amazed

Bariolée des néons célestes contre sa chair blême, Max peut en sentir toutes les sensations uniques parcourir son épiderme, dresser ses poils et faire raidir sa nuque pour ne pas trop regarder Argo.
Il n'a pas fallu longtemps pour que toutes les certitudes s'étalent en miel huileux contre son visage, à essayer d'en retirer toute l'instabilité qui règne désormais au fond de sa poitrine, sous cette armure blanche d'ivoire qui manque de s'affaisser à chaque fois.

Argo n'a pas son visage ni ses ridules oscillantes. Argo, son visage s'aligne parfaitement dans des formes géométriques arachnéennes, comme mesurées dans une sainteté oubliée, pour que rien ne soit de travers, ni l'arête du nez ni ses grands yeux noirs. Max dans des élans d'adolescente désormais trop grande pour prétendre ne rien savoir, a compté les tâches de rousseur sous ses cernes et par dessus les pommettes, a essayé de démêler parfois, dans le fond de son esprit les bribes d'un passé qui n'a jamais existé, à essayer de s'imaginer le fond de la mer et ses coquillages.
À embrasser ses phalanges contre celles d'Argo. C'est elle qui finit par cesser son charabia monotone, celui des règles idiotes et des rêves nuisibles.

Max bascule sur le flanc et étend un de ses bras afin d'y reposer sa tempe, les lippes tirées car elle n'a jamais su comment renverser son sourire. Moi aussi. Elle a entendu les mythes de ces légendes tenaces, elle a déjà remarqué les couloirs sales du labyrinthe et a, comme les autres, entendu les monstres braillaient à en faire battre le cœur trop fort, trop vite, jusqu'à lui faire croire qu'elle allait mourir. Tu penses qu'on devrait mener une révolution pour qu'on puisse dormir dehors, quand on veut, quand on peut ? Sans les parents et leurs grands airs. Réflexe fripon, Max grimace et fait rouler ses perles azurs avant de se redresser pour glisser ses bras sous ses cuisses. Un jour je trouverai la sortie du labyrinthe. Personne ne le saura à part toi et moi. On partira toutes les deux voir la mer. Et les grands éclairs, ceux qui ne s'arrêtent jamais tu sais.

Ses paumes viennent frapper Argo sans méchanceté tout en imitant le son du tonnerre, elle veut que sa voix tonne comme ils font, sans vriller ni fléchir, empyréenne comme le soleil. Un jour on partira,  c'est sûr. Tant pis si ça doit prendre un siècle.
Max est sincère, le rire mièvre sur le rebord des lèvres, se laisse finalement basculer à côté d'Argo pour lui attraper la main et enserrer ses doigts aux siens, comme une promesse immuable, un futur prompt pour elles.

C'est en serrant les paupières férocement que Max devrait sentir l'air marin et le sel qui crépite contre sa peau exsangue. Le baiser abrasif du soleil, Max le voudrait tous les jours jusqu'à que ses pores pleurent en rouge, qu'Argo et elle fondent à même les grains marbrés, entourées par un vide d'une existence révolue, que l'enclave échappe enfin à leurs manières capricieuses.

Argo a les plis angulaires, les os qui cramponnent d'une façon presque maniaque son visage, la blonde en suit tous les chemins sinueux jusqu'à s'amocher dans son regard. Quelque chose là-dedans se façonne d'une manière désagréable, des nuisibles qui dévorent les parois tendres d'un corps encore trop jeune pour tout comprendre. Heureusement que personne ne peut faire pousser des oreilles dans les murs.. T'imagines... D'une façon maladroite, Max récupère la pression moite de sa main dans celle d'Argo, les doigts profondément enlisés dans les siens, par peur qu'elle finisse par se détacher, s'envoler, s'évapore comme un fragment douloureux des astres passés. Sa voix s'est effilochée et ses dents se rayent entre elles, à ruminer pour contenir tous les grondements excessifs.
Heureusement que tu penses à tout, Argo. Tu seras le cerveau et moi les muscles, comme ces vieux duo comiques dans les livres de la bibliothèque. J'ai déjà oublié de quoi il s'agissait...

Son rire se fraye un chemin derrière ses mandibules serrées, ses lèvres pincées et ses yeux tirés. Max voudrait retourner dans cette vieille maison qu'elle semble avoir connu il y a longtemps, là où les souvenirs alourdissent sa pensée et se font passer comme affreux. Mais il paraît qu'elle ne peut y retourner, que c'est un chemin bloqué dans son esprit, peut-être manque t-il des pièces. On s'en fiche. Ils peuvent bien penser ce qu'ils veulent, tu pourrais me dire que le soleil est vert et l'herbe bleu, j'y croirais les yeux fermés en signant croix d'bois croix d'fer. Et pour jurer son serment, ses phalanges signent au travers de sa poitrine, là où les os bombent sous l'épiderme. Un jour, on devrait faire un bain à l'eau salé, pour s'imaginer déjà un peu à la mer.

