amazed

Aaron ne comprenait pas.

Il posa son regard sur le violon mutilé. Il s'accroupit. Il le prit délicatement dans ses mains, ce corps souffrant avec les quatre cordes distendues dessinant des courbes tourmentées. L'instrument, brisé, aplati, réduit en morceaux, poussait d'étranges cris d'agonie qu'aucun animal mourant n'eût émis dans la forêt des chasseurs impitoyables.
Seul à sa place au milieu de visages brouillés composant l'orchestre, Aaron demeure impassible. Ils chuchotent, certains rient, d'autres s'aiment et les notes, elles, s'enchaînent dans une cacophonie assourdissante.

Il ne comprenait pas.

Pourtant Aaron ne s'était écarté de la partition, il en avait appris chaque note, chaque nuance telles des prières prononcées à l'orée du soir, à genoux toujours courbé. Croire qu’il puisait cette inspiration dans ce qu’il avait appris était une erreur. Non, il avait volé chaque note lors de leurs échappées. Il s’était emparée de la tonalité du vent sur son visage, de l’eau sur ses jambes quand elle l'avait appelé à la rejoindre, de l’aube plombée du mois d’août, du chant de l'oiseau qui déchirait le ciel -ceux qu'ils s'étaient promis de voir au Paradis-, de la flamme qui la brûlait tout entière, quand la pensée de partir au loin s’emparait d’elle. Mihla devenait alors ce paysage imaginaire, celui ourdi à plat sur la table, plume à la main, tableau extravagant, fresque de couleurs vives, ciel radieux, épais, qui s’accroche aux toits, aux campaniles, lapis mystérieux, une couleur en héritage, cachée dans un ourlet de robe.

Un certain bleu pareil aux myosotis.

Mais cela continuait de lui échapper, comme une partition qu'un musicien ne saurait compléter. Alors les gestes du violon était le seul espace où il se déliait, le seul espace où il pouvait écrire dans la logique qui lui était propre. Sinon, il se tiendrait droit, comme maintenant. À n’être rien que cet instrument. Une mélodie simple, touchante, lancinante, transparente comme un ruisseau de larmes, commença à couler sur les cordes du violon. En levant les yeux alors, il l'apercevrait peut-être danser à nouveau dès lors que cette dernière composition aurait trouvé une fin à sa mélodie.

Il sentait sa présence et son odeur, écoutait son souffle devenir de plus en plus léger et faible. Puis inexistant.
- Attends, souffla t-il.
Mais elle n’attendit pas.