amazed

Judas est un point signifiant de son existence. Il est ce point de côté dans la poitrine, cette déviance agaçante dans son système. Lucien ne sait pas le contrôler ; dans le microcosme de sa vie - Judas demeure objet interstellaire à la dérive. Il rêve de le rattacher à sa cause, de lui arracher son sourire bienpensant du visage, de le modeler à son image !

Sur le chemin qui mène à la rivière, Lucien se gratte nerveusement l'intérieur du bras. Il réfléchit et ressasse dans sa tête à l'avance ce qu'il va dire à Judas, les sujets qu'il veut aborder avec lui, de quelle manière. Son esprit logique ressemble à un plateau d'échecs, où les pensées sont semblables à des pièces de bois - et où il faut prévoir toutes les possibilités de son adversaire.

Vu qu'il remonte le cours de la rivière, il le trouve face à celle-ci, de biais à lui. Judas l'a déjà repéré.

Salut Judas. Je te cherchais, c'est tout.

Il n'est déjà pas des plus aimables. Lucien inspire pour forcer un sourire complaisant, alors même qu'il approche prudemment de Judas, écrasant les branches d'arbre sous ses pieds. Il se positionne comme un prédateur - et pourtant se considère comme proie de sa piété.

Saint Judas !
J'étais à la piscine, hier. C'est bête, on aurait pu se croiser.

Il tait le fait qu'il était avec Cesar. Ça lui va très bien de le partager - il n'est pas possessif du corps ou du coeur, seulement de l'âme dévouée.

Qu'est-ce que tu fais ici ? C'est Robin qui me l'a dit. Tu médites en plein air maintenant ?

Il y a un certain vice à contempler Judas, avouant sans détour se préserver des regards. D'une perversité sans précédent, Lucien le fixe - le déshabille sans pudeur, une étincelle mauvaise dans le fond de ses yeux exorbités. Il ne fait pas l'effort d'étirer un sourire faussement innocent ; son rictus est torve et déplacé. Il fait un pas vers lui, puis deux - enfonce ses chaussures dans les feuilles mortes pour les faire couiner. Il a la démarche des prédateurs, encerclant leur proie dans l'unique but de jouer avec elle. Lucien repense à la grenouille que Kafka a du enterrer non loin de là. Il aimerait disséquer Judas.

Y trouver des émotions ;
des points faibles ;
des failles à exploiter ; des vices à cultiver ; des torts à aimer.

Hum.

Il se racle la gorge puis se gratte la tête. Ses gestes milimitrés démontrent tout de même une hésitation à bondir. Il préfère s'accroupir à côté de la rive pour attraper un caillou.

Ouai. Il ricane, mal à l'aise malgré lui. Je veux te demander quelque chose... c'est dit en murmurant, comme s'il réfléchissait au sens de cette vérité.

Lucien jette un caillou plat à la surface de la rivière, non loin de Judas.

On parle plus trop depuis que je suis à ce poste. J'ai l'impression que tu m'aimes pas beaucoup, je me trompe ?

Sa stratégie est claire : jouer franc jeu pour l'abattre avant le début de la guerre. Lucien teste ses réactions.

Ou alors tu n'approuves pas. Mes méthodes.

Il darde sur lui un regard plus contemplatif ;
se rince l'oeil au passage - la peau de Judas est charnue de muscles et de lignes qui se prêtent au passage expert d'un scalpel incisif.

Si tu as un problème, dis-le moi en face. Je peux tout encaisser.

Ah ! Voilà ! C'est ce que Lucien est venu chercher, le conflit direct et sans détour. Il veut l'entendre dire sa vérité, même si elle érafle sa pseudo perfection au passage. Le grand frère a beau récolter ce qu'il sème, il s'étonne encore et toujours de s'en agacer. Il s'est tant intoxiqué aux louanges, souvent dictées par la peur, que les critiques ont désormais du mal à passer.

Aux souvenirs de jeunesse, Lucien hausse les épaules. Il ne nie pas avoir été parmi les plus difficiles à supporter.

J'étais un gamin turbulent, je le reconnais ! Mais j'ai changé.. j'ai grandi, mûri, je ne suis plus du genre à imposer ...

C'est dit avec le sourire ;
une provocation insidieuse qui n'attend que d'être démentie.

Mais ce petit jeu le lasse rapidement ; Lucien ressent le besoin de clarifier sa position. Il ne pense pas que sa cruauté est gratuite ; elle est encouragée par le système, pourquoi serait-il récompensé à l'heure d'aujourd'hui s'il ne s'exécutait pas à faire exactement ce qu'on attend de lui ?

Je ne suis pas injuste. Je ne tolère pas qu'on puisse se complaire dans la médiocrité. Si Père me veut impitoyable pour motiver les troupes, je le serais !

