amazed

Les mains solidement accrochées à leur col, il les amènent. Les sourcils froncés, passablement agacé. Parce que ce n’est pas de cette façon qu’il avait pensé à commencer sa matinée.

Qu’est-ce qui m’a fichu une bande de crétins pareil !

Devant lui, ça rentre les têtes dans les épaules. Pas fiers. Évidemment, ils se sont fait prendre. Les paris d’adolescents sont bien moins marrants quand on doit en assumer les conséquences.

C’était même pas notre idée… murmure l’un.
Ouais, c’était Adam…. glisse l’autre.

Mais Adam ou non, Luke s’en fiche, les parents s’en fichent, tout le monde s’en fiche. Comme le dit Luke : Vous avez été assez bêtes pour le suivre. Les adolescents soupirent, résignés sur leur sort. Luke s’en doute, ils recommenceront. Il a été comme ça, lui aussi. Il était comme ça, il n’y a pas si longtemps.

Appliquer les punitions des parents était l’une des nombreuses tâches qu’il avait désormais à sa charge et les deux trouble-fête devant lui constituaient son galon d’essai. Hors de question d’être souple. Il ne manquerait plus que les mauvais comportements explosent chez les PHY et qu’on l’en tienne responsable.

On va vraiment trier les poubelles ?
Ouais.

À quelques mètres des poubelles, Luke se stoppe. Il lâche les deux insolents, un regard nerveux vers la zone de tri.

Moi aussi, j’ai aucune envie d’être là. Souffle-t-il. Là bas, il y a lui. Lui à qui il n’a plus parlé depuis qu’ils se sont écharpés. Luke aurait pu en garder les stigmates, mais il s’était empressé de tout faire disparaître. Il a ce luxe, Luke, de pouvoir choisir ce qui le marque ou pas. Dans un soupir, il glisse de nouveau son regard sur les deux enfants. Des mômes, qui n’ont pas plus de quinze ans. Deux PHY qui réfléchissent avec leurs tripes plutôt qu’avec leur tête. Luke passe une main sur son visage. Allez, ça va le faire. Vous avez merdé, vous allez assumer, point.  La prochaine fois qu’Adam vous mettra au défi de taguer les tables, vous y réfléchirez à deux fois. Allez, on se bouge.

Il n’a que peu fréquenté cet endroit. L’âge des cache-cache dans les serres était passé et quand on est bon élève, on a rien à y faire. L’odeur du processus de compostage empeste. Luke fronce les nez, les deux ados, eux, s’exclament sans retenue.

POUAH ! ÇA PUE SA MÈRE !

Et il est là. L’expression de Luke se fige, de même que sa respiration. En lui, il sent monter ce mélange de colère, de reproche. Il est si pathétique, ici, Alfie. Il fait tache, trop grand pour un paysage aussi pauvre. Et pourtant c’est lui qui s’y est mis. Il le déteste, Luke, ne lui pardonnera jamais.

Luke, on va pas rester ici toute la matinée ?! Si ?

Luke détourne brièvement le regard de son ancien meilleur ami.

Si.

La dernière fois qu’il lui a adressé la parole, il se souvient lui avoir dit quelque chose comme “va te faire foutre”.

Ces deux-là sont assignés au tri des déchets. Ordre des parents.

Et comme personne ne bouge, il continue.

Occupe-toi d’eux, moi je suis juste là pour surveiller.

Non. Évidemment, non. Il réprime, Luke, le sourire nerveux qui menace de sortir. Non. Qu’est-ce qu’il aurait pu dire d’autres ? Les deux punis n’en perdent pas une miette. Évidemment ! L’insolence est quelque chose de si interdit qu’il en est distrayant. Pour eux, ça vaut bien les films du cinéma. Le premium surprend les regards curieux qui passent du sans-étoile à lui. On attend sa réponse, sa réplique. Luke représente un rapport de force, une force qui se doit d’écraser tout ce qui n’est pas à sa hauteur. Et s’il doit être franc, Luke, face à Alfie ainsi assis, quand bien même ça fera mal…. Ça fera surtout du bien.

La fange ne fait pas partie de mon domaine d’expertise, tu vois.

