amazed

Quand on sort du social club, souvent le soleil est déjà caché, pas entièrement couché. Le ciel est d’un joli bleu profond, légèrement teinté de rose.
En tout cas, il ne fait pas encore nuit. Et le temps, le vrai temps libre, Nine aime l’utiliser jusqu’à la dernière seconde avant qu’on ne vienne lui rappeler qu’il est dix heures passées.
Alors comme souvent, il se retrouve à ce second étage des dortoirs dans une chambre qui n’est pas la sienne.
Mielle n’a même plus besoin de l’inviter.

Nine fait comme selon ses habitudes et prend toujours ses aises : il s’allonge sur le lit pour profiter du confort qui lui est normalement interdit. Et il s’étire un maximum, s’étale pour prendre entièrement la place, puis expire enfin, en prenant soin d’observer son amie.
Juste le temps d’un battement.

“Viens !”

A ses côtés.
Il se redresse en tailleur, tapotant le matelas pour t’y inviter.
Puis il ricane.

“T’as les yeux un peu rouge.” de ses deux mains, il attrape ton visage pour mieux observer tes paupières légèrement gonflées maintenant que la lumière est plus claire “Ça t'as touché ? Je t’ai entendu pleurer.”

Il ne dira pas s’être amusé devant ce film-ci en particulier, Past Lives, que tu lui a proposé.
Mais Nine aime bien le cinéma. Ça donne l’impression de voyager et de découvrir un monde sans limite, sans mur - il en rêve souvent de ces paysages qui s'étendent aux horizons.

“Tu y crois toi ? A ces vies passées.” il comprend la sensibilité de cette idée, et en quoi elle peut émouvoir. Mais lui la trouve plutôt amusante, que ça change la perspective d’une seule et unique vie : il voudrait se souvenir de chacune d’entre elles si cela était possible. “Ce serait drôle si on s’était connus avant. Je me demande ce qu’on aurait été.” des amis, des ennemis, des amants, des animaux ou même des insectes ; il y a tant de possibilités, il ne sait pas ce qu’il préfère.

Ta réponse est pleine de jolies convictions. Il y a quelque chose qui enchante, qui donne envie de jouer au jeu des huit-mille vies. Cela rendrait les jours moins fade.
Il faudrait vraiment y croire - ce serait incroyable.

Nine se passionne sincèrement pour Mielle.
Il aime la voir rire,
l’entendre pleurer,
ou lorsqu’elle s’agace des bêtises.
Et il se fascine de la tendresse de ses mots,
admire la poésie de ses émotions.
Mielle à cette beauté candide qui lui est propre.

Et il ne pourra jamais la tordre car son existence est intangible.
Il aimerait réussir à brûler cette douce chaleur qu’il sent entre ses doigts.
Ca le frustre, parfois.

Sans doute pour cette raison également que tu affirmes : vous étiez ennemis.
Nine rigole, naturellement, contrastant immédiatement face à ton sérieux.
Il admire - il t’admire !
Mais Nine rit, il se moque des choses importantes et il s’esclaffe.

“Moi aussi j'arrive à nous imaginer ennemis ! J’aime bien. T’as raison.”

Ses paumes se détachent enfin de ton visage.

“J’ai pas détesté. Mais ça m’a ennuyé ! Moi, j’aime bien les films quand il y a plein d’action ! Là j’avais juste l’impression de voir des trucs que je pourrais retrouver en observant un peu les gens d’ici.” légèrement lassé, il s’accoude contre ses propres genoux, laissant reposer sa tête entre ses mains ; il soupire “Je viens de voir un film sur deux amis quoi. Et ils existent même pas.”

Il s’est ennuyé et il a encore plein d’énergie ! Il ne cesse de frétiller.

Il y a une part de vérité dans tes mots qui l’agace. Mais c’est ce même agacement que l’on éprouve après avoir perdu à un jeu - cela se rapproche de la mauvaise foi.
Tu as raison, c’est un film empli d’actions, simplement de l’action émotionnelle, celle qui est faite pour toucher le cœur.
Et tu as raison, on ne devine pas les épreuves passées d’une relation en une heure quarante six. Car en une heure quarante six d’observation, Nine pourrait seulement comprendre les bases et non leur secret.

“Non c’est vrai.”

Un soupir finit par lui échapper.

“N'empêche qu’on peut le retrouver ici. J’ai envie de voir des trucs qui font rêver un peu.”

