amazed

le sport c’est bon pour la santé, ça renforce les muscles et ça aide à garder la forme. c’est pour cette raison que ce matin Caïn s’est rendu une énième fois au stade. il s’adonne à cette activité plusieurs fois par semaine et laisse les jours de repos aux autres clubs. il aime sentir son cœur battre plus vite que ses jambes après une course déchaînée car c’est la preuve qu’il est en vie. ça ne le dérange pas d’avoir la sensation néfaste d’une courbature après l’effort car c’est la preuve qu’il progresse. il lui arrive de se mêler aux autres membres du club s’il les croise et que ces derniers décident de l’aborder, autrement il court en solitaire. cela ne le dérange pas non plus car il a davantage ce sentiment de se concentrer sur son propre objectif et parce que presque rien ne dérange Caïn. alors après quelques minutes d’étirement le voilà parti sur la piste ovale. habituellement, il lui arrive d’enchaîner plusieurs tours avant de s’épuiser s’il n’est pas encore mort de soif. aujourd’hui il n’en fait qu’un avant de se stopper net.

Kafka c’est ce mec étrange que Caïn a rencontré pour la première fois au club de méditation. quand on parle de lui, on parle de Kafka et de ses mouches. autrement, on ne prononce même pas son nom. il n’est pourtant pas méconnu des blocards. bien au contraire, il n’est pas rare d’ouïr dans un bruit de couloir que Kafka a encore vomit dans la journée. et quand il n’est pas célèbre pour ce piteux haut-fait, alors on peut le retrouver avachi à un endroit inattendu de l’enclave. généralement un endroit où il n'aurait pas dû mettre les pieds en premier lieu. le stade par exemple.

à la vue de son corps écrasé au sol comme une mouche contre une vitre, les bras déjà prêts à accueillir le jugement dernier du Père Suprême, Caïn grimace. il n’est pas anodin pour lui de surprendre Kafka - ou ses seules amies les mouches - en train de l’observer au loin. cela n’énerve pas Caïn, car rien n'énerve Caïn. il se contente simplement de ne pas lui adresser la parole lors de la prochaine séance de méditation et de - comme les autres le font souvent - éloigner son tapis du sien. les mouches grouillent en mouvements irréguliers au-dessus de son corps inerte. on pourrait le croire décédé depuis plusieurs jours déjà. Caïn a beau s’être mit pour objectif d’être amical envers Kafka (car voyez-vous, nulle créature néfaste aux autres n’irait s’allier à la victime principale de l’enclave), sa faculté à masquer son dégoût envers lui a des limites.

maintenant si quelqu’un venait à passer ici et percevait cette scène entre cette grande silhouette stoïque qu’incarne Caïn face à ce corps évanoui, que pourraient-ils s’imaginer ? ni une ni deux, Caïn prend la décision de soulever le corps de Kafka. il marche (car il n’est pas pressé non plus) en direction du banc le plus proche et y dépose la larve. muni d’une grande générosité aujourd’hui, comme si les deux petits diables sur son épaule s’étaient métamorphosés en anges le temps d’un instant, il décide de rester près de lui jusqu’à son réveil, espérant qu’il émerge rapidement. pour obtenir un minimum de satisfaction de son côté, Caïn n’aura qu’à le faire culpabiliser pour les minutes d'entraînement qui auront été perdues par sa faute.

Kafka attise la pitié, que l'on pose des yeux de mépris ou des yeux de compassion sur lui, ce n’est une nouveauté pour personne. pas même pour Caïn à qui il arrive d'avoir des élans d’altruisme à son égard. lorsque Kafka ouvre la bouche et que ce n’est ni pour baver, ni pour vomir sur autrui, alors il bègue. il faut s’armer de patience pour déchiffrer ce qui sort de sa bouche. il trébuche sur ses mots, prend cet air naturel qu'il a d'être hésitant qui le rend débile. si la honte pouvait tuer il serait mort plus d’une fois. enfin, c'est ce que pense Caïn sous ses airs sympathiques.

Caïn est posé au sol, une jambe étendue, l’autre recroquevillée avec ses deux bras l’entourant. il attend le réveil de Kafka, lâchant quelques soupirs las à répétition calculée (il n'a pas envie d'être ici), puis se retourne vers le corps auparavant évanoui lorsqu’il entend le son presque trop sourd de sa voix. Kafka geint, est comme un enfant s’étant préparé à se faire chapitrer pour une grave erreur. Kafka ! Caïn s’exclame, presque un peu trop enjoué, lui donnant cet air hypocrite qu’il espère ne se fera pas relever. j’étais inquiet. il continue sur sa lancée et en profite pour essuyer la bave coulante sur son haut maintenant bon pour la machine, exagérant le mouvement devant un Kafka intimidé, pouvant se traduire par “tiens, regarde comme tu es sale ! et tu oses me salir au passage !” Caïn a beau se montrer plus altruiste qu’un autre envers Kafka, il lui démontre par ce geste qu’il ne sont pas les mêmes. Caïn ne se considère pourtant pas meilleur qu’autrui, c’est la réputation de Kafka qui lui est inférieure.

il le retient de s’évader en agrippant sa cuisse d’une poigne ferme tout en le soutenant du regard. reste ici… j’insiste. de ses yeux se décroche un air doux presque rassurant. il maintient un court un instant ses doigts sur sa jambe chétive, s'assurant que Kafka ne fuira pas lors de la détente de ceux-ci, puis le relâche et se relève. tu m’as interrompu dans mon entraînement mais je ne compte pas m’arrêter pour te faire plaisir. ce serait trop beau. viens courir avec moi. sans tomber je veux dire. le ton est amical, peut-être un peu trop, bien que la dernière partie de la phrase ressemble à un reproche, mais il ne laisse pas de porte pour un potentiel refus. tu me dois bien ça après tout ! il lui tend la main.