Une main sur la hanche, en redressant légèrement le menton pour le prendre de haut. Ah, ça y est, il lui en veut. Lui avec son mépris, lui misérable. On lui avait donné le monde et voilà ce qu’il en a choisi d’en faire. Ils ont raison, le père suprême, les parents. C’est de sa faute.

Il désigne les bacs à compost, d’un geste de la tête, sans le quitter du regard.

Ta responsabilité. Tu te démerdes.

Son regard passe sur les enfants qui, retenant leur souffle, attendent de voir la réplique du camp adverse. L’un donne un coup de coude à l’autre, qui se tortille d’un pied sur l’autre, assailli par la curiosité.

Heu…
Demande leur, demande leur.. !
Ssht ! On… Fait quoi du coup ?

Luke ne quitte pas Alfie du regard. Il a tout un système de son côté. Ce n’est pas lui qui est sans étoile, ce n’est pas lui qui est en tort. Alors qu’est-ce qu’il s’en fiche de rapporter. Il ne fait que dire la vérité.

Vous allez bosser et lui aussi. Ce serait bête de perdre vos Promotions Tickets.

Les deux deux étoiles se consultent du regard avant de regarder Alfie. À leurs yeux, rien ne justifie de perdre leur Promotions Tickets.

Il ne retient pas son rire, c’est tellement acide. Alfie, il n’a qu'à respirer pour le prendre à la gorge, pour que son sang pulse contre ses tempes, pour qu’il sente la fureur remonter le long de ses nerfs. Un grand faux-calme, Luke. Toujours un sourire tendre au coin des lèvres, mais sûrement pas le dernier à serrer les poings en rêvant de frapper.

Ah ! C’est tellement bas venant de toi. Sa langue claque contre son palais, plus froid, plus agacé. Quand il soupire, c’est tout en tension, avec un souffle de déception. Tu plonges dedans la tête la première et après tu viens le reprocher aux autres. C’est tellement toi.

Il croise les bras, se détourne. Ils ont un travail à faire et lui n’est là que pour observer. Il s’éloigne de quelques pas et plante son regard dans le dos des deux PHY. C’est triste à pleurer. Hormis les froncements de nez dégoûtés, la tâche en cours n’inspire aucune putain de réaction.

En silence, ils transvasent les déchets dans l’incinérateur. On pourrait croire que la machinerie pourrait tirer quelques exclamations, il n’en est rien. Alfie se débarrasse bien vite de deux encombrants, les aiguillant vers une autre blocarde que Luke n’avait pas vraiment pris la peine de regarder. Il suit du regard ses deux petits frères trottiné vers la demoiselle qui a l’air tout aussi enchantée qu’Alfie d’avoir des gamins dans les pâtes. Luke aurait préféré les faire courir, les astreindre à un entraînement physique, au moins aurait-il pu lui aussi se défouler.

La voix d’Alfie lui fait froncer les sourcils. Il tourne très légèrement la tête vers lui, heureux d’avoir le luxe des quelques centimètres d’écart qui les séparent.

Une menace ? C’est ambitieux.

À son tour de croiser les bras, le regard plus dur. Il se souvient, la dernière fois qu’ils sont parlés, moins de 48h après la chute de l’un et l’élévation de l’autre, ça s’était mal fini.

T’avais une belle gueule, Alfie. Maintenant ta gueule elle ne m’inspire que du mépris.

Ça pulse, c’est plus fort que lui. L’envie de lui crier des “pourquoi t’as fait ça ?!” mais à quoi ça rimerait, hein ?

On avait tout et t’as tout gâché. Mais vas-y, je t’en prie, menace moi, montre moi à quel point t’es hors de contrôle. Non seulement j’aime ça, mais en plus ça me donne raison. T’es vraiment juste un gros con.

Toujours la même. Ça ne s'écoute pas, ça s'entrechoque. S'ils s'entendaient, ils verraient alors les mêmes mots échangés d'hier, mais Alfie et Luke n'écoutent pas. Face aux cris douloureux de son ancien ami, Luke se braque, se mure dans son sentiment d'injustice. C'est un discours vain, qu'ils s'époumonent pourtant à hurler, dans l'espoir qu'ils s'entendent, dans l'espoir de se comprendre. Seulement Alfie et Luke ne s'écoutent pas.

