amazed

— The innocent life, the innocent touch is never enough

Lorsque l'on dit pardon, l'on ne doit pas s'excuser directement auprès de Dieu lui-même.
Dieu perçoit difficilement les regrets ; aussi faut-il les remettre à des Gardiens de bonne foi.
En général, ils en font ce qu'ils veulent, car ces indulgences n'ont pas plus de valeur pour eux que les  coquilles de nacre.

Depuis ce jour, il évite complètement de la regarder.
C'est mal de sa part, de ne pas être venu demander pardon avant que Robin ne le lui rappelle — puisqu'il s'agit de cela, sans doute ; le rappeler aux conditions de sa dévotion.
Il a honte de ne pas avoir demandé pardon avant l'intermède de l'Envoyée. Il a tellement honte qu'il en pleure un peu.

Il n'a pas vu son visage depuis des jours ; il se l'imagine donc comme la lune — les sourcils légèrement froncés et le regard débordant de cette grâce sans éclat qui n'est pas sans rappeler la retenue des fleurs de lys. Robin pourrait le prendre par la main et le guider avec sa fermeté et sa douceur habituelles — lui donnant l'impression qu'il n'a plus rien à craindre des cycles. Pire, elle pourrait lui pardonner directement. Ce serait horrible.

— ...

Il regarde l'ombre de Robin, ses contours souples et les fourmis qui se coulent entre leurs pieds.

— Robin...
... Je ne recommencerai plus...

En séchant comme de l'encre, ses larmes font des petites tâches noires à leur pied — le déluge pour les fourmis.

— The innocent life, the innocent touch is never enough

Il est bien sûr qu'elle doit ressembler à un juge — elle a les pieds nus, une voix de mirage en noir et blanc et peu de questions.

Robin est une bonne guide. Elle est dévouée, chaleureuse et hors de portée ; elle ne fait aucun cas des fleurs.  
C'est une abeille parfaite et inspirante.  

— hmm... mmh...

Il n'est pas digne d'être à ses côtés, mais Robin l'enjoint à s'asseoir comme s'il s'agissait là d'une chose naturelle et très sensée. S'il se concentrait davantage, il pourrait percevoir ses ondes, le vrombissement régulier de son âme, la chaleur rêveuse dégagée par son organisme en mouvement ; et toutes ces sensations relèveraient malgré tout de son imagination.

Sa position à ses côtés est en réalité insoutenable.

— Robin...
Est-ce que... tu as déjà...
hm...

De Robin, il admire l'amour, la dévotion. A vrai dire, elle l'inspire.

— eu env-v-ie...
... de savoir...

Robin est amoureuse ; Robin est donc vorace. Mais Robin mène son jeûne avec une piété diligente, et sacralise les rapports avec l'objet de sa gourmandise.
Robin est une sainte.

— qu-qu-quel gout... elle pourrait... mh
m-m-magda...

... tu as déjà eu envie de manger magda...

— The innocent life, the innocent touch is never enough

Robin le presse de questions saillantes comme des aiguilles. En imposant son rythme, elle le rappelle à l'ordre terrestre, et s'accomplit en tant qu'intermédiaire de la volonté céleste.

d'une certaine façon, il se sent proche d'elle.
il n'oserait pas comparer les principes de leur adoration respective  — la mystique de Robin influence son jugement et, en quelque sorte, en pervertit la logique

il s'imagine que Robin aime sans succomber à la tentation d'établir des pactes avec soi-même ; il s'imagine donc qu'elle aime avec une certaine avidité.

la première question le fait rougir.

— oh !... non... non...
on ne tombe pas amoureux de Magda comme ça. Se convertir est un travail de longue haleine.
— non... non... non... il secoue la tête avec légèreté — l'on ne saurait dire à son timbre s'il est amusé ou s'il est désespéré.
c'est pas ça...

pour répondre à la deuxième question, il est obligé de la regarder ; il s'imagine que Robin leur a appris une certaine forme de dignité qui rend obligatoire l'auto-flagellation.

— hm...

on n'envisage pas même la possibilité de mentir à Robin. Pour Kafka, elle dépasse le statut d'entité ; non pas seulement en vertu de son pouvoir, mais parce qu'elle s'envisage terrestrement, à la hauteur des hommes.

— o-oui
je crois
que je l'aime...

...

il sourit en regardant ses pieds.

...

— ...
b-bien sûr ! on dirait qu'il est blessé.
bien sûr... m-mais
...

évidemment,
il s'est déjà imaginé en train de la goûter
il a réfléchi au choix de ses parties ; au cérémonial de la dégustation
à chaque fois, il en a vomi.

il est animé de la certitude terrible que Robin ne se mange guère.

