est merveilleux !

Il étire un sourire fait un pas en direction de son "ami".

J'aime quand tu laisses traîner tes oreilles...

Mais le pas se fige. Cesar se fige. Son cœur marche au ralenti et quelque chose de désagréable se fige dans sa gorge. À Judas, il offre un regard troublé, coupable. Ses yeux se perdent sur la pointe de ses pieds. Amère est la culpabilité.

C'est de mon frère que tu parles.. souffle-t-il, tremblant. Il va se réveiller.

Un jour. Jamais. Il veut. Il redoute. Les mots de Judas l'ont marqué malgré eux au fer rouge. Il réalise, Cesar, que Celine n'ira peut-être pas au paradis. Et soudain et pour la première fois depuis l'accident, il se demande : qu'est-ce qu'on fera de son frère, alors ? Laissera-t-on Celine pourrir sur son lit de l'infirmerie ? Mince, le vernis de ses illusions se craquellent et la culpabilité revient. Cesar se revoit l'observer se noyer, revoit les membres de Celine s'agiter dans l'eau, son frère désespéré, priant pour de l'aide. Et lui, horriblement statique.

Je ne sais pas si je veux qu'il meure. lâche-t-il sans croiser le regard de Judas. Puis il relève les yeux, plus agressif. Pourquoi tu parles de ça d'ailleurs ?

C'est pas sa faute, à Judas. Porte le nom du traître originel en se targuant d'être, d'eux tous, le plus innocent. Il ne peut pas lui en vouloir. Voudrait pourtant en avoir l'injustice mais sa méchanceté immature à ses limites. Quand Judas s'excuse, Cesar le croit. S'il a bien une chose qui le met mal à l'aise dans leur relation, c'est ça. Judas ne ment pas.

Ça passe entre ses lèvres, un soupir discret mais suffisamment inhabituel pour être notifié.

Arrête de faire cette tête, je me sens horrible après.

Cesar détourne le regard. Ce n'est un Judas qu'il trouvera l’absolution. C'est de plus en plus fréquent. Cesar se surprend, souvent le soir, à avoir envie d'en parler. Avoir envie de pleurer, de crier c'est moi ! C'est moi qui l'ai tué. Parce que c'est tout comme non ? Celine respire encore mais Judas à raison, il est déjà mort. Mais quand il regarde Judas il comprend : ça ne fera pas, ce n'est pas possible. Qui comprendrait. Qui le croirait. Il n'a même pas besoin de forcer le trait pour être pur à ses doux yeux.

Cesar secoue la tête, presque dépité. C'est drôle à en pleurer, comment Judas vise juste en même temps qu'à côté.

Peut-être que c'est moi qui prend trop la tête, en effet.

Il hausse les épaules. Pour ça qu'il n'en parle pas. Pour ça qu'il se meure dans ses bras. C'est beaucoup simple, beaucoup plus plaisant. Comme il le traite mal, Judas, c'est absurde et horripilant. C'est précisément parce qu'il le traite mal que le couturier se loge de nouveau contre lui. Similaire à la veille, son nez niché contre son torse, ses mains dans son dos.

Je suis tendu. Entre la première bientôt et le reste. J'voulais pas être rude.

Il a appris de Lucien, use de mêmes charmes. Pas plus consciemment que lui, juste que c'est un besoin qui se fait sentir. Judas ne doit pas savoir, ne doit pas douter. Puisque Judas ne peut pas entendre la vérité. Il redresse la tête, fait comme il a toujours fait, de la seule façon qu'il peut faire. En étirant un sourire un peu plus joueur et en glissant les mains contre ses épaules.