Tu parles comme-ci quoi que ce soit ici t’appartenait, mais rien ne t'appartient. lui aussi serre les poings, maintenant. Il sent ses ongles s'enfoncer dans ses paumes, la douleur imprégner ses mains. C'est peut-être bien la seule qui retient ses coups, la seule chose qui le connecte avec le peu de conscience qu'il lui reste. Tu as perdu tes droits en même temps que tu nous as tourné le dos.

Parce que combien de fois on lui avait dit, à Alfie, de ralentir, de faire attention, de ne pas partir ?

Ouais, hein. Combien de fois on t'a averti ? Combien de fois je me suis exprimé ? Mais t'en avais rien à foutre. Y avait que toi et ton désir de briller aux yeux de ta pouffe et voilà où tu en es.

Luke désigne les poubelles autour d'eux en ouvrant les bras. Ainsi donc voilà le piètre royaume du grand Alfie. Il ne lui pardonne pas. Tomber si bas et le lui reprocher. Alors que c'est lui ! C'est lui ! On ne l'aurait pas récompensé, Luke, s'il avait mal agi.

J'aurai dû faire quoi, Halfman, te laisser pourrir dans le labyrinthe parce que t'as été assez con pour t'y rendre ? T'es vraiment pathétique.

Et puisque Alfie le menace, Luke bombe le torse. En fait, il se rend compte que ça ne lui déplairait pas, qu'Alfie le frappe, se jette sur lui, le déchiquette. Alors lui aussi aurait toute la légitimité de le déchiqueter.

Ce que je vais te faire ? il s'approche penche la tête pour lui souffler prêt à sortir les crocs. Des choses que tu vas regretter.

Parce qu'il n'est pas le seul à être trahis, Alfie.

Je suis là où je dois être. Toi en revanche tu n'es pas le nez dans tes poubelles. Fait donc ce qu'on te demande pour une fois.

Pourquoi il frappe pas, Alfie ? Pourquoi il attaque pas ? Ce serait si bon pourtant, ça ferait tellement de bien. A se déchirer, comme ça, c'est plus fort qu'eux, que lui surtout. De la même façon qu'il a arraché ses étoiles du plafond le soir où il a emménagé. De la même façon qu'il a saccagé son antre avant de tout remettre à neuf, misérable, les étoiles comprises. Dans les paumes de Luke, la douleur pulse, plus forte. Les éclairs dans les yeux d'Alfie le meurtrissent autant qu'ils l'excitent. Chant guerrier qu'il besoin de chanter, autant qu'il est anéanti de le faire.

Alors pourquoi es-tu ici et moi là ?

Non Alfie, non. Le seul qu'on ne croit pas : c'est toi.

C'est toi qui étais là-bas.

Alors qu'ils devaient se voir, alors qu'ils s'étaient promis. Mais il était venu là-bas, avec elle, sans lui dire. D'autres étaient au courant. Mais pas lui. Ah, ça, c'est peut-être bien le diable dans le détail.

Pourquoi tu-
LUKE, LUKE REGARDE O-

Les gamins se stoppent, les mains pleines de terre noires et puantes. Finalement, mettre les mains dans le compost leur a plus. Mais face aux mines fermés de leurs aînés, les deux garçons reculs en échangeant des regards incertains. L'ambiance est électrique, le temps est à l'orage. Luke souffle, ravale le cri de rage qui comprime sa poitrine.

Ce n'est pas censé être un jeu. Vous avez fini ? Allez vous lavez les mains.
Quoi, on a fini ? Mais on vient juste de-
On va rentrer, vous irez en salle d'étude et vous rédigerez à l'attention des parents un compte-rendu de ce que vous avez observé aujourd'hui et sur... il réfléchit une seconde, pas inspiré. Son regard se tourne vers Alfie, dur. Et sur l'importance de penser par soi-même plutôt que de vouloir plaire stérilement à d'autres.

Ça soupire, mais ça obtempère. Sans quitter Alfie du regard, Luke desserre les poings.

Tu sais comment je l'ai appris ? Alors que je t'attendais comme un con ? Par Saki. Il le bouscule de l'épaule pour le dépasser. Insulte moi autant que tu veux. Je t'ai dénoncé, ouais. Mais c'est pas à cause de moi qu'on sait plus où est Mia.