Le mépris ouvert à l'égard de Père Jim ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. Lucien trouvera le moyen d'exploiter cette information plus tard. Pour l'heure, il veut rejoindre Judas dans la rivière - peut-être que le plus pieux d'entre eux aura un geste à son égard... il pourrait bien le baptiser en secret, dans le culte de leur intimité ((inexistante)).

Les blocards ont la tête dure. Ils n'entendent que ce langage ! Si je dois les plier en quatre ou en six pour qu'ils rentrent dans le rang, alors que leur volonté soit faite.

Tenté, Lucien se laisser aller à son vice préféré ;
il use de son pouvoir sur Judas pour l'enjoindre à se relever, et faire un pas en avant.
Il cesse, puis saute les deux pieds dans l'eau pour venir à sa hauteur. Il fait l'autre partie du chemin... murmure son poison alors que leurs souffles se mêlent.

Si je t'avais demandé, tu l'aurais fait...?

C'est vrai, Lucien ment mal. Il est adepte de la vérité, et de ce fait coince toujours quand il exprime des sentiments qu'il ne ressent pas au fond de lui (la miséricorde, la pitié). Il n'est malin que dans les célébrations grotesques de ses victoires. Il aime gagner. Pas mentir. La vérité c'est qu'il n'aime pas perdre - c'est l'unique mensonge qu'il délit à la perfection.

Haha...

Le rire se meurt dans sa gorge. Lucien contemple avec supériorité le profil angélique de son ami d'enfance. Sa perfection morale le dégoûte. Le fait est qu'il ose... il ose lui offrir sa sainteté en défiance. Lucien s'est efforcé à représenter l'image du blocard parfait. Pourquoi Judas coule-t-il sa statue de bronze dans les flots ? Pourquoi le menace-t-il à demi mot de lui oter sa couronne ?

Et quelles sont-elles, tes alliances ? En as-tu seulement ? Tu préfères t'isoler, à prier je-ne-sais-quel-dieu toute la journée ! Tu me méprises pour ce que je suis mais tu n'as aucune idée de ce que je fais.

Lucien bâtit des relations complexes ; s'emploie à connaite sur le bout des doigts chaque blocard-e de sa maison ; ses amis peuvent compter sur ses conseils, en échange, il ne réclame qu'une irréprochabilité certaine.

Leur petit jeu s'égrenne dans le lit de la rivière. Judas n'a pas besoin de s'annoncer pour que Lucien comprenne... il a peur de ce qui va arriver et tente de l'en empêcher :

Non !

L'éclat de sa vulnérabilité vole dans un souffle arraché. Les paupières de Lucien tombent, son corps guerrier s'autorise le repos. Il a le regard terne, le sourire si mince qu'il semble inexistant. Il ne célèbre plus rien si ce n'est la paix factice que Judas lui impose.

Hmmm...

Flasque, il se laisse tomber contre Judas. Il entoure son torse de ses grands bras et pose son menton sur son épaule. Respire calmement dans son cou. Sa lucidité est préservée, mais miroitée sous une couche de douceur, qu'il est rare (voir impossible) de trouver en Lucien habituellement.

Arrête ça... ce n'est pas gentil...

Aussi doux qu'un agneau, il n'en reste pas moins que le loup se débat en son sein et menace de tout dévorer une fois relâché.

Tu sens bon.

La chair à vif,
le sang !

Lucien perçoit dans les yeux de Judas une lueur salvatrice. Ses traits se sont affaissés, ainsi que les muscles de son corps. Il est béni d'un aura pacifique, non-violence - étrangère, donc. Terrifié et lové dans cette enveloppe douce, il fait face à l'avènement d'un nouveau règne ; celui du bien, de la douceur et de la candeur. Lui qui exècre la gentillesse et les excès de faiblesse, il lui apparait comme l'ascension d'un tyran.

Ne me méprise pas...

Il lève une main pour effleurer sa joue, caresser une partie de son visage. Lucien a fait le choix d'être détesté pour assoir son autorité ; le choix d'écraser pour grimper.

Je ne veux pas être cruel, tu sais...

Il bat des cils, dans un souffle incertain et se défend comme un accusé au bord du ravin ;

Je fais ce qu'ils attendent de moi... c'est ce qu'ils veulent...

Wicked.
Les Parents.
Le Père Suprême.

Je suis ton ami.

Il ferme les yeux et se le répète une énième fois pour s'en convaincre - avaler la couleuvre de la vérité.

Nous sommes amis.

Alors pourquoi résiste-il à l'envie de l'étrangler ? De le noyer sous les flots pour rebâtir son égo ? Pourquoi ses lèvres désirent cueillir les siennes, alors même qu'il ne l'a jamais désiré ?

Libère-moi.

C'est douloureux de ressentir la pitié.