Max dans une candeur sans faille, accorde son épaule à celle d'Argo, sa tempe qui s'accroche à la sienne. Il faut croire. J'ai les jambes pour. La coureuse soulève sa jambe gauche, longue et musclée, elle ne s'est jamais vu ailleurs qu'à courir entre les murs bistres d'un labyrinthe à écorcher. Il faut qu'on sorte d'ici, il y a plus que ça. Plus que des règles et des corvées.

Max soulève toute sa carcasse déconfite. Son sourire s'est renversé dans une grimace désobligeante, sa main s'est doucement défilée de cette chaleur qu'elles entretiennent comme des braises gémissantes.
Ce n'est pas une habitude ordinaire que de déprimer, pour elle. Il y a longtemps que les sentiments détestables des mélancolies au fond du lit se sont éteintes, Max n'en connaît plus ni les callosités ni le goût âcre que forment les larmes au fond de la gorge.
Ne voulant imposer ses doutes insipides sur un futur déjà décidé dont il faudrait renverser déjà la tendance pour pouvoir s'en détourner, Max se tourne vers Argo tout entière, les genoux pliés et ses paumes viennent glisser contre les siens. Il faut qu'on se promette Argo. Il faut qu'on se promette que si l'une de nous deux sort sans l'autre, on ira chercher nos héri... tages... ? Je sais pas comment ça s'appelle mais je l'ai lu dans un livre. Quelque chose qu'on nous a laissé. Son air sérieux se meurt lorsque ses dents se dévoilent, les lippes rondes. J'irai chercher la mer pour toi et toi, tu chercheras qui est la femme de mes rêves. Un jour, j'arriverai à voir complètement son visage, j'en suis sûre. Marché conclu ?

L'auriculaire dressé et le dos droit, Max n'en voudrait pas à Argo, de ne vouloir parcourir le monde à la recherche d'un songe.

Max retient un rire. Si la course et ses ballets rugissants ont toujours été son domaine, devoir se défendre était bien loin d'elle, une idée plaisante. Si la violence n'avait jamais été familière avec Max, c'était en pleine conscience qu'il fallait détester ces actes barbares. Non, Max ne répondait jamais lorsque ses adelphes cognaient son épaule ou le bas de son dos, pas plus lorsque les rictus dévoraient le visage des camarades railleurs.
Max préférait sourire et faire comme si ce n'était jamais arrivé, perdu dans des méandres d'évènements dont les frontières devenaient de plus en plus sauvages.

Tu penses ? Ils vont tous me ratatiner. Puis se battre c'est pour ceux qui n'ont aucun répondant. Je préfère courir, je suis certaine de ne jamais être rattrapée. Sauf par Fang. Si Max avait souvent désirée être la meilleure, parfois, il était certain qu'elle ne pouvait guère être plus exceptionnelle que quelqu'un dont le pouvoir lui donnait un avantage certain.
Si son appétence friponne était toujours la même aujourd'hui, elle irait sans doute murmurer aux oreilles d'Argo que Fang est une tricheuse. C'est facile de gagner quand on a l'avantage. Mais aujourd'hui, Max sait que ce n'est pas tricher que de profiter d'une bonne fortune, elle est même heureuse de voir cette dernière chercher aussi fort qu'elle la solution à ce puzzle énigmatique.

Max se le demande si elles partiront vraiment. L'espoir dans le fond de son poitrail n'a jamais cessé de fleurir, si elle pouvait ouvrir le plexus en deux, elle en offrirait tous les pétales et laisserait le miel pourpre floquer à ses orteils. J'espère fort. Vraiment Argo. Il faut partir avant que le Paradis soit à nous. Je préfère le laisser aux autres. Mon paradis, notre paradis, il est quelque part dehors.
Sa voix s'affaisse, Max ne veut pas être triste. Elle n'a jamais aimé ça. Non, elle inspire grandement, bloque l'air dans ses bronches larges puis relâche la pression tout en laissant les frissons dévorer sa chair lorsque les phalanges d'Argo décorent ses crins blonds.
Lorsqu'elles se font face, Max est capable d'apercevoir le ciel noir à travers les prunelles d'Argo, les étoiles font des ballets tendres en son intérieur et se relient comme des constellations contre ses joues tachetées. La joie se délit doucement entre ses babines roses, les morceaux blanc cassé que forment ses dents se dévoilent. Toutes les promesses du monde, Max en veut encore, surtout si c'est Argo qui réclame. C'est promis juré. Et si jamais jamais, on ne peut jamais échappées au Paradis, alors, on ira ensemble. C'est d'accord ? Peut-être que la mer y est. Car après tout, elle a entendu tant de bien de ce Paradis, ce serait idiot, de ne pas y croire.

