Ce monde, tel qu’il est fait, n’est pas supportable.
J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde. Je n’ai jamais su dire ce que je voulais.
Je n’ai jamais voulu grand-chose, à dire vrai.
Je me suis toujours dit que le monde tel qu’il était me suffisait ou du moins, qu’il devait me suffire. Qu’il ne saurait être plus ni autrement que ce qu’il est et que je devais simplement m’en accommoder.
Personne ne me donnera la lune ; inutile de la demander.
Dans un monde où Dieu ne nous offre que trente ans, autant ne pas perdre son temps à se tromper de vœux. Je gagne le mien en renonçant à en chercher.
Je me satisfais de ce qu’on me sert le matin et des draps rêches le soir. Les autres ont le droit de vouloir ; cela m’arrange qu’ils le fassent à ma place.
Toi, tu dis toujours que tu sais ce que les gens veulent. Tu n’as pas trop choisi de le savoir. Père s’est réveillé un jour en décidant simplement que ce serait ton devoir.
Comme moi, tu n’as pas cherché à lutter.
Comme moi, préfères-tu occuper autrement cette vie qui nous est accordée ?
Je me demande parfois si nous avons été dessiné.es de la même encre. Le trait impassible de nos sourcils, lancé d’un seul geste du poignet. Les tiens forment une ligne au milieu de ton front, qu’il m’amuse de retracer du bout de l’ongle.
L’ossature du visage est différente de celle que je vois dans ma glace, mais elle rend la même fermeté sous mes doigts curieux.
Au milieu de la chambre silencieuse, alors que l’après-midi agonise dehors, pas un son ne nous échappe. Ça me va comme ça. Ni toi ni moi n’avons jamais été des créatures de beaucoup de mots. Je préfère observer. Toucher. Apprendre les lignes et les courbes que je remodèlerai si tu venais à me quitter.
L’obscurité de tes yeux. Le relief de ta mâchoire. L’ombre rugueuse qui te court des tempes au menton. Je les porterais tous, si tu me le demandais.
En ai-je envie seulement ?
Je ne sais pas ce que je veux. Tu dois le savoir mieux que moi.
« Dis. Tu as déjà pensé à regarder dans ma tête ? » Parce que c’est ce qu’on fait quand on est proches, non ?
Et que je suis curieux.se, comme toi. Que je te fais assez confiance déjà pour m’accueillir sous tes draps. Pour perdre notre temps, pourtant si limité, à apprendre par cœur les traits de ton corps.
Nous ne nous connaissons pas, Hoài. À deux, peut-être que ce sera plus simple.