Si l'avertissement a été sifflé, il ne l'a pas entendu. Luke parle, débite, assène. Si on ne peut pas frapper avec les poings, on frappera avec les verbes. Ça lui semble important, nécessaire, de le lui dire. Il l'a dénoncé, peut-être l'a-t-il même trahi. Mais il l'a fait pour lui (lui), parce qu'il se mettait en danger. Et il a eu raison, parce que de leur escapade déraisonnable, seul Alfie est revenu.

Et soudain, la colère explose.

Alfie le saisit par le col. Entraîné par la force déchaînée du sans-étoile, Luke heurte le sol dans un cri. Autour d'eux, ça s'agite. Mais si Luke capte du coin de l’œil ses deux cadets courir dans leur direction, il ne voit plutôt plus que lui. Plus qu'Alfie.

Alors que sa tête frappe le sol, que son t-shirt l'étrangle, Luke ne répond plus de rien. Ses mains saisissent à leur tour le col du déchu pour le tirer à lui et serrer, serrer encore.

POURQUOI ?! T'AS HONTE ?!

Il pourrait le déchirer, le déchiqueter, dieu qu'il en rêve.

C'EST TOI QUI A FAIT TOUT CA ! C'EST TOI !

L'air lui manque. Luke inspire douloureusement mais il sent que ses poumons se compriment, assoiffés d'oxygène. Quel con d'avoir crié. D'un gargouillement étranglé, il serre un peu plus sa prise dans l'espoir de le faire lâcher. Une ombre passe derrière lui, puis derrière Alfie. Soudain un bras passe en travers de la nuque du sans étoile. On le tire et la voix de Robin résonne. Calme. Méthodique. Luke se dégage, sans manqué de fourrer son pied dans le ventre de son ancien meilleur ami au passage.

Put-

Il retient les insultes en prenant conscience qu'ils sont désormais le centre de l'attention. Luke se relève, les habits souillés par la terre battue. D'un regard noir pour Alfie, il siffle.

Vous deux, à l'étude.

Les petits s'empressent de partir sans demander leur reste. Luke n'a de cesse d'observer Alfie, d'un pas prudent il recule, lance a l'attention de Robin.

C'est bon, c'est bon.

Il y a bien un certain nombre de choses que Luke pourrait dire, mais toutes aggraveraient son cas. Pour Alfie, il a un véritable regard de reproche. C'est devenu une habitude de lui en vouloir pour ne pas se détester soit. C'est effrayant, même, comment ça pourrait devenir naturel.

Non, ça va, rien qui ne se répare pas. Il n'est pas du genre à se plaindre, Luke, de quelques potentielles marques. Hormis ses vêtements sales et son ego malmené, il n'a pas mal. Il sait, cependant, comment il a merdé. A Robin, il ne peut pas lui donner tort. Un premium qui se roule dans la terre avec un sans-étoile c'est un manquement à la noblesse de sa fonction. Le blocard pince les lèvres. Je cherchais juste à me dégager, c'était pas volontaire. ment-il.

Il soupire, agacé.

Ce ne sera pas nécessaire, Robin. On a dérapé et ça ne se reproduira pas. J'irai moi-même informer Remy, je dois lui faire un rapport sur les petits de toute façon. il hausse les épaules, désabusé. Je m’acquitterais de la corvée qu'il juge bon de me donner.

Il lance un regard, à Robin d'abord, puis à Alfie dont il détache son regard douloureusement. Tomber aussi bas pour un sans-étoile, tu parles d'un champion. Mais il sait que le système joue en sa faveur. Si la forme est discutable, on ne reprochera jamais à un premium de rappeler aux autres où est leur juste place. Luke secoue la tête, non, pas besoin d'aller jusque-là. Peut-être. Il ne sait pas. La colère est encore vive et l'humiliation douloureuse. Il verra bien. En enfonçant ses mains ses poches, Luke trouve le contact rassurant de son rubik's cube. Il le sort, commence à le manipuler d'une main, machinalement.

Si personne n'est blessé et qu'on en a fini, je propose qu'on laisse les blocards à leur travail. Aucun PHY ou PSY ne nécessitent notre présence ici.