Entre deux chuchots, Max affaisse le buste pour entendre dans son entièreté Argo et accrocher son regard à ses lèvres mordues. Oui mais toi je pourrais reconnaître les traits de ton visage entre mille. Le rire mutin, ses doigts viennent fouler sa mâchoire jusqu'à enserrer ses joues. Ce serait difficile d'oublier une si jolie fille.

L'herbe gratte sous ses mollets à nue, s'immisce sous sa chair et Max imagine à la place la sensation du sable qui roule entre les plis de la peau, dans ses plaies puis dans ses orteils. Les pieds pour apprivoiser cette chimère qui n'est qu'à elles. En face, se prolonge un océan salé qui tourmente les monstres du labyrinthe.
Impossible à tarir, ses vagues sont des gigantesques torrents qui déferlent contre les parois dont elle finira par connaître par cœur.
Des rainures faites aux ongles arrachés des oubliés jusqu'aux souvenirs sculptés à même le béton, Max a fait cette promesse fidèle qu'elle n'oublierait rien, qu'elle finirait par percer tous les secrets qui sommeillent encore ici.

Jouer le jeu pour ne pas périr, c'est un épigraphe écorché à vif contre sa poitrine, logé entre les deux seins, à même les os.
Il faudrait déraciner la chair accrochée à son squelette pour en lire toute la foi sincère qui l'anime.
Il faudrait écarter la cage d'ivoire pour dérober toutes ses arcanes et ses désirs qu'elle garde avec jalousie.

On sera toujours là l'une pour l'autre, c'est le plus important. Max abandonne les visions célestes. Elles fondent comme des bougies et la cire se décompose en réalité monotone. Elles garderont les mêmes habitudes jusque la fin. Alfie et Luke, urgh. M'en parle pas, s'ils pouvaient voler avec leur vanité de favoris, ils finiraient par s'en brûler les ailes contre le soleil. Ou juste à tomber et à s'écraser comme des gros cafards. Dans tous les cas, je regarderai le spectacle avec joie !
Du rire sincère qui ébroue tout son plexus jusque ses mains qui cajolent celles d'Argo, Max penche le buste vers elle. Eux, ils n'auront jamais la prétention de pouvoir voir la mer, qu'ils y restent dans leur monde de paillettes. Moi je préfère la terre et sa protectrice. Elle avoue à demi-mot, elle n'en dit pas trop, elle a peur de s'écrouler.

Son échine s'est tordue afin d'observer les pléiades d'aérolithes lumineuses, des étoiles qui semblent palpiter et celles qui ne bougent tout simplement pas, qui ne veulent pas prendre part à la ronde d'une vie révolue.
Max, elle, veut participer avec assiduité à cette existence éphémère dont les sangles tiennent fermement ses poignets et ses chevilles.
Max doit se libérer de ces entraves afin d'accéder à l'olympe juré entre Argo et elle.
Mais pour le moment, ces liens intangibles doivent restés bien en place afin de ne pas risquer le billot. Max ne peut pas s'imaginer un futur où Argo ne tient pas sa main, où sa chair ne frôle pas la sienne et où son souffle humide ne se mêle pas au sien au milieu de la houle maritime.

Elle s'est trop imaginée les navires et les coquillages pour un jour devoir y renoncer, c'est une promesse en compte à rebours qu'elle a testifié au dessus du pic-du-diable.
C'est un serment entre elle et la mer qu'elle ne brisera pas.

Grave. Mais ça finira par arriver, à force de trop chercher et de se la jouer, ça ne finit jamais bien. C'est une certitude dont l'incertitude l'emflambe. Alfie et Luke sont de ceux que rien ne peut atteindre mais dont la fondation en argile finira par s'écraser sous le poids de leur démesure extrême. Moi aussi je t'aime fort Argo, et je déteste quand tu as raison. Allez viens. Je t'invite à venir faire des breloques dans mon château. Il n'y a ni tour ni dragon mais je te propose des perles que j'ai récemment acheté au club !
Dans un éclat de rire forgé par l'amour d'Argo, la blonde se relève et attrape les deux mains de sa fausse dulcinée, embrasse ses phalanges aux siennes et s'éloignent de ces couloirs hurlants dont l'énigme sera un jour percée, dont elle gardera jalousement le secret afin de pouvoir s'échapper ensemble.