— hm...
... je ne sais pas...
comment t'expliquer...
robin...

je peux pas m'imaginer... faire ça... avec toi... tu vois ?
c'est comme si... hm...
je faisais quelque chose de ... vraiment...
...
... mal.

m-mais...
si tu veux, comme s'il devait se justifier
si tu veux
si c'est vraiment ce que tu veux
...

Mais qui saurait présumer des désirs de son guide ?

— The innocent life, the innocent touch is never enough

robin est pour lui l'incarnation globale et pragmatique des formes les plus louables de la chasteté.
c'est encore un fantasme qu'il tient d'on ne sait où. Attribuer à Robin toutes sortes de traits de caractère farfelus est une de ses stratégies de confort. Il a pris l'habitude de se consoler en la drapant méthodiquement dans les étoffes indignes de son hideur personnelle. L'élan d'espoir halluciné qui l'anime dans ces moments de songerie — est digne des sculpteurs les plus pitoyables.

Dans son imagination, Robin subsiste en tant qu'Ange abstinent. C'est une figure de fresque.
Dans son imagination, elle révère Magda avec la noblesse de l'argile — et une certaine forme de perversité qu'il s'estime trop jeune pour bien comprendre.
Dans son imagination...

— hm... Robin ?

il a rougi violemment, et a porté une main à sa bouche, comme s'il avait besoin de résister à l'irrépressible envie de dire quelque chose de scandaleux.

— c'est... impossible...
je peux pas.

Robin ne se mange guère.
non ?

mais aime-t-on réellement ce qui n'est pas comestible ?

à n'en pas douter, il aime robin. elle est son guide, la gardienne de ses excuses ; elle est née toutes en plumes et en questions pressantes.  

alors ?

— je... peux pas faire ça
non, non, non.

l'idée du sang de robin lui fait mal au ventre.
Dans son imagination,
les veines de sa grande sœur sont coulées de bronze creux, et il y palpite un genre de vie amorphe mais sublime, sorte d'éther inconditionnel.

il réalise subitement qu'il a fait de robin un monstre
cette pensée le bouleverse.

— hu...

puisqu'il l'a transformée, il ne peut pas lui dire non. on ne dit pas non aux chimères.

il s'agenouille auprès d'elle en pleurant. robin, céleste en la matière, s'est substitué à l'ensemble de ses nuées.
d'une main tremblante, il a repoussé encore un peu le pan de son short.
que c'est obscène !

d'abord, il embrasse, les paupières closes, comme à chaque fois
kafka embrasse tout ce qui est vivant.

ensuite,
seulement ensuite,
il lèche.

sa langue au contact de robin produit un bruit de claquement indécent. il a l'appétit inaudible.  

il voudrait lui demander ce qui lui prend
Robin ! ça ne te ressemble pas.
( mais sait-il vraiment ce qui lui ressemble, à Robin ? )
les mannequins ? les pierres précieuses ?

et Magda, alors ?
ce n'est pas juste, que je te goute avant elle...
( mais que peut-il dire des goûts de magda ? )
peut-être n'a-t-elle pas soif de bronze.

et puis
il y a cette règle absolue :
on ne parle pas la bouche pleine

il mord.

et maintenant, l'aime-t-il correctement ?

curieusement, le sang de robin a le < goût > de la terre.
elle a la peau juste assez souple et elle s'est trompée
car kafka éprouve un certain plaisir à avaler tout rond la répugnance des autres. bien sûr, il savait que la chair de robin ne le ferait pas changer d'avis
ne le rendrait pas chaste,
quelque fois, parce que l'on naît profane — l'on en sait plus que son guide.

il se deviendra jamais l'image qu'il se fait d'elle. il sera toujours dégoutant et il aura toujours de l'appétit pour les belles choses, les choses vivantes.

il a ouvert les yeux et la regarde
il ne peut pas la supplier de le faire s'arrêter
on ne parle pas la bouche pleine.

et robin est belle ainsi.

— The innocent life, the innocent touch is never enough

Robin, opaque, lui ordonne de lâcher.

Il est soulagé de la voir s'essuyer, et contemple son œuvre avec incrédulité. L'incarnat du sang de sa sœur, dilué dans la salive, a l'air déliquescent ; sa clarté surnaturelle lui semble d'ordre mystique.

Voilà ; il s'est mélangé à cette chair.
Il a tué "l'archange" Robin.
Cet accomplissement impie, qui relevait de la déviance il y a encore quelques instants — propage à présent son brouillard de pourpre au-delà de leurs deux corps, qui n'y peuvent rien.
Cela reste infime ; mais c'est en cette insignifiance que réside la perversité.

