amazed

je n'aime pas le silence alors je remplis ma tête de combinaisons de mots que tu ne saurais jamais imaginer ; d'ici ou là-bas, qu'importe, j'ai eu trop dans le cerveau pendant longtemps, je crois que c'est ça qui m'a rendu un peu fou, comment contenir le fini de ce qui paraît innombrable ? comment réaliser que l'univers a une fin et que nous sommes incroyablement petits et pourtant toujours infiniment plus grands que d'autres choses encore ?
je ne le voulais pas mais j'ai comparé ton silence à l'abandon des étoiles. bien sûr ! c'est arrivé pareillement, d'un jour sur l'autre, sans prévenir ; il n'y avait aucun signe, c'est juste arrivé, et tu m'as abandonné, et j'aimerais faire le fort le fier dire ah ! c'est pas ma première fois, mais la vérité c'est que c'est toujours aussi misérable. j'ai regardé mon nexus toutes les sept minutes environ j'ai activé les notifications je me ruais dessus à chaque son et ce n'était que déception quand il n'y avait pas ton nom, j'ai fait semblant de ne pas te chercher entre les têtes des invités mais j'ai bien sûr menti je me suis proposé pour récupérer la vaisselle sale pour changer les nappes en papier dans l'espoir de te localiser, je suis allé du côté des terrains de sport on m'a dit que je ne pourrais pas rentrer mais de toutes manières j'avais vu à travers le grillage que tu n'étais pas en train de frapper une balle, je t'ai imaginé seul pleurant de mon absence et cela m'a fait plaisir mais je croyais plutôt que tu n'en avais rien à faire et de ça je ne m'en remets pas même si c'est probablement la vérité.
alors la journée s'est passée avec toi malgré tout, que tu le veuilles ou non ; c'est une violence particulière, je pense, de te déposséder de toi et de te soumettre à mes instincts, mes automatismes, mes blâmes habituels -ma sombre mortalité, finalement ! et les vices qui l'accompagnent, qui te font épouvantail aujourd'hui et amoureux demain, cette fois-ci avec ton accord.
alors quand je te vois, mes yeux embrumés de sommeil et de rouge, je crois que c'est encore un jeu de l'esprit, une blague peu drôle de moi à moi, une punition qui appuie la solitude ; j'étais prêt à faire demi-tour, allumer une cigarette, et me réfugier dans les bois -quelque part où les branches empêcheront au ciel de m'espionner. le nom a le même point après lui que l'autre jour, et mes épaules se contractent malgré elles, c'est un réflexe des faux coupables qui feront tout pour que ça s'arrête ; le cœur bat la chamade et j'ai agréablement chaud tout autant que j'ai mal. qu'est-ce que tu vas me dire, hein ? est-ce le coup final ? bien sûr ! moi je nous voyais autrement mais je n'attends plus rien de nous. c'est la dernière fois que j'utiliserais ce mot-là pour toi et moi ; cela n'en vaut pas la peine, probablement, je verrai, j'en sais rien, de toutes manières j'agirais encore sans réfléchir alors --alors je me prépare et je reprends la marche vers ma chambre et pas du tout vers toi.
ça ne fait que deux jours mais tes yeux ne sont plus mornes et ça confirme tous les pires doutes que je m'étais imaginé ; tu penses que tu es bien mieux sans moi, et tu reviens me le dire, avec une complaisance dégueulasse des gens qui ont pitié, qui se croient meilleurs, qui pensent pouvoir donner des leçons, je le sais ! je l'ai déjà vu entendu senti des milliards de fois, tu ne m'aura pas, je ne t'écouterais pas et dans ma chambre fermée je pleurerais en silence pour que tu ne puisses pas m'entendre, je déchirerais les poèmes marqués de ton nom et je leur donnerai une utilité en essuyant les fleuves qui, une fois taris, ne sauront plus contrôler le volcan toujours éveillé.
je le sais !
alors quand tu t'excuses, hé bien
quand tu t'excuses, ah
enfin, tu t'excuses, vraiment ?
je veux dire ! bien sûr !
les sourcils passent d'écarquillés à froncés et je ne laisse pas le bonheur s'infiltrer, il faut être prudent, voilà, il faut refaire le travail, me prouver que tout ça n'est pas qu'une partie de ton plan -j'ai pas oublié ce dont je me suis rappelé ; tu portes encore des traces de fausses étoiles et j'en sens les grossières poussières jusqu'ici.
je regarde ta main et je ne sais pas trop quoi en faire ; dans un réflexe trop naturel j'ai failli avancer la mienne, que je dévie pour croiser les bras, l'épaule contre le mur, les cheveux tombants en avant. on est dehors. il ne faudrait pas qu'on nous voie, non ?
du sol, je remonte mes yeux vers toi. j'ai les habits sales, la sueur en collier qui me rend puant, mes mains me font mal, je suis fatigué et j'oublie tout cela comme si tes excuses étaient une formule magique. ah. c'était tout ce que je voulais, alors pourquoi est-ce que j'hésite tellement ?