Il pourrait réfléchir à des arguments pour te contredire mais les choses apparaissent plutôt sous forme d’une sorte de caprice.
J’ai essayé ton film,
sans plus l’apprécier que ça,
alors je n’y retournerais pas -
voilà tout.

Le regard suit naturellement tes gestes, ton sac, les paquets qui tombent sur le lit. Nine se redresse d’un coup, son étincelle toujours rapidement ravivée.
Depuis qu’il a perdu son étoile, il à moins souvent l’occasion de se gâter. Mais il peut toujours compter sur la générosité de Mielle : ce serait stupide de ne pas en profiter !

“Haha- me provoque pas !”

Car tout peut vite devenir une bonne raison pour se battre - même pour rire - cette terrible tendance à s’amuser des altercations auxquelles il adore participer.

Il ouvre un paquet (il a pris les gâteaux, c’est ce qui s’émiette le plus vite),

“Bah oui.”

puis annonce par sa sincérité un peu trop brutale.

“J’aurais pas besoin d’un film pour voir une histoire que je connais déjà. En plus que j’aurais vécu. Ça se trouve j’irais même plus au cinéma parce que je pourrais vivre des trucs qu’on voit dans les films. Moi j’attends le Paradis pour tout ce qu'on peut pas faire ici.”

Qu’on soit premium ou sans étoile, on ira tous.
Encore huit ans pour toi, onze pour lui.

Il croque son gâteau sans grande délicatesse, faisant tomber quelques miettes. Son regard passe des petits morceaux éparpillés sur le matelas, puis à toi, afin de guetter tes réactions. La bouche encore pleine, il prononce un “oups” mâché, faussement désolé.

Nine apprécie cette simplicité. Car Mielle se vexe rarement de son mauvais tempérament qui rend les désaccords récurrents. Il admire sincèrement sa patience et sa tolérance - c’est ce qui fait que Mielle est quelqu’un de bien.
Et c’est parce que Mielle est une sainte que cette amitié reste solide.
Nine n’en fait qu'à sa tête.

Il sourit, satisfait à l’idée de choisir le prochain film.
Puis il hoche la tête - entend tes arguments sans pour autant aller dans ton sens - il préfère découvrir de nouvelles choses plutôt que revoir les flashbacks. Il ne croit pas s’être déjà senti nostalgique : les jours se ressemblent trop, même lorsqu’il fait tout pour échapper à ces routines. Il n’aime pas perdre son temps dans la mélancolie.

Ce qu’il aime c’est,
ça - exactement ça - tu lui passes au travers (sans qu’il ait eu le temps de réfléchir à ta question !) le temps d’un très court instant.
Ces temps qu’on ne conscientise pas réellement sur le moment.
Mais que le corps peut vivre par une sensation fantôme désagréable qui lui parcourt les organes.
Nine se fige tandis que le fourmillement lui parcours jusqu’au bout des doigts -

“Eh !”

Le coussin s’écrase sur son visage, étouffant ses cris assourdissant.
Et dans la continuité de l'action, il le rattrape pour te le renvoyer en retour - peu importe si l’objet te touche ou tape dans le mur derrière.

“Techniquement tu devrais le refaire parce que je me suis assis sur ton lit avec mes vêtements sales de la journée.”

Il ricane - Nine aime balancer des arguments sans importance pour avoir le dernier mot.

“Et au Paradis je suis sûr que ça ne poserait pas autant de problème.”

Le ménage.
Puis d’autres trucs.
L’idée est naturellement floue - c’est ce qui nourrit l’imagination et ses rêves.

“Je pense que j’aimerais aller le plus loin possible. Sans murs on aura pas pas de limite.”

Dans un premier temps : c’est le plus simple et le plus logique.

“Puis je veux plus de règles. Je veux plus qu’on me surveille, ou qu’on me dise quoi faire. Sans ça j'aurait tellement plus de possibilités que je ne m'imagine même pas.”

Sous son index il écrase une miette qui trainait sur le lit. Elle explose en fine particule.
Cela n’aurait plus d’importance dans son Paradis à lui.
Il y aurait d’autres choses à penser,
à casser.

“Tu n’y as jamais pensé ?”

Comme tu y accèdera avant lui. Il t’envie presque pour ça.