— ... Je suis désolé. Mais il ne s'essuie pas la bouche et il se lèche les lèvres pour se nettoyer. Ce reflexe le consterne.

Elle l'a pris par le bras. Elle a des gestes précis, tout à la fois dirigés et sans fondement. Sa prestance s'étire au ralenti, et on peut la décomposer en plusieurs tableaux reliés les uns aux autres par une loi de continuité totale et strictement indiscernable. La neutralité qu'il lui prête le console un peu. Il s'agit pourtant d'une forme de délicatesse. Pour lui, c'est une caresse.

Il frissonne quand elle relève sa manche. Il sait ce qu'elle va faire et il la regarde.

L'acte s'inscrit dans la logique de leur profanité, et lui arrache un haut-le-coeur. A nouveau, Robin échappe à l'ordre du monde en se subsistant aux principes qu'il concevait jusqu'ici avec une naïveté méthodique.

Assurément, cela ne peut pas vouloir dire que Robin l'aime. C'est une punition. Voilà ; Robin le punit — c'est ce qu'elle a dit, c'est une punition. Elle le punit parce qu'elle l'a laissé l'adorer. Il n'est pas question d'Askhat. La justice de sa grande sœur est au centre de l'univers. C'est un devoir. D'ailleurs, elle a prononcé la sentence comme s'il s'agissait d'une prophétie frivole.

— ...

Bien sûr, il pleure et se sent coupable de sa propre dévotion envers elle. En même temps,
Robin a accompli leur rituel

Au fond de lui, il ne peut s'empêcher de songer à quel point il a de la chance.

de Robin, il possède quelque chose d'unique.

une relique très singulière, dont même Magda ne dispose pas. quelque chose qu'il ne s'est pas seulement approprié ; Robin lui a donné l'autorisation de le prendre.

il ne peut retenir un petit rire d'euphorie désespéré. la couleur de son propre sang le terrifie. il est surpris d'y retrouver les mêmes tons de grenat dilué. il considérait très respectueusement la sacralité des veines de Robin.


— Robin...
...
... pardon...
...
j'oublierai pas... je m'en souviendrai...

il sanglote. il attend qu'elle lui dise : va, pour retirer son bras.

—  ...
robin.

un sentiment ardent de convoitise lui retourne l'estomac.

ils peuvent bien partager cela, maintenant.
d'une certaine façon, il en sait plus que les autres
il en sait plus que magda
il sait tout de robin — l'irrésolue, l'insolvable, le miracle robin.
il est omniscient.

— ...

est-ce que...
...

...

c'était...
bon ?

si elle lui demande — il lui dira.

— The innocent life, the innocent touch is never enough

Robin, elle aussi, — possède sa propre manière de panser les plaies.
elle lui essuie les joues — l'envergure minutieuse de sa dévotion évoque la tendresse des bêtes qui lèchent leur petit à peine né.
kafka l'imagine affamée d'autres formes de vie ; comme si robin, impalpable par obligation, se devait, pour reprendre ses droits — de consommer le placenta des saints en gestation
— Robin console en sévissant. d'une certaine façon,
ce jardin lui appartient en entier
— beaucoup plus qu'à Magda, dont le règne s'arrête à la frontière des champs

— beaucoup plus que n'importe qui ; elle n'a besoin que de son mouchoir pour exercer son autorité.

— ...

kafka veut devenir une abeille parmi les autres. il a besoin du miel de magda ; de la fluide sévérité de robin, qu'elle conserve dans sa poche, pliée en quatre  
( il voudrait lui demander plus.
et moi,
et moi,
j'ai quel goût ? )

elle l'a mordu...
elle dit qu'elle n'a pas aimé...

elle qui a déjà digéré Tay...
est-ce bien juste ?

mais les guides ont-ils vraiment besoin de leur langue ?

— ...
d'accord, robin.
je ne le ferai plus...
je vais arrêter...
moi aussi... je veux vraiment...
devenir...
une abeille...

robin est une menteuse, pense-t-il ; et de le penser, il pleure encore.
bien sûr, les bons précurseurs mentent toujours un peu, se dit-il.
mais en ne perçant pas le secret de leur sang échangé,
en refusant de se dissoudre complètement dans leur existence fielleuse, pourtant inaugurée d'un coup de dent
en conservant sa justice de guide,
robin s'éloigne de la nécessité des voluptés terrestres, transcende superbement son humanité, et s'inscrit définitivement dans le champ astral de l'irrémédiable.  
pour lui, cela justifie qu'il lui mente aussi.

— ...
je ferai des efforts...
et...
...
je ne ferai plus de mal...
à nos amis...
à toi aussi...
et...
tu n'auras plus besoin... de...
me...


mordre...


c'est dommage.