à cause des blessures, bien sûr. pas que celles d'avant-hier. certaines ont presque mon âge. qu'est-ce qui t'es arrivé ? mon pied vient écraser quelque chose d'inexistant par terre pour s'occuper, et je regarde parce que je sais que si je vois tes dents mal alignées, tes cheveux qui tombent sur tes yeux, tes cernes aux couleurs d'ecchymoses, ça sera tellement plus dur de rester à distance. j'veux dire, pour arriver à ton état anormal et pour en sortir. je meurs d'envie que tu dises moi. que je sois la solution à tes problèmes, ton étoile du nord, la cause de ta sanité, et toutes les terribles choses qui font de moi un outil au lieu d'un homme.

le jour où tu me trahira ne sera pas différent d'hier. dans cette répétition prévenante, tu m'as montré comme c'était facile de se détester plus que ce qu'on le pensait, et combien ma haine ne faisait rien à ton apathie. ça sera comme ça aussi, plus tard. tu le sais probablement, ce n'est pas ta première fois, et puis de toutes manières, tout ce qui t'intéressera ça sera toi ; qu'importe si je crie ou si je pleure, tu laissera de notre château les murailles pour que tu n'aies plus à m'entendre ou me voir. il ne faudrait pas t'embêter outre-mesure. et si j'accepte juste, ça t'arrangera bien. dans tous les cas tu es gagnant. alors, vraiment, clair, ne peux-tu pas m'épargner ? faut-il vraiment me faire croire encore à l'avenir de ton affection, à l'extraordinaire de notre lien, à la réalité de tes excuses ?
je n'ai pas encore compris la cruauté de ton égoïsme. c'est cela de n'avoir aucun ami pour m'écouter : personne ne peut me prévenir. la toile était déjà tissée ; il ne te restait qu'à venir me dévorer. même quand tu reviens, ce n'est pas vraiment pour moi.
si je le savais, j'aurais écarté ta main de mon visage.
à la place, je remonte les yeux vers toi, dans l'expression des enfants qui ne savent pas décider s'ils sont coupables ou non face à son parent qui l'accusait jusqu'à changer d'avis. je n'aime pas faire cela dans les couloirs. je n'aime pas savoir que les autres nous perçoivent dans cet instant qui, comme nos colères, ne devrait n'appartenir qu'à nous, toujours à ton avantage. je n'aime pas parce que j'ai peur de laisser ma trace sur ton dos, que l'on se moque de toi comme on a pu me le faire.
j'aurais aimé que tu touches la peau de ma joue. peut-être aurais-je attendu un baiser. tu m'as manqué et je suis vorace des choses tendres. il n'en faut pas plus pour appâter ma méfiance avec la force de ce qui est connu, de ce qui pourrait être. ce n'était pas si grave, non, finalement ?
tu parles et je baisse de nouveau les yeux. la rage est revenue parce que tu parles de quelqu'un d'autre ; à quel moment est-ce qu'un inconnu s'immisce entre nous ? comment est-ce que tu peux dire que ça n'en vaut pas le coup, que c'est stupide, que je devrais te croire, quand tu avoues dans le même souffle qu'il a presque été notre fin ? je me mords la peau des lèvres qui se défaisait déjà par elle-même. je n'ai pas envie de te croire mais j'ai envie de me réfugier entre tes bras. le silence était long et froid. ce n'est pas assez de juste dire désolé. l'humidité m'a pris aux os.
je me redresse et me rapproche mécaniquement, par la logique de l'espace. j'ouvre ma porte et j'en profite pour sentir de nouveau la chaleur de ton existence. viens. coup de tête. ne restons pas là. en rentrant, l'odeur des crayons et du papier envahit les sens. je laisse mon tablier et le reste sur la commode, contre laquelle je m'appuie. hors de question d'investir le lit. ça serait s'abandonner.
mes bras se retrouvent à nouveau dans ce croisement qui prévient de ce qui va venir. qui ça ? c'est la question naturelle, bien sûr, ne me dis pas que tu ne t'y attendais pas. je sais pas, clair, c'est quoi le rapport, vraiment ? t'es pas sensé pouvoir me parler de ce genre de trucs ? je le dis sans animosité. cette fois-ci il n'y a pas l'arrogance dans le timbre de ma voix ; non, c'est même plutôt de l'humilité et beaucoup de sentimentalité. mes mains se quittent pour s'appuyer sur le rebord de la commode, que mes doigts tripotent doucement, dans un besoin de s'ancrer dans ce monde-ci. ça t'a quand même assez touché, non, pour quelque chose de stupide ? 'fin, t'as bien vu ce que ça a donné. je n'ai pas envie de dire qu'on s'est disputé. je crois que je n'ai pas tord, en soi. on s'est plutôt étranglé.