Cela le fait rire car le Paradis est omniprésent. Au-delà de tout. Et c’est justement parce qu’il est trop loin, que personne n’en revient jamais, que sa conception est trouble, comme un rêve construit par toutes les idées qui s’entrechoquent -

Pour Nine le Paradis est un endroit un peu fourre-tout,
que rien n’a trop de sens,
juste bizarrement tout le monde est heureux,
car tout le monde à ce qu’il veut.

C’est pour ça qu’il n’arrive pas à imaginer ce que toi tu imagines. Tout ressemble trop à l’enclave et il trouve cette idée sincèrement horripilante.

“J’irais plus loin alors. Là où il n’y aura pas de milice.”

Il annonce : lui fera ce qu’il veut, quand il veut, et rien ne pourra l’empêcher. Car s’il à le droit d’être lui-même dans sa totalité comme tu le penses, ça ne ferait pas sens qu’on lui demande de se contrôler.

“Moi je pense que tu ne rêves pas assez. Mais peut-être parce que tu te sens déjà bien dans l’enclave - t’as pas besoin de voir grand.”

Et tant pis si ta vision est plus juste que la sienne - il à encore de longues années devant lui pour se préparer à une potentielle désillusion de son objectif des cieux.

Nine finit par éclater de rire. Sa voix résonne fort comme toujours puisqu’il ne se met aucune limite. Il reste bon public et les blagues bien amenées dans les conversations sont toujours la bienvenue.

“Comme c’est demandé de manière hyper originale mais c’est surtout parce que je suis supeeer sympa je vais t’aider.” Il se redresse de ton lit, commence à attraper quelques paquets pour faire de la place - il enchaîne dans la conversation “T’es trop mignonne- j’accepte avec plaisir.” En plus il doute que tu aies le droit “Ce sera mon secret à moi plus tard.”

Nine aime le Paradis car il est simple à façonner. Ainsi, cela devient la plus belle des illusions pour laquelle des vies entières se consacrent. Et c’est ce côté presque inatteignable qui rend les rêves farfelus par l’imagination insouciante.
Mais peut-être qu’en se rapprochant de cet objectif commun - traverser cette dernière porte - les idées seront plus ternes, perdant de fantaisies.
En suffoquant doucement,
à petit feu -
Nine ne fait que souffler continuellement sur les braises pour que les flammes brûlent le plus longtemps possible.

Les paquets sont posés sur une étagère le temps de t’aider à remettre les nouveaux draps.
Son sourire s’élargit.

“Je n’en doute pas. Et ça me fait plaisir !”

Que tu cherches tant à l’aider.
Même si parfois il ne comprend pas toujours.
Il sait au moins qu’il peut compter sur toi.
Mielle est gentille et sincère - il est simple de lui faire confiance.

“Sérieux ?”

Il réussit à rattraper maladroitement la couverture qui lui tombe dessus. Puis en la retirant, ses cheveux se retrouvent de nouveau décoiffés.
Il reprend :

“Ils ont la vie trop facile ces trois étoiles et premium.”

Il rigole. Avec cette légère touche d’amertume. Celle qui sert pour se moquer des autres.
Mais il sait que tu les aimes bien ces étoiles : à force de les récolter on pourrait en faire de jolies constellations. Alors Nine n’ajoute pas davantage de piques à ses mots.
(Quelque part ce serait t’insulter aussi !)

“Ah tu vois ! Tu devrais profiter plus aussi.”

Par là, il entend que tu ne devrais pas juste avoir un petit robot pour te faire le ménage. Nine espère plutôt qu’un jour tu pourra t’autoriser à vivre certains débordement -
on rigole plus facilement et plus fort lorsqu’on se prend moins la tête avec les règles !

Enfin pour le moment il te sait pas friande des dégâts à causer.
Pourtant Nine aurait plein de projets pour toi !

D’un seul geste simple et efficace, il repose la couette sur ton lit. En se redressant, ses mains se posent sur ses hanches pour se donner un côté faussement fier par la tâche accomplie.

“Voilà ! Tout propre pour la princesse Mielle.”

Il t’observe en ricanant. Enchaîne par la suite en venant ébouriffer tes cheveux.

“Je vais te laisser te reposer.”

Puis il se fait tard. Le soleil a totalement disparu à cette heure-ci - Nine ne peut même plus faire compétition avec.

“On se revoit bientôt ! Merci pour la soirée -” Il n’oublie pas les plusieurs paquets qu’il peut stocker dans sa chambre grâce à toi. “Et pour les gâteaux !”