je te vois au centre de la pièce et tu étais bien ce qui y manquait. je m'étais refusé à l'admettre, mais le vide de ma chambre a été fait pour ta taille et ta stature, pour ta mâchoire en trait, pour l'odeur de lessive qui laisse un semblant d'air frais dans cette piaule de prisonnier. alors, ce n'est pas étrange quand toi tu restes au centre, de toutes manières c'est toujours là où tu veux être, non ? à cet instant, je me dis bien sûr que tu le mériterais, d'être écouté par tous les blocards et par tous les parents, mais c'est juste parce que je suis naïf. tu veux être au centre, là où la personne qui t'intéresse peut te voir. c'est tout. ça serait presque romantique si ce n'était périssable.
j'attends ton discours et il ne contient aucune excuse supplémentaire. je baisse les yeux presque immédiatement. j'ai déjà cédé quand je t'ai fait rentré, j'ai tout justifié avec des raisons idiotes, et la distance creuse en moi le trou amorcé par le silence. je m'accroche au meuble comme si je pouvais y planter mes ongles en menottes consenties.
je suis un théoriste -évidemment que je me dis ah ! ça ne te ressemble pas, ou bien est-ce qui tu es vraiment ? mais la pensée se noie parce qu'on ne joue pas le jeu de l'enclave, parce que je pense toujours trop avec le cœur, parce que je suis stupide comme il te le faut. tu n'avais pas les mots, bien sûr, je le sais bien, j'ai vu les pages blanches et les cahiers intouchés, j'ai senti la frustration et c'est bien pour ça que j'ai crié je crois, c'est bien pour ça que j'ai essayé d'être attentif et tendre et aidant, et pourtant -et pourtant !
le prénom me fait réagir comme une annonce de la voix, comme un coup de feu, comme un cri dans le noir. je -- rex ?
ses conseils, si je peux les appeler comme ça, me reviennent en tête, évidemment. je ne t'en ai jamais rien dit. je crois que j'ai un peu honte de ne pas avoir écouté rex. il n'est pas vraiment mon ami, alors parfois je me convaincs que ce n'est pas si grave, mais si pas lui, à qui donc ai-je donné mon amitié ? je suis terrible, parce qu'à chacun de tes mots, je me convaincs que rex n'est que désespéré d'être à ma place, qu'il m'aurait abandonné dans la forêt pour que tu lui demandes pardon, qu'il n'y aurait pas réfléchi deux minutes si nos places étaient inversés ; et cela me fait plaisir. cela me fait plaisir, pas parce que je crois vraiment à ce que je viens d'imaginer, je crois que je n'en sais rien ; pas parce que ça le rendrait peut-être malheureux, mais parce que ça prouve bien quelque chose, non ? le verbe au passé me fait un peu sourire, le visage crispé et les yeux perdus dans mes pensées au milieu de tes iris. je ne sursaute pas quand tu prends ma main. mon pouce vient recouvrir un bout de ta peau, le frictionner comme si c'était moi qui devait te consoler. je les observe pendant que je sépare nos doigts pour mieux les lier. je fronce les sourcils. je suis si faible, putain. j'adore chaque seconde qui passe entre tes phalanges. comment ... 'fin, réglé, genre quoi réglé ... la fureur a pris l'eau, ne reste qu'une fumée difficile à respirer, je veux juste changer de pièce, d'endroit, ou alors que t'ouvres toutes les fenêtres, que tu me donnes l'air de tes poumons dans un baiser salvateur, comme on les voit dans les films, quand les protagonistes savent sans savoir qu'ils ne peuvent plus vivre l'un sans l'autre.
je m'auto-sabote dans mes souhaits, ta proximité me trouble, mais je retiens quand même de tes mots ce que j'en veux, et pas ce que j'en devrais. donc tu ... écris encore sur rex ..? j'ai fui encore derrière les mèches plus longues de mes cheveux, la tête sur le coté, artificiellement occupée à regarder le pont entre nous. bien sûr, ça ne serait pas anormal d'écrire sur rex, sur ce qu'il reste de vous, du passé, de ce qui a été important ; et pourtant ! la lune éclipse parfois le soleil.